Vous avez dit compagnons ? - La Semaine Vétérinaire n° 1745 du 21/12/2017
La Semaine Vétérinaire n° 1745 du 21/12/2017

ACTU

Combien de fois n’ai-je prononcé ces phrases idiotes : « C’est plus comme avant »ou, pire : « Les jeunes ne veulent pas bosser comme nous »… Je ne les prononce plus et les remplace par : « La vie, c’est s’adapter » et : « Les jeunes et nous avons à apprendre ensemble ! »

Si une bonne dose de positivisme ne peut nuire, il reste quelques difficultés et les décrire pour mieux les analyser me semble utile pour avancer et tenter d’appréhender à quoi le vétérinaire de demain ressemblera ! Pour faire court, réveiller notre solidarité me semble aujourd’hui juste une urgence.

Comment ne pas être impressionné par tous les bouleversements que nos jeunes consœurs et confrères doivent encaisser ou dont ils sont parfois eux-mêmes les principaux acteurs ? Toujours plus de contraintes et de paperasse : tous d’accord, mais aussi tous d’accord pour plus de sécurité alimentaire et moins d’infections nosocomiales ! Alors, accompagnons et communiquons.

Nos jeunes se servent désormais autant de leur portable pour communiquer que pour jouer. Alors jouons avec eux pour l’apprentissage des fondamentaux et essayons de mettre un terme à l’unique apprentissage d’un maître de plus en plus spécialisé, voire “spacialisé”, qui délivre un savoir si précis que le jeune ne peut plus hiérarchiser et demande un bilan complet avec PCR1 avant de regarder une muqueuse… Facile à dire, car repenser tout l’enseignement avec interactivité, jeux et travail en petits groupes va demander un travail colossal aux enseignants… Des applications médicales sur smartphone font déjà la preuve de leur efficacité : rééducation du poignet par jeu, simulations ludiques 3D pour les jeunes chirurgiens humains en célioscopie, jeux vidéo médicaux (comme Microbe Invador). Il me semble que tous les moyens sont bons pour réapprendre à hiérarchiser l’information au service de notre principale bouée de sauvetage : le diagnostic.

La France s’est engagée avec grand retard dans la spécialisation vétérinaire, a même créé des DESV2 franco-français sans aucune reconnaissance internationale, mais a, du coup, me semble-t-il, bien compliqué le positionnement des jeunes généralistes, pluri- ou même mono-espèce, qui perdent très vite leur reconnaissance professionnelle. Comment trouver sa place entre des confrères plus jeunes et spécialisés après dix ans d’études – parfois hors-sol – et des plus anciens, qui ont la chance d’être juste plus expérimentés et auraient le privilège de la connaissance puisque, selon Einstein, tout le reste n’est qu’information… Si l’on rajoute l’exigence clientèle, la crise économique récente et le stress professionnel croissant, c’est aussi toute la reconnaissance sociétale qui est en jeu. Il nous faut rappeler combien il est bien plus difficile d’être un bon praticien généraliste qu’un spécialiste et que sans généralistes, le spécialiste sera bien seul. Dans notre microdomaine des vétérinaires équins, les suicides récents de confrères passionnés par leur métier nous ont forcément interpellés, mais il faut aller plus loin et peut-être en tirer des leçons.

Dans certains domaines de notre profession, il ne me semble pas que la potentielle cohérence de la politique nationale soit aujourd’hui de nature à favoriser la cohésion : absence de réflexion stratégique nationale, multiplicité des interlocuteurs, compétition entre régions, voire entre écoles vétérinaires. Peut-être pourrait-on parfois se poser en amont la question : de quoi le pays a-t-il vraiment besoin dans une Europe pour le moment davantage source de concurrence vétérinaire que d’opportunités ? Si plusieurs écoles vétérinaires privées européennes, aux coûts d’études exorbitants, remplissent des classes avec plus de la moitié de jeunes Français, c’est peut-être que la passion du métier est bien vivante, mais que quelque chose peut être amélioré.

Alors, face à ces quelques constats, n’est-ce pas aux plus expérimentés de s’adapter à la jeunesse et de remettre un peu de cohésion chaque fois que nécessaire : cohésion des apprentissages transversaux, cohésion générationnelle, cohésion nationale ?

La France est un des pays comprenant le plus d’associations, certes pour qu’il y ait beaucoup de présidents, mais aussi parce que c’est une bonne façon de créer du lien !

Adaptation, expérience et cohésion ne pourraient-elles pas ressusciter notre magnifique socle perdu du compagnonnage ?

1 Polymerase chain reaction.

2 Diplôme d’études spécialisées vétérinaires.

JEAN-MARC BETSCH (A 86)

est praticien équin, chef de centre, ancien interne de l’université de Pennsylvanie et certifié de l’International Society of Equine Locomotor Pathology (Iselp). Administrateur de l’Association vétérinaire équine française (Avef), ses principales activités sont aujourd’hui l’évaluation du système locomoteur/médecine sportive et la chirurgie des appareils locomoteur et respiratoire supérieur.