ACTU
La mondialisation fait débat. L’opinion la plus répandue est qu’elle constitue une menace pour la sécurité, l’emploi, la santé, l’environnement, etc. Elle est certainement aussi une opportunité, mais les promoteurs de cette thèse sont plus silencieux, ou moins audibles.
L’accord entre l’Union européenne (UE) et le Canada a été au cœur de l’actualité de ces derniers mois. Pour répondre aux préoccupations citoyennes, le gouvernement a mandaté une commission de sages chargée d’évaluer les conséquences de ce fameux Ceta1, avant son entrée en vigueur provisoire le 21 septembre. Après une phase de concertation avec les parties prenantes, le Premier ministre a arrêté un plan d’actions pour le suivi du Ceta, et plus généralement pour le suivi des négociations commerciales en cours et à venir entre l’UE et les pays tiers. Le président de la République, lors du Conseil européen du 20 octobre, a souhaité « une réforme de notre politique commerciale, qui repose sur des accords commerciaux fondés sur l’équité et la réciprocité (…) ».
La confiance n’exclut pas le contrôle
Les questions sanitaires et vétérinaires n’ont pas échappé à la revue méthodique de la commission Ceta. Elles conditionnent en effet, pour une grande part, les échanges de produits agricoles et agroalimentaires entre les deux rives de l’Atlantique, comme d’ailleurs entre tous les pays du monde. Que dire au bilan ? Il n’y a pas péril. Mais la vigilance reste de mise.
Cet accord de libre-échange (ALE) est sans doute le meilleur (ou le moins mauvais, selon le point de vue…) négocié jusqu’à présent par l’Union. Il consacre notamment le respect des normes sanitaires internationales (OIE2, codex alimentarius) et illustre la confiance réciproque dans la gouvernance et les systèmes de sécurité sanitaire. C’est particulièrement important en situation de crise. Par exemple, le principe de régionalisation des maladies animales : un foyer d’influenza aviaire circonscrit dans un département n’entraînera pas la suspension de toutes les exportations françaises vers le Canada. Autre exemple : un statut sanitaire favorable accordé par l’OIE (indemne de peste porcine, par exemple) sera automatiquement reconnu.
Mais la vigilance reste de mise, parce que les législations de part et d’autre ne sont pas identiques. Ces différences, qui peuvent trouver leur origine dans ce que notre jargon appelle les “préférences collectives”, sont actées. Par conséquent, chacun conserve le droit souverain d’autoriser ou pas les OGM3 ou les hormones de croissance. Mais la confiance n’exclut pas le contrôle, et nous devrons régulièrement nous assurer que la traçabilité au Canada permet de faire correctement le tri entre les produits éligibles au marché européen et les autres.
Chacun voit midi à sa porte
Il ne s’agit pas de juger de la pertinence ou de l’opportunité de nos préférences, de savoir si elles sont scientifiquement fondées ou reflètent les caprices de pays riches. Elles sont le résultat d’arbitrages politiques, souvent difficiles, qui nous regardent. Les états généraux de l’alimentation ont démontré une fois de plus combien notre alimentation est au cœur des préoccupations de la société française. Chacun voit midi à sa porte, l’adage est encore plus vrai dans les négociations internationales, et pas seulement à cause des décalages horaires ! Il est donc logique que les préférences collectives restent à l’écart des accords commerciaux.
Pour revenir à l’enjeu de protection sanitaire, rappelons que les crises que l’Union a connues à la fin du siècle dernier l’ont amenée à adopter des législations très complètes, “de la fourche à la fourchette”. En la matière, nous avons certainement les règles les plus sévères au monde. Ces exigences coûteuses pour les agriculteurs, les éleveurs, les artisans, les industriels, les commerçants sont faites pour sécuriser leurs clients, à toutes les étapes, jusqu’au consommateur final.
Les mêmes exigences, scientifiquement fondées, doivent naturellement s’imposer aux produits importés dans l’Union. C’est un principe fort – et légitime – du droit européen, reconnu au niveau international (OMC4). Pourtant l’expérience montre qu’il souffre de certaines exceptions. Par exemple, en interdisant il y a plus de dix ans l’utilisation des antibiotiques comme promoteurs de croissance en élevage, l’UE s’est abstenue d’adopter une mesure miroir à l’importation. Pourquoi ? Sans doute parce que le sujet ressemblait trop à celui des hormones (on se souvient du contentieux perdu à Genève) et qu’à l’époque, on ne savait pas bien s’il fallait ranger la décision dans la catégorie des précautions sanitaires ou dans celle des préférences collectives. Aujourd’hui, alors que l’antibiorésistance est devenue un enjeu de santé publique mondial, et que l’utilisation non thérapeutique d’un antibiotique est le mésusage par excellence, la réponse serait univoque.
