Les animaux, nos concitoyens en ce monde - La Semaine Vétérinaire n° 1745 du 21/12/2017
La Semaine Vétérinaire n° 1745 du 21/12/2017

ACTU

Sollicité par l’association One Voice sur le sujet du retrait des animaux sauvages dans les spectacles itinérants, le président de l’Ordre national des vétérinaires, Jacques Guérin, a répondu par un courrier synthétique pour confirmer l’adhésion de notre profession à la fédération vétérinaire européenne (FVE) et à ses décisions, pour promouvoir « l’interdiction de l’usage des mammifères sauvages dans le cadre de cirques itinérants qui ne peuvent satisfaire aux besoins physiologiques des animaux ». L’absence d’une virgule et le difficile art de la communication du troisième millénaire feront que, de l’accompagnement médiatique suivant cette lettre, associations et grands médias ne retiendront tantôt qu’un avis condamnant unilatéralement la présence de tout animal sauvage en cirque, tantôt qu’une position secondaire peu lisible, de la part d’une profession qui vient pourtant d’ajouter une valence “protection et bien-être” à son champ de compétences depuis la réforme des textes de 2015.

La place d’animal sauvage autour de l’homme, et particulièrement du citoyen français, est actuellement en train d’évoluer de manière rapide. La société s’est emparée du sujet, prenant souvent de court un État et une Administration non préparés, et laissant curieusement notre profession presque sans voix. Pourtant, les arguments déployés dans ces débats gravitent bien souvent autour de la santé et du bien-être animal, et des effets possiblement néfastes de certaines (voire toutes) conditions de captivité sur ce bien-être. Or, depuis des dizaines d’années, nous avons des consœurs et des confrères1 qui soignent, expertisent, voire gèrent des animaux sauvages en captivité. Leur expérience n’est pas modelée sur du ressenti, mais sur une approche rigoureuse et appliquée de l’art vétérinaire, une médecine de plus en plus pointue, pour laquelle existent deux collèges de spécialisations2, des journaux scientifiques peer-reviewed, des conférences internationales et un réseau très actif de praticiens. Cette médecine zoologique tient depuis longtemps compte du facteur stress comme un élément étiologique déterminant et elle inclut cette évaluation dans toute démarche diagnostique, avec une analyse précise des facteurs environnementaux et zootechniques, ces fameuses “conditions de vie” dont chacun s’approprie désormais la connaissance pleine et entière.

L’animal dit “de spectacle” est au centre des débats actuels. Le “spectacle” n’est étymologiquement que le fait de “se présenter au regard”, doublé de “la capacité d’éveiller un sentiment” (Larousse) : doit-on réellement exclure l’animal sauvage de ce concept entier, qui dépasse alors bien le monde circassien, ou bien n’est-ce pas la méthode et les moyens que nous devons adapter à l’évolution de nos connaissances ? Quels sont les composants particuliers qui fondent le bien-être de ces espèces sauvages ? Quels indicateurs nous permettent de les lire en se débarrassant de nos biais anthromorphiques et d’analogies erronées avec les espèces domestiques “similaires” ? Comment balayer ces sujets, du dauphin au vautour, des crocodiliens aux primates ? Au-delà de la médecine zoologique, d’autres spécialités vétérinaires, en comportement, en zootechnie, en environnement, mettent en place les démarches et les outils utiles à cette approche, déjà ardue chez les espèces domestiques : on peut désormais dire que le maillage scientifique vétérinaire autour de l’animal sauvage “non libre” est suffisamment robuste pour y pratiquer une approche fondée sur les preuves (la fameuse evidence based medecine) et déminer nombre de ces questions pièges. N’est-il pas alors paradoxal que la bibliographie sur laquelle repose la position de la FVE dans ces différents documents ne comporte quasiment aucune publication de rang A et s’appuie parfois sur des extraits de blogs ou de rapports d’associations de protection animale ?

Sans préjuger de l’issue de nos études ni des directions prises par la société, notre profession est en capacité de montrer la solidité de ses connaissances, de démontrer le travail sur les lacunes et d’apporter des éléments factuels, actuellement remplacés par des avis parfois partiaux, parfois abusivement grimés comme “scientifiques”, mais trop souvent généraux et écartés des vrais enjeux biologiques des espèces concernées. Notre diagnostic vétérinaire doit exister dans ces débats sociaux, peu importe qu’il en vienne à conforter ou à infirmer les nouvelles places relatives que l’on propose entre l’homme (urbain ?) et l’animal sauvage. Notre approche holistique de l’animal est impérieusement nécessaire et, avant que de proposer un arrêt brutal d’une activité ou d’une profession, couplée à l’euthanasie de ses animaux (dernière phrase de la position de la FVE), il n’est pas superflu de s’appuyer sur des analyses, des démonstrations objectives et de faire preuve, le cas échéant, d’une sollicitude d’accompagnement. Derrière l’animal sauvage dit “captif”, il y a une classe taxonomique, une espèce avec son statut de menace, mais aussi un individu... et des femmes et des hommes : chacun ne demande pas le même niveau de gestion, mais tous méritent une conscience scientifique, dont notre profession sait faire preuve.

1 Créée en 1996, l’Association francophone des vétérinaires de parcs zoologiques (AFVPZ) rassemble plus de 180 vétérinaires en 2017.

2 L’American college of zoological medicine (ACZM) aux États-Unis, depuis 1983, et l’European college of zoological medicine (ECZM, section Zoo Health Management) en Europe, depuis 2012.

ALEXIS LÉCU(A 96)

est directeur adjoint, directeur scientifique et responsable du service vétérinaire du Parc zoologique de Paris, mais aussi vétérinaire sanitaire de l’Aquarium tropical de la Porte Dorée. Il a plus de 20 ans d’expérience en médecine vétérinaire de la faune sauvage et des animaux de zoo. De 2010 à 2016, il a présidé l’Association francophone des vétérinaires de parcs zoologiques et, de 2012 à 2014, l’Association européenne des vétérinaires de zoos et de faune sauvage, pour laquelle il est toujours en charge des groupes de travail sur les maladies infectieuses et la tuberculose.