SÉANCE ACADÉMIQUE
ACTU
Auteur(s) : TANIT HALFON
Une séance commune aux académies de médecine et d’agriculture s’est penchée sur l’émergence des maladies infectieuses animales et humaines. Devant un phénomène complexe, aux causes multiples, la construction de dispositifs efficaces de surveillance et de veille épidémiologique s’impose. Les big data pourraient constituer une perspective d’avenir.
En 1776 était créée la Commission royale des épidémies et des épizooties, dont la mission consistait à « entretenir avec les médecins des provinces une correspondance pour la description et le traitement des épidémies et des épizooties, et pour en écrire l’histoire » 1. Les santé humaine et animale, liées pour d’autres raisons hier, se retrouvent aujourd'hui sous le concept de One Health (“une seule santé”), comme l’a rappelé André-Laurent Parodi, président honoraire de l’Académie nationale de médecine et de l’Académie vétérinaire de France, en clôture de la séance commune entre l’Académie nationale de médecine et l’Académie d’agriculture de France, le mardi 7 novembre. Le thème présenté était celui de l’émergence des maladies infectieuses, et les nombreux exemples de zoonoses cités dans les présentations ont à nouveau mis en évidence combien une alliance entre les médecins et les vétérinaires était primordiale. Si « la mise en commun des potentialités internationales » apparaît, pour André-Laurent Parodi, comme une nécessité pour lutter contre un phénomène « à caractère mondial », l’ambition des conférences était d’abord de pouvoir partager les connaissances acquises en santé animale et humaine en matière d’émergence. Un préalable nécessaire pour mieux organiser la lutte.
Le phénomène d’émergence est lié à de multiples facteurs, comme l’a rappelé à l’assemblée Barbara Dufour, professeur des maladies contagieuses et d’épidémiologie à l’École nationale vétérinaire d’Alfort. L’agent pathogène peut évoluer, que ce soit au niveau génétique (exemple des virus à ARN de l’influenza aviaire) ou via la sélection des populations résistantes, comme pour les souches résistantes aux antibiotiques, notamment. La conséquence directe étant un franchissement possible de la barrière d’espèces. Mais un grand nombre de facteurs d’émergence sont à relier à l’évolution de nos sociétés. L’immunité globale des populations animales et humaines tend à diminuer, augmentant les populations les plus à risque. La faute au vieillissement de nos populations, aux maladies chroniques mieux gérées, aux nouvelles populations naïves humaines et animales apparues avec les politiques d’éradication efficaces de certaines maladies, à la sélection des animaux plus rentables mais moins résistants, et à nos élevages plus denses, qui favorisent la bonne circulation des pathogènes une fois présents.
« La rançon de notre succès », ironise Barbara Dufour, et « une responsabilité humaine » qui apparaît encore plus clairement lorsque la conférencière évoque la mondialisation des échanges ou nos nouveaux comportements alimentaires (consommation d’aliments crus, notamment), nos relations plus étroites avec les animaux de compagnie ou avec la nature. Pour exemple, la demande sociétale d’élevage en plein air augmente le risque de contact avec la faune sauvage et ses vecteurs. Des évolutions technologiques ont aussi favorisé l’émergence de certains agents pathogènes, tel que Listeria, dont le développement est permis par la chaîne du froid. Facteur d’avenir, le réchauffement climatique pèsera en favorisant certaines maladies vectorisées, en témoigne le moustique tigre (Aedes albopictus) qui s’est implanté dans le sud de la France. Autres facteurs cités, plus sombres ceux-là : les conflits, et les déplacements de populations qui en découlent, ou encore la surpopulation. « Au vu du contexte actuel et des facteurs d’émergence, on sera peut-être amené à observer de plus en plus de maladies infectieuses émergentes. »
La détection d’une émergence est un exercice difficile, l’important étant d’avoir « les bons outils », explique Daniel Levy-Bruhl, épidémiologiste à Santé publique France. « Quelquefois, elle est détectée longtemps après son arrivée », note-t-il, comme cela a pu être le cas avec le virus de l’hépatite C, identifié en 1989 mais présent depuis les années 1920 en France. Les dispositifs doivent donc être les plus efficaces possible. Pour ce faire, Daniel Levy-Bruhl identifie plusieurs axes de travail : avoir un dispositif de détection précoce des cas, définir de manière pertinente un cas (quelles sensibilité et spécificité ?), fluidifier la circulation des informations et des échantillons (qui, quoi, à qui, quand, comment et pourquoi), disposer d’une capacité d’expertise et de diagnostic microbiologique 24 h/24, 7 j/7, pouvoir faire évoluer le dispositif si besoin, faciliter la recherche et les travaux de modélisation. Et tout cela sans compromettre la prise en charge du patient. Aux dispositifs locaux doit s’ajouter une coopération mondiale, qui passe par une réglementation sanitaire internationale, mais aussi par l’amélioration des conditions et de l’hygiène de vie des pays en développement, et le renforcement des systèmes de santé (exemple du programme Ripost2 en Afrique de l’Ouest).
À côté des dispositifs de surveillance existants, toujours perfectibles, émergent de nouveaux outils d’exploitation des big data. C’est tout l’objet de la présentation de Mathieu Roche, chercheur en informatique au Cirad3 de Montpellier (Hérault), qui a expliqué à l’assemblée les travaux menés dans le cadre d’une thèse4 sur ce sujet. L’idée de base était de pouvoir extraire des informations hétérogènes, issues de différents articles (Google News), et d’arriver à une base de données structurée et de qualité sous un format Excel. Avec l’objectif final de construction d’un système de veille automatique des maladies animales émergentes, via la détection de signaux précoces. Ce projet a permis, entre autres, de mettre en évidence des différences entre les critères utilisés dans les dispositifs officiels de surveillance et définis par des experts, et ceux extraits par l’outil informatique. Pour preuve, l’information sur la vaccination préventive des animaux est apparue comme une donnée pertinente, alors qu’elle est absente des méthodes traditionnelles de surveillance. Malgré tous les progrès réalisés en épidémiologie, anticiper le risque d’émergence reste compliqué. Comme le rappelle François Bricaire, médecin chef du service des maladies infectieuses et tropicales de la Pitié-Salpêtrière, à Paris, les exemples ne manquent pas pour illustrer les lacunes des modèles prédictifs (H5N1, Ebola). Son exposé a montré que l’appréciation du risque d’émergence devait reposer sur une bonne connaissance des facteurs en cause, et sur un système qui détecte rapidement les cas. S’il est certain que ces phénomènes reviendront, la meilleure solution reste toujours une bonne préparation en amont.
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1 Histoire de la Société royale de médecine (périodique).
2 Projet de Renforcement des capacités de santé publique des États francophones d’Afrique de l’Ouest : bit.ly/2AZrUTy.
3 Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement.
4 « Monitoring disease outbreak events on the web using text-mining approach and domain expert knowledge » : bit.ly/2A1HgHS.
QU’EST-CE QU’UNE MALADIE ÉMERGENTE ?