ACTU
Comme dirait Obélix, « je suis tombé dedans quand j’étais tout petit » ! Après avoir été attiré par tritons, crapauds, grenouilles et orvets, j’ai été subjugué par la première couleuvre que j’ai observée dans la nature. De cette rencontre est née la passion que je nourris depuis une quarantaine d’années pour ces animaux fascinants. Plus tard, dans les couloirs de l’école, dans les années 1980, je faisais figure d’étudiant excentrique, en particulier quand je manipulais des serpents, parfois dangereux, pour bûcher sur ma thèse de doctorat vétérinaire. Soigner des reptiles ? Pensez-vous ! À l’époque, cela ne faisait qu’une dizaine d’années que l’on se penchait sur les soins prodigués aux chats, qui, jusqu’alors, vivaient leurs petites vies de prédateurs dans les cours de fermes ! Alors, les reptiles, ces mal-aimés du règne animal, n’y pensez pas… Et pourtant, cela faisait déjà plusieurs années que des confrères américains s’adonnaient à cette médecine dite herpétologique.
Dans les années 1990, mon épouse m’a offert pour un anniversaire la “bible” de l’époque : Biomedical and Surgical Aspects of Captive Reptile Husbandry, en deux volumes, de notre confrère anatomo-pathologiste Fredric Frye (le grand-père de l’herpétologie vétérinaire). Ce premier textbook en la matière m’a alors ouvert les portes de cette discipline et les congrès du Genac1 (avec Michel Bellangeon, Didier Boussarie, Franck Rival, Yves Firmin, Jean-Marie Péricard et Régis Cavignaux) m’ont renforcé dans mon désir de soigner ces animaux, dans une ambiance amicale mais studieuse. En 1998, mon premier congrès aux États-Unis (la NAVC2 d’Orlando) m’a fasciné de par la grandeur de l’événement et la qualité des cours et TP dispensés sur place. J’ai ensuite assisté, puis rapidement participé, en tant que conférencier, à divers congrès américains consacrés aux animaux exotiques “de compagnie”. Premières conférences aux États-Unis, publications, instructeur de workshops, etc. : l’aventure avait démarré.
Une discipline en perpétuelle évolution
Depuis ces deux dernières décennies, la médecine et la chirurgie des reptiles ont connu un essor extraordinaire sur le plan scientifique. Cette évolution tient surtout au fait que l’on est parti de zéro dans les années 1980 ! De congrès en congrès et de publications en publications, d’énormes progrès ont été accomplis pour percer les mystères de la biologie de ces animaux, afin de mieux appréhender leurs besoins en captivité et de comprendre leur pathologie. De nombreux programmes de recherche à travers le monde ont permis des avancées extraordinaires dans tous les domaines de l’herpétologie vétérinaire, mais en particulier en virologie, en pharmacologie et en imagerie médicale. C’est ce vivier de connaissances en constante ébullition qui est stimulant ! Mais ce sont aussi les terrariophiles eux-mêmes qui stimulent ce besoin de progrès scientifique. Ces propriétaires de reptiles sont de plus en plus nombreux et de plus en plus attentifs au bien-être de leurs pensionnaires. Ils se tournent désormais vers notre profession avec espoir, conscients qu’aujourd’hui, un reptile malade n’est pas un reptile mort et que nombre de praticiens sont habilités à leur fournir des solutions thérapeutiques aux quatre coins de l’Hexagone. À ces particuliers amateurs s’ajoutent maintenant des éleveurs professionnels et des animaleries spécialisées qui ont à cœur de bien faire, de préserver leurs cheptels de valeur et de vendre à leurs clients des animaux en bonne santé. Tous ces acteurs du marché terrariophile participent à l’essor de cette discipline en perpétuelle évolution.
L’exercice chiens-chats-reptiles au quotidien : l’intérêt d’un exercice non exclusif
Au risque de me heurter à certains avis contradictoires, je suis d’avis que la pratique de la médecine et de la chirurgie des NAC ne doit ni s’éloigner de la canine ni s’en dissocier. Je dirais même qu’elle doit s’en nourrir au quotidien. Tout ce que nos professeurs nous ont appris pendant ces longues années d’études ne doit pas être mis radicalement de côté quand on “fait du NAC”. Les connaissances accumulées pour le bien-être de nos carnivores domestiques de compagnie doivent être transversales et mises à profit quand on consulte un serpent, un iguane ou une tortue. Très souvent, à l’école, en consultation avec les étudiants, je les incite à réfléchir comme s’ils soignaient un chien ou un chat sur leur table d’examen et à utiliser les mêmes préceptes inculqués pour mener à bien un examen clinique complet.
Personnellement, même si je suis spécialiste diplômé en herpétologie, j’ai pris l’option de ne pas me détourner de mes premières amours, à savoir la canine. D’abord parce que cet exercice me plaît tout autant, mais aussi parce qu’il permet de conserver une certaine méthodologie diagnostique, que mon CEAV3 de médecine interne m’a apprise. D’ailleurs, les recommandations du Collège européen de médecine zoologique, pour pouvoir exercer en qualité de spécialiste, ne sont-elles pas de consacrer 60 % de son temps (et non pas 100 %) à sa discipline ? Mes deux résidents ne font pas que de l’herpétologie à la clinique et je les y incite.
Pour les spécialistes en canine, le problème est totalement différent : le choix de leur spécialité ne les éloigne pas de leur formation initiale.
Pour étayer mon propos, j’ajouterais que je collabore depuis des années avec le Pr Valérie Chetboul à l’UCA de l’ENVA4 sur un programme de recherche en cardiologie appliquée aux reptiles. Ses immenses connaissances en cardiologie des carnivores domestiques me sont indispensables pour comprendre la cardiologie de reptiles et notre travail collégial est fructueux, chacun apportant sa pierre à l’édifice.
Je suis parfois effaré d’entendre de jeunes diplômé(e)s à peine sorti(e)s de l’école me dire : «
Moi, je ne veux faire que du NAC
». J’essaie de leur faire comprendre que l’exercice traditionnel doit, du moins dans un premier temps, conserver toute son importance, ne serait-ce que pour postuler pour une résidence en vue de se spécialiser, puisque le prérequis pour candidater est de suivre un internat multidisciplinaire de 12 mois minimum en canine dans une structure agréée ! Libre à eux, ensuite, de faire le choix d’un exercice exclusif ou pas.
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1 Groupe d’étude des nouveaux animaux de compagnie.
2 North American Veterinary Community.
3 Certificat d’études approfondies vétérinaires.
4 Unité de cardiologie de l’École vétérinaire d’Alfort.
LIONEL SCHILLIGER(N 89)