Formations spécialisées : l’abandon de la voie universitaire représenterait un risque grave pour l’équilibre général de la profession - La Semaine Vétérinaire n° 1745 du 21/12/2017
La Semaine Vétérinaire n° 1745 du 21/12/2017

ACTU

En réponse au besoin de soins toujours plus performants, donc à la finalité de la profession vétérinaire, nos édiles ont mis en place la notion de chaîne des soins ; il s’agissait, et il s’agit toujours, d’atténuer le risque de “perte de chance” pour les animaux en situation pathologique.

Les formations spécialisées ont permis, à la suite des études générales, de répondre à ce souhait.

Les écoles nationales vétérinaires (ENV) françaises ont été précurseurs dans ce domaine : première formation spécialisée en 1980 (CES d’ophtalmologie), première formation de spécialistes en 1984 (DESV d’anatomie pathologique), et l’avenir dans ce domaine a longtemps été favorable.

La formation de spécialistes peu à peu confiée au secteur privé

Puis, insensiblement, la situation s’est dégradée. Tout d’abord en raison du relatif abandon de la formation postuniversitaire par l’université, formation toutefois rapidement reprise par le secteur privé. La démarche était engagée et la formation des futurs spécialistes a suivi en étant progressivement confiée au secteur privé supranational, structuré fort à propos par l’European Board of Veterinary Specialisation (EBVS). L’EBVS, dont il n’est pas question de contester l’utilité et la qualité, s’est mise en place en copiant le système nord-américain ; il convient toutefois de préciser que l’organisation nord-américaine a débuté par la création d’un collège d’enseignants, montrant par là même son attachement indéfectible à l’université.

En France, et malgré l’engagement de la DGER1 (février 2016 : « Le dispositif européen ne couvre pas tous les besoins de spécialisation vétérinaire. Il apparaît nécessaire de préserver les voies nationales d’accès à la spécialisation vétérinaire. »), tout se passe comme si l’université, à quelques exceptions près, voulait purement et simplement se débarrasser de l’enseignement des spécialités. Pour faire bonne mesure, les enseignements dits intermédiaires subissent le même sort, là aussi à de rares exceptions près. Les enseignements postuniversitaires, par ailleurs objets d’un clientélisme quelquefois hors sujet, ne remplacent évidemment pas les enseignements structurés dispensés par des enseignants des ENV.

Une pénurie de spécialistes

Les répercussions sur la santé animale ne sont pas minces ; par manque de cursus ouverts, un véritable désert de spécialistes s’installe progressivement dans notre pays pendant que se creuse l’écart entre généralistes et spécialistes. Le désarroi des jeunes diplômés est palpable au quotidien dans toutes les structures organisant l’accueil de stagiaires. Tout se passe comme si une élite intellectuelle autoproclamée s’enfermait dans une tour d’ivoire éloignée de la réalité du terrain. C’est du moins l’impression qui ressort lorsque des spécialistes déconseillent aux jeunes diplômés de s’engager dans les voies du progrès. Évidemment, et malheureusement, un malthusianisme institutionnel modifie les règles du jeu ; les professionnels contrôlent la délivrance des diplômes. Ce type d’organisation était au départ un gage d’efficacité, comme l’avait imaginé Malthus, mais perd toute qualité d’ouverture équitable : limitons les naissances afin de mieux répartir les profits ! Comme bien souvent dans un microcosme tel que le nôtre, le dogme remplace l’ouverture d’esprit. Et comme chacun le sait, plus un dogme s’effrite, plus il se radicalise. Victimes directes : la santé animale et la paix sociale (ou confraternité) ; victimes collatérales : la recherche clinique, la transmission du savoir et de l’expérience. La recherche clinique se doit d’être encadrée, comme la transmission du savoir et de l’expérience se doit d’être contrôlée.

Ces constats nous amènent toutnaturellement à souhaiter ardemment, mais hors detoute polémique, le retour de l’université comme dispensatrice de formations spécialisées dans un esprit d’ouverture. Une répartition harmonieuse entre les structures privées et universitaires, ainsi qu’une reconnaissance réciproque permettront de retrouver un équilibre démographique en adéquation avec les besoins du terrain.

1 Direction générale de l’enseignement et de la recherche.

PIERRE-FRANÇOIS ISARD (L 72)

est spécialiste en ophtalmologie vétérinaire et exerce au CHV Saint-Martin (Haute-Savoie). Il préside le Syndicat des vétérinaires spécialistes français (SVSF), lequel regroupe les spécialistes de tous horizons (cliniciens, chercheurs publics ou privés, salariés de l’industrie), s’appuie sur les valeurs éthiques et déontologiques et promeut la pertinence scientifique en se reposant sur l’état de l’art, étayé par les publications référencées.