Oncologie vétérinaire : une spécialité émergente en France - La Semaine Vétérinaire n° 1745 du 21/12/2017
La Semaine Vétérinaire n° 1745 du 21/12/2017

ACTU

L’oncologie vétérinaire reste encore une spécialité mal connue du grand public en France. Pourtant, les cancers sont la première cause de mortalité des animaux de compagnie âgés de plus de 1 an, et une prise en charge spécialisée des animaux atteints de cancer est de plus en plus souvent souhaitée par les maîtres. La démarche clinique en cancérologie vétérinaire est très spécifique à la discipline. Le diagnostic d’un cancer s’établit toujours sur la base d’un examen morphologique et d’un bilan d’extension adapté. Les stratégies de traitement incluent différentes approches comme la chirurgie, les chimiothérapies (à doses maximales tolérées, métronomiques à la maison, les thérapies moléculaires ciblées), les radiothérapies (orthovoltage, curiethérapie, iodothérapie, ou mégavoltage à l’aide d’un accélérateur linéaire de particules), l’immunothérapie (notamment dans la prise en charge des mélanomes, mais également de certains lymphomes ou ostéosarcomes), sans négliger les médecines complémentaires, telles l’acupuncture ou la phytothérapie. Il existe un réel besoin des maîtres pour une prise en charge spécialisée et un accompagnement dans la démarche diagnostique, les différentes stratégies thérapeutiques, l’établissement d’un pronostic, et surtout le maintien d’une qualité de vie optimale jusqu’à la fin.

Une prise en charge globale de l’animal

Le vétérinaire oncologue propose une prise en charge de l’animal dans sa globalité, sans se concentrer exclusivement sur le traitement du cancer, intégrant ainsi d’éventuelles maladies intercurrentes à la stratégie thérapeutique. Il intervient en étroite collaboration avec le vétérinaire généraliste, dans le respect de la chaîne de soins et d’un lien de confiance établi.

Il n’existe pas de recettes préétablies permettant de traiter tel ou tel type de cancer, mais une réelle opportunité d’adapter à chaque patient des protocoles initialement standardisés, permettant d’offrir une approche personnalisée, adaptée et bien tolérée.

Le vétérinaire oncologue est le plus à même d’établir, en partenariat avec les pathologistes, un pronostic pour chaque animal, non pas en se basant exclusivement sur la nature de la tumeur, mais en considérant l’animal et ses comorbidités, les traitements mis en œuvre et les possibilités et souhaits des maîtres.

Une spécialité en cours de reconnaissance en France

De par la spécificité de sa démarche clinique et des traitements mis en œuvre, et d’une législation en vigueur particulièrement stricte en matière d’utilisation des cytotoxiques, nombre de praticiens vétérinaires considèrent l’oncologie comme un domaine à part de la médecine interne, et réfèrent leurs patients atteints de cancer à des spécialistes ou des centres de référés. Paradoxalement, pourtant, les instances vétérinaires officielles ne reconnaissent pas, pour l’instant, l’oncologie comme une spécialité, contrairement aux autres pays de l’Union européenne, entretenant une certaine exception française. Depuis 2011, pourtant, un programme de résidence Ecvim-CA1 Oncology est mis en place à VetAgro Sup. Une demande officielle auprès du Conseil national de la spécialisation vétérinaire a été initiée il y a quelques mois afin de faire reconnaître le titre de spécialiste en oncologie vétérinaire et de faire une distinction nette auprès du grand public entre un vétérinaire spécialiste (vétérinaire oncologue) et un praticien généraliste.

Une législation sur la chimiothérapie anti cancéreuse restrictive et délétère

La France s’est dotée, depuis 2009, d’une législation très stricte en matière de préparation, d’administration, et de gestion des déchets des agents de chimiothérapie anticancéreuse, freinant son application en pratique chez les animaux atteints de cancer. Cette législation a le mérite d’appliquer un principe de précaution afin de protéger les praticiens, le personnel et les propriétaires des résidus de ces agents cytotoxiques au potentiel cancérigène et tératogène certain ou suspecté. Elle est l’une des plus strictes au monde, notamment en matière d’hospitalisation obligatoire après chaque administration de chimiothérapie anticancéreuse, et freine l’application de ce type de traitement chez nombre de chiens et chats. Cette législation va au-delà des recommandations du collège de spécialistes Ecvim-CA Oncology, et au-delà de ce que les grands centres vétérinaires nord-américains, dont sont issues les principales études d’impact environnemental de la chimiothérapie anticancéreuse, appliquent.

Faire évoluer le cadre législatif

La liste positive des agents anticancéreux auxquels les vétérinaires praticiens ont accès n’a fait que s’amincir au cours des années (exclusion du 5-fluoro-uracil, par exemple), limitant toujours plus les protocoles de chimiothérapie applicables en France. Il est, par exemple, impossible de faire bénéficier les animaux atteints de cancer de l’utilisation de dacarbazine, pourtant d’intérêt majeur dans la prise en charge des mélanomes et des hémangiosarcomes, de procarbazine, d’actinomycine-D, de témozolamide, de PEG-asparaginase, d’intérêt majeur dans la prise en charge de certains lymphomes, de bléomycine, utile dans les protocoles d’électrochimiothérapie, ou bien encore de vinorelbine.

Certains médicaments de support, tels le dexrazoxane, l’acide zolédronique, le filgrastrim, ne sont pas accessibles aux vétérinaires, bien que pouvant aider l’animal atteint de cancer à mieux tolérer les protocoles de chimiothérapie et à mieux gérer la douleur cancéreuse.

Il paraît aujourd’hui nécessaire de faire évoluer ce cadre législatif afin de faire bénéficier chaque animal des protocoles les plus adaptés à la prise en charge de chaque cancer. Une réflexion nationale sur la création d’une réserve vétérinaire accessible exclusivement aux spécialistes doit être initiée, afin de rattraper un retard dans la prise en charge de l’animal atteint de cancer, que la France peine à rattraper.

1 Collège européen de médecine interne vétérinaire des animaux de compagnie.

DAVID SAYAG (LIÈGE 10)

est vétérinaire oncologue. Après avoir défendu un mémoire sur le diagnostic précoce des récidives des tumeurs colorectales chez le chien, il débute un cursus de spécialisation à l’université de Montréal (Canada). Il est ensuite chargé de consultation en médecine, urgences et soins intensifs à l’École vétérinaire de Toulouse, puis complète une résidence en oncologie des animaux de compagnie à VetAgro Sup, devenant ainsi en 2017 le premier diplômé français ayant validé son cursus de spécialisation en France dans cette discipline (Collège européen vétérinaire de médecine interne - oncologie).