L’envers du décor du don de sang canin - La Semaine Vétérinaire n° 1742 du 30/11/2017
La Semaine Vétérinaire n° 1742 du 30/11/2017

ÉTATS-UNIS

ACTU

Auteur(s) : BÉNÉDICTE ITURRIA  

Aux États-Unis, le recueil de sang canin suscite la polémique.

Depuis déjà quelques années existent aux États-Unis des banques de sang de différentes sortes, qui permettent de collecter, de maintenir et de mettre à la disposition des vétérinaires des produits sanguins pour parer à une urgence vitale.

Différents types de structures

Des hôpitaux vétérinaires gèrent de petites banques en collectant habituellement du sang de chiens ou de chats appartenant à leur personnel. Ils font aussi appel aux propriétaires qui acceptent que leur animal soit donneur bénévole, en échange, par exemple, de bilans de santé gratuits. Les facultés de médecine vétérinaire ont également des banques. Certaines disposent pour cela de leurs propres colonies d’animaux donneurs, d’autres comptent sur la générosité des animaux qu’elles soignent1 ou utilisent les deux options. Récemment, l’école de médecine vétérinaire de l’université de Pennsylvanie a abandonné sa colonie en faveur d’un programme ambulant intitulé le Penn Vet Blood Donor Program : sur le modèle des collectes de sang humain, des techniciens vétérinaires agréés se rendent dans les cliniques vétérinaires et les clubs canins pour recueillir du sang avec leur véhicule surnommé la “bloodmobile”.

Enfin, il existe des structures commerciales qui vendent leurs produits à des cliniques vétérinaires ou à des fournisseurs. Le sang qu’elles commercialisent est, dans certains cas, issu de lévriers de course à la retraite, cédés par leur propriétaire. C’est le cas, par exemple, d’Hemopet, une entreprise californienne fondée par notre consœur Jean Dodds, qui, depuis 1991, gère une banque de sang2 associée à un programme de sauvetage et d’adoption de lévriers à travers les États-Unis. Cette race est choisie car la majorité de ses représentants sont donneurs universels. L’entreprise héberge et soigne ces lévriers, qui, en contrepartie, donnent du sang deux ou trois fois par mois pendant 12 à 18 mois, avant d’être proposés à l’adoption et d’aspirer enfin à une retraite bien méritée grâce au programme Pets Lifeline (Hemopet collabore pour cela avec de nombreuses organisations d’adoption et des foyers d’accueil de lévriers). Conformément aux exigences de l’État de Californie, qui a une législation très stricte en matière de don de sang animal, cette structure fait l’objet d’inspections régulières et les animaux sont maintenus dans une colonie fermée pour ne pas être exposés à d’autres chiens et éviter ainsi d’éventuelles contaminations. Afin de garantir la qualité des produits, ils subissent une série de tests sérologiques pour dépister Mycoplasma haemocanis, Leishmania spp., Brucella canis, Borrelia burgdorferi, Dirofilaria immitis, Ehrlichia canis, Rickettsia rickettsii, Coccidioides immitis, Babesia canis et Babesia gibsoni, et les concentrations plasmatiques du facteur de von Willebrand sont aussi mesurées. Hemopet affirme offrir un environnement stimulant à ses animaux : beaucoup d’exercices, d’interactions avec le personnel pour les sociabiliser et les occuper, ainsi que des visites quotidiennes de groupes de bénévoles. Ils bénéficient également d’une surveillance et d’un suivi vétérinaire sur place.