Raison pour laquelle, en cohérence avec son plan d’actions ÉcoAntibio, la France plaide pour un renforcement du chapitre importations des règlements sur les médicaments vétérinaires et les aliments médicamenteux qui sont en discussion à Bruxelles. On est encore loin du consensus. La Commission européenne est réticente, craignant la réaction hostile des pays tiers exportateurs. Car il y a évidemment un enjeu économique. Et c’est là que le bât blesse pour l’Union européenne : moindre protection sanitaire aux frontières, moindre compétitivité de ses éleveurs. Double peine ? Les négociations continuent, nous ne lâchons pas prise.
L’UE est un espace économique largement ouvert aux importations. En même temps, les Européens exportent beaucoup. Dès lors, on comprend que deux logiques s’affrontent : être très strict à ses frontières sur le plan sanitaire, c’est prendre le risque de voir celles des autres se fermer.
En pratique, confrontés à divers embargos injustifiés (influenza aviaire, ESB5, pour citer les principaux) et aux difficultés à conclure des protocoles sanitaires pour exporter, nous constatons chaque jour à la Direction générale de l’alimentation qu’il est souvent plus facile de faire rentrer des produits agricoles et alimentaires sur le territoire européen que de les en faire sortir. En effet, la Commission européenne autorise – sur un plan sanitaire – les importations en suivant une procédure juridique qui ignore les contraintes pesant sur les exportations. D’où un risque élevé de déséquilibre et d’absence de réciprocité.
L’union fait la force
Pour tenter de corriger cette situation, la France, soutenue par dix États membres, a proposé au groupe des chefs des services vétérinaires (CVO) à Bruxelles de mettre en place une méthode de travail visant à rapprocher les deux domaines import et export, qui s’ignorent. Gageons que les choses vont bouger. Dans son discours sur l’état de l’Union au Parlement européen le 13 septembre, même s’il ne pensait pas nécessairement aux normes sanitaires, le président Juncker déclarait que « réciprocité il doit y avoir ; il faut obtenir ce qu’on donne ».
Au-delà des multiples considérations techniques, la négociation d’un accord commercial est un exercice éminemment politique. Il le sera davantage encore pour nous Français, après l’épisode du Ceta. Le plan d’actions gouvernemental évoqué plus haut prévoit davantage de transparence. C’est nécessaire, car on accepte rarement ce qu’on ne voit ou ne comprend pas.
C’est la Commission qui est à la manœuvre et qui négocie, après avoir reçu un mandat du Conseil des ministres de l’UE. Cependant, le poids politique de l’Union laisse toujours perplexe face à des poids lourds comme la Chine, la Russie, les États-Unis, le Mercosur6, etc. Nous sommes pourtant nombreux, aujourd’hui 28, demain 27, autour de la table. Sauf que ce n’est pas le nombre qui fait la force, c’est l’union. Et là, il reste encore du chemin à parcourir…
L’Union post-Brexit peut-elle être plus forte, après qu’un membre aussi important que le Royaume-Uni l’aura quittée ? Première réponse : non sans doute, surtout si d’autres pays se laissaient tenter par la même aventure solitaire. Réponse alternative : oui peut-être, parce que ce sont les blocages à répétition du sortant qui ont empêché l’Union d’avancer. Le Brexit ne serait donc pas le problème, mais la solution ? En réalité, aujourd’hui personne n’en sait rien, nous verrons bien.
Quoi qu’il en soit, face à la complexité des enjeux et des intérêts, nous n’avons pas d’autre choix, si nous voulons peser sur la scène internationale, que d’agir plus groupés et unis que jamais. L’Union européenne est à la croisée des chemins. Le défi est immense, mais il n’est plus temps de tergiverser : il faut le relever ! En n’oubliant pas en route les citoyens.
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1 Comprehensive Economic and Trade Agreement.
2 Organisation mondiale de la santé animale.
3 Organismes génétiquement modifiés.
4 Organisation mondiale du commerce.
5 Encéphalopathie spongiforme bovine.
6 Marché commun du Sud.
LOÏC ÉVAIN(N 87)