DOSSIER
Le plan ÉcoAntibio 1 est une belle réussite. En cinq ans, l’exposition des animaux aux antibiotiques a reculé de 37 %. Un succès qui tombe à pic, alors que les conditions d’élevage sont une préoccupation croissante pour les consommateurs.
L’heure est au bilan pour le premier plan de réduction des risques d’antibiorésistance en médecine vétérinaire. Mieux qu’un succès, ÉcoAntibio 1 constitue une véritable performance. En cinq ans, l’exposition des animaux aux antibiotiques a baissé de 37 %, beaucoup plus que l’objectif initial de - 25 %. Des résultats à en faire pâlir la médecine humaine, qui peine à trouver la bonne formule pour réduire sa consommation d’antibiotiques. « Cette formidable avancée est le fruit d’une mobilisation de tous. Elle prouve que, quand les objectifs sont partagés, la dynamique collective permet même de les dépasser », se félicite Stéphane Travert, ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation.
Plus qu’un plan pour préserver les antibiotiques, ÉcoAntibio résonne dans le débat public comme une réponse concrète aux inquiétudes des consommateurs concernant les produits qu’ils consomment. Face aux différents scandales sanitaires (crise de la “vache folle”, lasagnes à la viande de cheval, œufs contaminés au fipronil, etc.), les attentes sociétales sur la qualité des produits et le bien-être animal se veulent plus exigeantes. L’une des conséquences est le recours aux médecines dites naturelles, qui font de plus en plus d’adeptes chez les propriétaires d’animaux tant d’élevage que de compagnie. Entre simplifications, messages scientifiques et idées reçues, la question de l’usage des antibiotiques tend à s’imposer avec vigueur dans les débats actuels. Face aux inquiétudes, les acteurs publics et privés multiplient les actions. Au-delà des objectifs sécuritaires du plan ÉcoAntibio 1, la communication positive autour de ce succès pourrait avoir un impact significatif sur la perception qu’ont les consommateurs de cette problématique. De quoi se demander si le plan ÉcoAntibio (et ceux qui suivront ?), bien qu’encore méconnu du grand public, pourrait, à long terme, contribuer à réconcilier agriculture, santé et société.
Le plan ÉcoAntibio est d’abord un plan ambitieux. Son objectif global est un usage raisonné et responsable des antibiotiques en médecine vétérinaire. Il prévoyait notamment des campagnes de communication à destination des propriétaires d’animaux domestiques pour les sensibiliser au bon usage des antibiotiques et « limiter la transmission de bactéries entre animal et homme ». La campagne “Les antibiotiques, pour nous non plus, c’est pas automatique !” a bien été relayée auprès du grand public fin 2014. De même que celles menées auprès des éleveurs et des vétérinaires. Outre ces mesures de sensibilisation, le plan ÉcoAntibio contenait également un volet réglementaire qui a significativement modifié la pratique vétérinaire. Parmi les dispositions législatives importantes, l’interdiction des remises lors d’achat d’antibiotiques, l’encadrement de la prescription et de la délivrance de ceux considérés comme critiques, avec notamment la réalisation d’un antibiogramme avant leur prescription à des fins curatives ou métaphylactiques (des dérogations sont prévues)1.
Le plan ÉcoAntibio, c’est aussi une formule qui marche. Sur les cinq dernières années, l’exposition des animaux aux antibiotiques a baissé de 37 %. « L’objectif de réduction de 25 % de l’usage des antibiotiques en 5 ans prévu par le plan ÉcoAntibio 2017 est atteint et largement dépassé », s’est félicité Gérard Moulin, adjoint au directeur de l’Agence nationale du médicament vétérinaire (ANMV), au sein de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses). Sur l’année 2016, le volume total des ventes s’élève à 530,14 tonnes d’antibiotiques. Elles concernent principalement cinq familles (tétracyclines, sulfamides, pénicillines, aminoglycosides et macrolides), qui constituent près de 88 % du volume total. « La famille des tétracyclines représente à elle seule 35 % du tonnage des ventes. Les antibiotiques critiques (céphalosporines de dernières générations et fluoroquinolones) représentent près de 0,4 % du tonnage vendu de matière active », précise le rapport de l’Anses sur le suivi des ventes d’antibiotiques en France en 2016. 36 % du tonnage étaient destinés aux porcs, 23 % aux bovins et près de 20 % à la volaille.
