ACTU
L’ophtalmologie : une spécialité nécessairement multidisciplinaire
L’œil constitue un organe particulier car c’est une porte ouverte sur la visualisation et le fonctionnement du tissu neurologique (les neurones rétiniens issus du cerveau) et de la microvascularisation (la vascularisation rétinienne comporte deux types de microcirculation : terminale et anastomotique), dont l’exploration est possible, de façon non invasive, au moyen de dispositifs optiques. Instrument d’optique récepteur d’images, l’œil est également un capteur de lumière (radiation électromagnétique) qui transforme son contenu (énergétique et spectral) en un signal électrophysiologique (influx nerveux) interprétable par le système nerveux central : nous voyons avec notre cerveau ! L’ophtalmologie est donc, par essence, multidisciplinaire. Cette multidisciplinarité se traduit par une étroite collaboration entre personnes de formation et d’horizons divers (biologistes, médecins, physiciens et ingénieurs).
Le meilleur ami de l’ophtalmologiste et du généticien
Selon le dernier rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 285 millions de personnes présentent un handicap visuel, dont 40 millions sont aveugles et parmi lesquelles plus de 80 % ont plus de 50 ans. Avec l’augmentation de l’espérance de vie, ces chiffres devraient croître dans les prochaines années et la prise en charge de ces maladies deviendra un problème de santé publique. La première cause de cécité est la cataracte : c’est une affection qui peut être curable par voie chirurgicale. La seconde cause est le glaucome : c’est une affection soignable, mais non curable. Si les preuves de concepts thérapeutiques sont validées chez des rongeurs de laboratoire, il est cependant difficile d’effectuer des essais thérapeutiques précliniques chez ceux-ci : leur mode de vie est nocturne, ils sont malvoyants, ont une faible acuité visuelle et les dimensions anatomiques et les propriétés optiques de leur œil rendent difficiles les interventions chirurgicales, les techniques d’imagerie in vivo, ainsi que la pose et l’utilisation de biomatériaux. Ils sont importants pour comprendre les déterminismes génétiques, mais limités en termes d’expression clinique de la maladie. Le recours à des espèces animales de plus grande taille, ayant des propriétés anatomo-fonctionnelles proches de celles de l’homme et qui expriment cliniquement la maladie homologue humaine, s’avère nécessaire avant toute transposition de la preuve de concept thérapeutique.
Le chien est l’espèce animale la plus médicalisée après l’homme et son espérance de vie augmente. Il partage son environnement, les mêmes expositions aux agents chimiques et, parfois, sa nourriture. Il existe plus de 350 races de chiens (obtenues par des pratiques intensives de sélection et de croisements consanguins depuis très longtemps), qui sont toutes différentes sur le plan phénotypique, mais qui, prises séparément, sont extrêmement homogènes d’un point de vue phénotypique. Si chaque race peut être considérée comme un véritable isolat génétique, toutes réunies, elles offrent un ensemble inégalé de polymorphismes qui se traduisent d’un point de vue physiopathologique par une similitude avec des pathologies rencontrées chez l’homme et dont le déterminisme génétique est parfois identique : en 2007, Elizabeth Pennisi écrivait, dans la revue Science, que le chien était le meilleur ami des généticiens ! Si l’on considère ces chiens comme de véritables patients, unir les compétences médicales et vétérinaires devient une nécessité pour lutter contre des mêmes maladies. C’est dans cet esprit qu’a été créé un centre d’investigations cliniques vétérinaires (CICV) : le Réseau européen en ophtalmologie vétérinaire et vision animale (Reovva)1, qui s’inscrit dans le concept d’unicité de la santé (One Health, One Medicine) pour un bénéfice mutuel des traitements de l’animal et de l’homme.
Développer des centres d’investigations cliniques vétérinaires
Depuis 2010, 41 structures vétérinaires réparties sur sept pays européens se sont regroupées pour mettre leurs compétences et leurs plateaux techniques dans le domaine de l’ophtalmologie au service de leurs patients. Ce maillage géographique permet de répondre aux demandes des propriétaires d’animaux malades en limitant leurs déplacements, le paysage numérique permettant d’activer rapidement les compétences et de diffuser les informations. Fonctionnant comme un véritable CICV, le Reovva a développé une collaboration avec des partenaires institutionnels (Institut de la vision, CNRS2, Institut du cerveau et de la moelle épinière, etc.) et des entreprises privées (Vebio, SIEM, Opia, entre autres). Parmi les travaux réalisés, citons celui qui a permis, d’une part, de caractériser cliniquement une forme de glaucome chez l’eurasier (PlosOne 2014)3, d’autre part, de mettre au point, en partenariat avec un industriel, un instrument de diagnostic fondé sur la pupillométrie chromatique rouge-bleue. Un volet thérapeutique consistant à utiliser un système de délivrance in situ de substances thérapeutiques par application de microcourants est en cours d’étude et de développement avec un partenaire industriel.
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1 reovva.com.
2 Centre national de la recherche scientifique.
3 L’étude du déterminisme génétique est en cours.
SERGE ROSOLEN (A 79)