Vétérinaire 2.0 : comment s’adapter à un monde changeant ? - La Semaine Vétérinaire n° 1743 du 07/12/2017
La Semaine Vétérinaire n° 1743 du 07/12/2017

E-SANTÉ

PRATIQUE CANINE

L'ACTU

Auteur(s) : PIERRE DUFOUR  

Marketing, management, télémédecine, cloud, vente en ligne : Internet et le monde digital changent la donne pour la profession.

L’homme vit dans un monde qui évolue vite, et surtout de plus en plus vite. Ce qui hier était de la science-fiction relève aujourd’hui du quotidien. « Nous avons généré plus de data ces deux dernières années que durant toute l’histoire de l’humanité », rappelle Denis Avignon, vice-président du Conseil national de l’Ordre des vétérinaires à l’occasion de l’une des nombreuses conférences du dernier congrès de l’Afvac dédiées à la révolution numérique. 215 milliards d’e-mails sont envoyés chaque jour dans le monde. 4,4 milliards d’humains possèdent un smartphone. Et c’est loin d’être terminé, avec le développement prodigieux des nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives (NBIC). Demain, « les patients n’accepteront pas que le médecin prenne sa décision sur sa seule formation initiale, sur la seule base de son expérience et de sa mémorisation », selon François Dommanget, praticien sur l’île de Ré (Charente-Maritime) et créateur d’un logiciel de gestion vétérinaire. Le patient sera acteur de sa propre santé, et l’animal sera communiquant grâce aux données qu’il émettra. « Un risque pour le praticien étant la désintermédiation par des acteurs non vétérinaires, qui s’engouffrent dans la défaillance d’une offre », selon Michel Cazaugade, médecin et président du Groupe Pasteur Mutualité. Alors, face à ce futur qui paraît déconcertant, parfois insurmontable, comment se positionne le vétérinaire 2.0 ? Comme chaque entreprise, la clinique vétérinaire doit s’adapter au marché, et rester concurrentielle.

S’adapter à la concurrence d’Internet

Pour démarrer, comment s’adapter à la vente sur Internet ? Michel Meunier, directeur des affaires vétérinaires chez Hill’s, pose la question. De quelle manière peut-on rester concurrentiel et vendre quand un changement de consommation des propriétaires est constaté, avec un développement des ventes sur Internet et, par conséquent, des livraisons à domicile ? Faut-il créer un site de vente en ligne pour chaque clinique ? Baisser les prix ? Sur ce point, Michel Meunier recommande une différence maximale de 15 % entre les produits présents dans les cliniques et ceux disponibles sur le Net. « Seulement, des plateformes comme Amazon affichent des prix défiant toute concurrence, du fait de la libéralisation du marché, et d’un modèle d’affaires complètement étranger à la profession vétérinaire, souligne notre confrère. Nous parlons en effet d’entreprises internationalement connues, dont l’objectif n’est pas directement la rentabilité. Elles lèvent et relèvent des fonds jusqu’à ce qu’elles soient revendues à un fonds d’investissement après la valorisation de leur base de données clients. » Tandis que les vétérinaires sont habitués à un exercice traditionnel, rentable, avec une communication restreinte et encadrée par le Code de déontologie… Alors, comment les vaincre sur un terrain qu’elles ont déjà conquis ? La réponse reste en suspens… D’autant qu’il n’est ici question que d’alimentation et des médicaments délivrés sans ordonnance. Combien de temps le vétérinaire restera-t-il maître de la délivrance ? Aux États-Unis, Amazon s’empare déjà de ce marché. Les vétérinaires mettent pourtant des initiatives en place : plans de santé, groupement d’achats à des prix inférieurs sur une journée, sites de vente en ligne communs entre cliniques, etc. « Aucune solution n’est universelle », conclut Michel Meunier, même si elle passe probablement par la création de nouveaux modèles d’affaires et de services innovants. Pour positiver, notre confrère rappelle que les vétérinaires bénéficient d’avantages incontestés : ils sont toujours considérés comme les spécialistes de la santé et du bien-être des animaux et ont la confiance des clients.

L’intégration digitale dans l’entreprise

Notre confrère François Dommanget a également abordé la notion de cloud, qui consiste à passer d’un modèle où l’informatique est présente en réel dans la structure à sa dématérialisation sur Internet et donc son ouverture. C’est un service en ligne qui s’occupe, entre autres, de la sécurité et de la sauvegarde des données. À travers lui, il est également possible d’accéder à des compétences inaccessibles auparavant (assistance par des spécialistes, communication avec le référent, partage de données au sein de la même structure ou d’un réseau, formation professionnelle, etc.).

En ce qui concerne les objets connectés, l’offre ne cesse de croître, allant de gadgets à de véritables outils thérapeutiques. Aujourd’hui, 160 000 objets connectés sont sur le marché sans aucune maîtrise. « Il serait judicieux qu’ils soient appropriés et contrôlés par la profession, par exemple par la création d’un label professionnel », estime Michel Cazaugade, médecin et président du Groupe Pasteur Mutualité. Pour lui, ces objets doivent être prescrits par les professionnels de santé. Dans une logique de médecine « évolutionniste », qui impose une meilleure compréhension du lien entre l’homme et sa maladie, « la médecine ne peut plus être l’affaire d’un seul médecin, mais concerne bien un changement de paradigme », car le savoir est partagé entre le prescripteur de santé et le bénéficiaire des soins. Cela passe par les objets connectés.

Une médecine de plus en plus personnalisée

De nombreuses évolutions sont à venir, comme l’avènement de la télémédecine, qui, d’après le rapport de l’Académie vétérinaire de France et les mots de notre confrère Francis Desbrosse, est une activité qui n’est « pas définie, pas valorisée, non monétarisée, demandée par les propriétaires, et dont la légitimité est discutée ». En quelques mots, la télémédecine a besoin d’une définition et invite également à redéfinir le vétérinaire, comme l’acte vétérinaire et l’examen clinique. Mais son arrivée semble difficilement évitable.

Le futur du vétérinaire est un sujet passionnant, qui va au-delà de lui-même et touche toute une société. Il apparaît évident que la profession doit chercher, avec les forces de chaque génération, ce qui la rassemble et fait sa force : la santé de l’animal. Quelle que soit la forme qu’elle prendra, orientée vers une médecine personnalisée, prédictive, préventive, participative, précise, prouvée.

En conclusion des échanges sur la e-santé, le vétérinaire 2.0 est un praticien qui valorise son savoir-faire et sa relation aux autres, est mieux dans sa peau et œuvre avec une équipe qui s’épanouit au travail (voir ci-dessous). C’est un vétérinaire connecté, qui utilise les nouveaux outils pour se centrer sur ce qu’il sait faire le mieux : soigner. Les derniers mots reviennent à Claude Béata, président du conseil scientifique de l’Afvac, citant Saint-Exupéry : « Pour ce qui est de l’avenir, il ne s’agit pas de le prévoir, mais de le rendre possible. »