Cette chute a été observée pour toutes les espèces par rapport à l’année 2011 (bovins : - 24,3 % ; porcs : - 41,5 % ; volailles : - 42,8 % ; lapins : - 37,6 % ; chats et chiens : - 19,4 %). Cette tendance baissière est donc constatée dans toutes les filières. Mais à y regarder de plus près, ce sont les filières hors-sol qui ont sensiblement fait pencher la balance. En effet, l’exposition des porcs aux antibiotiques a diminué de 49,2 % depuis 1999 et de 41,5 % sur les cinq dernières années (par rapport à 2011). La filière volaille aussi a consommé moins d’antibiotiques, avec une réduction de 12,4 % depuis 1999 et de 42,8 % en cinq ans (versus 2011). Le recul est moins marqué chez les lapins (- 19 %), mais leur exposition a baissé de 37,6 % sur les cinq dernières années (par rapport à 2011). Les bovins sont proches du but etleur consommation d’antibiotiques critiques a été considérablement réduite. S’agissant de cette famille d’antibiotiques, l’exposition a baissé de 6,6 % depuis 1999 et de 24,3 % sur les cinq dernières années (par rapport à 2011). Pour les carnivores domestiques, elle a reculé de 18,3 % depuis 1999 et de 19,4 % en cinq ans. Il est à noter, concernant cette filière, qu’entre 2014-2015 et 2016 l’exposition aux antibiotiques a diminué pour toutes les familles, sauf pour les céphalosporines de 1re et 2e générations, les sulfamides et le triméthoprime, ainsi que les tétracyclines.
L’usage des antibiotiques critiques a, lui aussi, diminué : - 81,3 % pour les céphalosporines de dernières générations et - 74,9 % pour les fluoroquinolones en 2016, par rapport à 2013, toutes espèces confondues. Pour les céphalosporines de 3e et 4e générations, l’exposition des animaux à cette famille d’antibiotiques a chuté pour les bovins (- 81,6 %), les porcs (- 85,1 %) et les carnivores domestiques (- 71,6 %). L’utilisation des fluoroquinolones affiche - 74,9 % en 2016 versus 2013. L’indicateur d’exposition des animaux aux antibiotiques (Animal level of exposure to antimicrobials ou Alea) pour cette famille d’antibiotiques a baissé pour les bovins (- 82,6 %), les porcs (- 72,7 %), les volailles (- 45,3 %) et les carnivores domestiques (- 57,4 %). Cette diminution de l’exposition est plus importante pour la voie parentérale (- 78,6 % par rapport à 2013) que pour la voie orale (- 56,4 %). La colistine n’est pas classée comme critique, mais fait l’objet d’une surveillance renforcée. Depuis 1999, l’exposition à cet antibiotique par des prémélanges médicamenteux a diminué de 86,8 % et de 80,4 % depuis 2011. L’Anses-ANMV indique également dans son rapport que « l’exposition à la colistine par les autres formes orales (poudres, solutions, pâtes orales et comprimés) a augmenté de 17,9 % depuis 1999 ; cette exposition a néanmoins diminué de 47,5 % par rapport à 2011. L’exposition par voie parentérale est relativement faible par rapport à l’exposition par voie orale ; elle a diminué de 56,7 % depuis 1999 et de 15,1 % sur les cinq dernières années ». Enfin, en 2016, l’exposition à la colistine a baissé de 40,3 % par rapport à la moyenne lissée pour les années 2014 et 2015. Ces résultats sont autant d’indicateurs positifs qui pourraient, sur le long terme, aider les acteurs de la santé animale à lever les craintes chez les consommateurs vis-à-vis de la qualité des aliments qu’ils consomment. Qu’en est-il à l’heure actuelle ?
« Il [le plan ÉcoAntibio, NDLR] constitue une étape décisive pour développer des alternatives qui permettront d’assurer la santé des animaux et de mobiliser de manière cohérente et soutenue l’ensemble des acteurs et des professionnels concernés, indiquait Bruno Le Maire, alors ministre de l’Agriculture au moment du lancement du plan ÉcoAntibio 1. Ce plan d’action devrait renforcer la confiance des consommateurs français et la durabilité des systèmes de production. » Au moment du bilan, une chose est certaine : l’objectif quantitatif a bien été atteint. Mais pour ce qui est de renforcer la confiance des consommateurs, la réussite semble moins certaine. « Pour le consommateur, l’élevage dit “sans antibiotiques” devient un mode de production. Il a l’impression que les antibiotiques sont utilisés comme des produits phytosanitaires », explique Karine Boquet, secrétaire interministérielle au Conseil national de l’alimentation.