Un vide juridique

La Californie fait figure d’exception en légiférant sur ce type d’opérations et en exigeant des contrôles annuels des colonies de lévriers. Il n’existe pas, en effet, de normes fédérales dans le pays pour réglementer ce dispositif. Ce vide juridique peut potentiellement mener à des dérives. Ainsi, depuis fin septembre, l’entreprise texane Pet Blood Bank, située dans la ville de Cherokee, au nord-ouest d’Austin, est en effet dans la tourmente : l’un de ses anciens employés a fourni à l’association de protection animale People for the Ethical Treatment of Animals (Peta) des vidéos et des photos prises selon lui entre janvier et juin 2017, montrant les conditions de détention abominables de 150 lévriers. Peta a révélé3 que Pet Blood Bank (qui affirmait travailler de façon éthique et humaine avec des donneurs bénévoles et produire les produits sanguins de la plus haute qualité, fabriqués selon les normes les plus strictes) garde ses animaux dans un ancien bâtiment utilisé auparavant pour l’élevage de dindes (photo). Ces chiens tenus captifs dans des cages présentent tous des stéréotypies. Selon l’employé lanceur d’alerte, à l’approche d’un humain, ils urinent et défèquent, et partent se cacher sous une sorte de bidon en plastique qui constitue leur unique protection face aux températures extrêmes des hivers et des étés texans. Ils n’ont aucune possibilité de courir ou de se dépenser, le seul moment où ils sortent de leur cage est pour subir les prélèvements qui atteignent jusqu’à 20 % de leur volume sanguin. Pour cela, ils peuvent être maintenus pendant trois heures dans des caisses, parfois en plein soleil, sans eau et même muselés. Certains deviennent si faibles qu’ils doivent être portés pour retourner dans le chenil. Des chiens ont des plaies de contact très profondes sur leurs postérieurs, résultant du couchage sur un sol dur. D’autres présentent des parasitoses (tiques, puces, etc.), des parodontites, des griffes si longues qu’elles sont plantées dans leurs coussinets, et probablement d’autres maladies infectieuses ou métaboliques. En plus des mauvais traitements et de l’absence de soins vétérinaires appropriés pour ces animaux, Peta dénonce les risques de contamination pour les chiens qui recevront ce sang.

Les dessous d’un scandale

Le 20 septembre dernier, l’association a expressément demandé au shérif du comté de San Saba, où est située la banque de sang, de procéder à la saisie des chiens « cruellement confinés ou déraisonnablement privés de nourriture, de soins ou d’abris nécessaires ». Ce dernier s’est rendu sur les lieux avec la Texas Greyhound Association, mais n’a trouvé aucune preuve d’abus ou de négligence. Le propriétaire Shane Altizer conteste la version du lanceur d’alerte. Pour lui, ces images auraient été prises avant qu’il ne rachète la société en 2015 ou ne sont que des « instantanés », qui ne reflètent en aucun cas la situation actuelle. Cet été, notre consœur Anne Hale, ex-PDG de la plus grande banque commerciale de sang animal du pays, l’Animal Blood Resources International, avait visité cette banque et avait déclaré avoir été « agréablement surprise » de trouver des chiens qui semblaient en bonne santé. Après avoir visionné les photos et la vidéo diffusées par Peta, Anne Hale a toutefois déclaré au Washington Post qu’elle était revenue sur son jugement : « Il semble que l’installation a été “nettoyée” avant notre tournée. » Pet Blood Bank a, depuis, fermé ses portes et les lévriers ont été pris en charge par des programmes d’adoption. L’avocat de la compagnie a déclaré dans un communiqué que sa fermeture était « une décision d’affaires » prise parce que la campagne de Peta avait « entraîné la rupture de leur relation avec des clients de longue date ». Des investigations sont en cours pour faire la lumière sur cette affaire qui révèle au grand jour un business non réglementé. La présidente de Peta, Ingrid Newkirk, a annoncé que son organisation « travaillera dur désormais pour faire adopter des règlements afin de garantir que tout le sang destiné aux transfusions d’urgence provient de vrais donneurs et non de chiens misérables et emprisonnés ». Anne Hale et Jean Dodds pensent également qu’une normalisation de ces banques est nécessaire au vu d’une telle situation et qu’il convient donc d’instaurer une législation régionale et/ou fédérale.

Peta, en dévoilant ces images, souhaite également mettre en garde les praticiens, en les encourageant à s’interroger sur l’origine des produits sanguins qu’ils utilisent. Elle incite de plus les clients à demander à leur vétérinaire d’utiliser du sang provenant de collecte ambulante ou de cliniques vétérinaires.

La mise en place d’une nouvelle politique

En réaction à ces suspicions de maltraitance, la National Greyhound Association (NGA) a mis en place, début novembre, une nouvelle politique qui définit les paramètres et les orientations de l’organisation en matière d’utilisation des lévriers pour le don de sang. Si l’un de ses membres souhaite faire adopter son animal en tant que donneur, il doit au préalable recevoir l’approbation de l’association et ne peut le faire qu’avec des banques de sang légitimes et reconnues. Les chiens ne doivent pas être utilisés pour leur sang pendant plus de 18 mois et après l’âge de 7 ans. Tous les lévriers utilisés pour les prélèvements doivent d’abord être castrés ou stérilisés et examinés par un vétérinaire. Une fois la période de dons sanguins terminée, les chiens doivent à nouveau être réévalués (examen médical et dentaire) et, si besoin, soignés. Ils devront ensuite être placés chez un adoptant.



1 Voir La Semaine Vétérinaire n° 1717 du 28/4/2017, page 22.

2 bit.ly/1Ry8TfI.

3 bit.ly/2Bg3kxW.