ACTU
De manière générale, « l’éthique est une capacité de raisonnement, à la fois logique et morale, qui permet de prendre une décision éclairée en tenant compte d’enjeux moraux. Elle peut être considérée comme la recherche d’une conduite idéale » 1 . Appliquée à notre exercice professionnel, c’est une valeur concernant tout vétérinaire lorsqu’il est amené à prendre des décisions relatives à la santé de l’animal qui lui est confié. Elle s’apparente bien ainsi à une valeur morale.
Des éthiques professionnelles
Plusieurs catégories d’éthique professionnelle peuvent être distinguées :
- l’éthique vétérinaire administrative : ses règles sont définies réglementairement par l’administration de tutelle. Toute infraction est passible de sanctions pénales et/ou civiles ;
- l’éthique vétérinaire officielle : elle est définie par les structures professionnelles ordinales dans notre pays. Elle repose sur un corpus de normes et de valeurs imposées à la profession. Les manquements peuvent conduire à des sanctions disciplinaires ;
- l’éthique descriptive, enfin, qui répond à des valeurs et standards moraux laissés au libre arbitre du professionnel. Elle n’est pas justiciable de sanctions. C’est elle que je souhaiterais évoquer ici.
Coût financier de certains actes vétérinaires et leur justification
Deux exemples peuvent illustrer les circonstances dans lesquelles une question relative à cette forme d’éthique dite descriptive se pose.
Il y a quelques années, au cours d’une réunion à laquelle m’avaient invité les étudiants de l’École vétérinaire d’Alfort, j’avais évoqué une information que je venais de lire dans la presse généraliste. Elle faisait état d’un projet de loi émanant d’une sénatrice américaine visant à limiter la chirurgie esthétique appliquée aux animaux de compagnie, actes chirurgicaux destinés surtout à réduire l’obésité et dont le coût s’élevait à plusieurs millions de dollars ! Je trouvais cette proposition sage. Ayant poursuivi ma lecture, j’avais découvert alors que l’argument premier du dépôt de ce projet n’était pas le coût de ces actes (superflus ?), mais le fait qu’il ne paraissait pas “moral” (éthique), aux yeux de la sénatrice, de faire souffrir des animaux au seul motif de satisfaire une certaine vanité d’ordre esthétique de leur propriétaire ! C’était effectivement un point de vue respectable mais qui pouvait surprendre.
Plus récemment, la presse professionnelle rapportait l’intervention de réparation de valvule mitrale pratiquée sur un chien2, dans une clinique vétérinaire versaillaise, avec l’assistance d’un confrère japonais venu tout exprès. Le propriétaire, américain, avait dû débourser 40 000 $, soit plus de 34 000 € pour cette intervention.
Dans l’un et l’autre de ces exemples, une question de proportionnalité entre les sommes engagées et la justification des actes vétérinaires correspondants est soulevée.
L’ère d’une médecine vétérinaire onéreuse
De manière plus générale, désormais, avec les installations d’imagerie médicale à haute performance, la cobaltothérapie en cancérologie canine ou féline, le recours à des thérapeutiques de plus en plus sophistiquées telles que l’usage d’anticorps monoclonaux, les cures visant à corriger les troubles du comportement de nos animaux de compagnie, entre autres, notre médecine vétérinaire est entrée, au même titre que la médecine de l’homme, dans le champ de la médecine dite “onéreuse” ; et donc avec les mêmes interrogations que celles que connaissent, par exemple, les médecins britanniques qui doivent décider quand un traitement “onéreux” peut être ou non prescrit à un patient en fonction de son état ou encore de son âge !
Il est bien évidemment hors de mon esprit de refuser un soin onéreux à un animal dont le propriétaire le demande et dont il peut assumer la charge.
De même, il serait choquant de censurer nos confrères lorsqu’ils ont recours à ces thérapeutiques onéreuses acceptées par le propriétaire.
Mon propos n’est pas de culpabiliser confrères ou propriétaires d’animaux. La médecine et la chirurgie vétérinaires ont accompli de grands progrès et il faut s’en féliciter. La qualité des soins délivrés s’en est trouvée fort améliorée, tant au bénéfice de nos patients et de leurs maîtres que de l’image de notre profession largement valorisée.
Nous apprenons par ailleurs que, chaque année, deux millions d’enfants meurent des suites de sous-alimentation dans le monde. On peut être choqué par le décalage existant entre de grandes détresses matérielles humaines et les budgets accordés par les maîtres aux soins vétérinaires dispensés à certains de nos compagnons animaux.
En fait, la question qui se pose est la suivante : est-il facile pour le praticien de prendre en compte de tels arguments lorsqu’il s’agit pour lui de prendre de telles décisions ? Quels sont les arguments éthiques, donc moraux, auxquels il va recourir en son âme et conscience ? Sachant notamment que la décision de refus conduit souvent à l’euthanasie de l’animal.
Comment éviter de se poser la question d’une médecine vétérinaire “à deux vitesses” ? Est-il facile de l’admettre et de la pratiquer ?
Telle est l’une des questions d’éthique, dite “descriptive”, liée strictement aux soins donnés à l’animal malade, que je souhaiterais soulever ici.
D’autres questions parallèles se posent aussi telles que l’euthanasie de convenance ou encore la réponse à donner au propriétaire d’un animal reconnu dans un état critique, en vue de délivrer à ce dernier des soins jugés inutiles.
Désormais, ces questions sont enseignées dans les écoles vétérinaires3. Je crois savoir que ces enseignements et les débats qui les accompagnent sont désormais appréciés par les étudiants, plus sensibilisés à ces questions que nous ne l’étions lorsque nous étions nous-mêmes élèves des écoles.
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1 Foltzer M. Contribution à l’étude de l’enseignement de l’éthique dans les établissements d’enseignement vétérinaire européens. Thèse de médecine vétérinaire, VetAgro Sup. 2014.
2 Chamard V. La chirurgie de la maladie valvulaire dégénérative mitrale proposée en France. La Semaine Vétérinaire n° 1641 du 11/9/2015, pages 22 et 23.
3 Devos N. Quelle place pour l’éthique dans l’enseignement vétérinaire ? Pourquoi l’éthique est-elle indispensable en médecine vétérinaire ? La Semaine Vétérinaire n° 1681 du 1er/7/2016, pages 32 à 37 et 38-39.
ANDRÉ-LAURENT PARODI (A 59)