Plusieurs indicateurs laissent en effet entendre que les consommateurs français allient élevage et usage excessif des antibiotiques. Les autorités sanitaires notent d’ailleurs une méfiance accrue envers la médecine moderne. Ainsi, des mouvements d’utilisateurs/patients septiques prennent de l’ampleur. Les “anti-antibiotiques” et les “antivaccins” gagnent du terrain en même temps que l’engouement pour le bio. Les propriétaires d’animaux de compagnie ont, par exemple, une perception positive de l’utilisation de l’homéopathie2. Une étude3, européenne cette fois, publiée en 2010 par la Commission, démontrait que les Européens (70 %) sont préoccupés par la présence de résidus de produits chimiques dans les aliments (y compris les antibiotiques). Un sondage plus récent, publié en novembre 2017 par le ministre des Solidarités et de la Santé, révèle que 76 % des Français sont prêts à acheter de la charcuterie ou de la viande issue d’animaux élevés sans antibiotiques. Paradoxalement et malgré les bons résultats du plan ÉcoAntibio, cette même enquête démontre qu’un Français sur deux ne saurait pas définir précisément ce qu’est l’antibiorésistance.
Dans le cadre du contrat de filière alimentaire, le ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt publiait, en février dernier, une étude4 prospective sur les comportements alimentaires des Français en 2025. Les consommateurs réclament notamment plus de transparence sur les produits qu’ils achètent, en particulier sur les modalités de production. Ils veulent s’assurer « qu’on ne [leur] cache rien ». En réaction, les pouvoirs publics renforcent la réglementation, surtout sur l’étiquetage des produits alimentaires ou encore le bien-être animal. Ainsi, à l’horizon 2025, l’étude prévoit que davantage d’informations pourraient être demandées aux éleveurs sur leurs pratiques d’élevage, telles que l’usage de produits phytosanitaires et de produits vétérinaires (dont les antibiotiques). Il est même imaginé que des évolutions réglementaires imposent la mention de l’utilisation des antibiotiques en élevage.
Ainsi, les consommateurs se montreraient encore septiques. Pour répondre à leurs préoccupations, notamment sur les conditions d’élevage, l’industrie agroalimentaire n’hésite pas à recourir à la notion “sans antibiotiques”. Ce langage “marketing” semble avoir plus d’écho que les initiatives visant à réduire les antibiotiques. En effet, les campagnes de communication lancées par le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation ont eu un beau succès auprès des professionnels de la santé animale, comme l’a rappelé Xavier Herry, de la délégation à l’information et à la communication dudit ministère. Bien que celles-ci soient avant tout destinées à sensibiliser les éleveurs de tout type d’espèces, elles pourraient avoir un impact efficace sur une cible plus large. Pourtant, elles semblent moins efficaces auprès du grand public. Sûrement un problème de communication ou de moyens alloués à celle-ci. Par exemple, 160 000 € ont été consacrés à la dernière campagne de communication “Les antibios, comme il faut, quand il faut”, lancée en 2017 par le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation. Quand le budget des campagnes de la sécurité routière se chiffre en millions d’euros. Il paraît indispensable d’accorder une visibilité publique à cette problématique. «
Plus encore que par le passé, inciter les Français à changer leur regard sur l’antibiorésistance s’impose comme un défi majeur de santé publique et appelle un important travail de communication qui devra reposer sur des ressorts persuasifs innovants
», indique Victor Laymand, chargé de mission à la Délégation à l’information et à la communication (Dicom) du ministère des Solidarités et de la Santé. Le second plan ÉcoAntibio 2017-2021 pourrait répondre à cet objectif. Il prévoit en effet de communiquer et de former sur les enjeux de lutte contre l’antibiorésistance, sur la prescription raisonnée des antibiotiques et sur les autres moyens de maîtrise des maladies infectieuses.
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2 Valentine Bihl. « Perception de l’homéopathie en médecine vétérinaire ». Thèse d’exercice vétérinaire, École nationale vétérinaire de Toulouse. 2013.
3 Eurobaromètre spécial 354 sur les risques liés aux aliments, décembre 2010.
PORC “SANS ANTIBIOTIQUES”