ENTRETIEN AVEC GISÈLE GRANCHAMP
ACTU
Auteur(s) : TANIT HALFON
La commandante vétérinaire Gisèle Granchamp s’est rendue à Saint-Martin, dans les Antilles françaises, après le passage de l’ouragan Irma. Entre soutien à la population locale, aide aux animaux blessés et interventions en lien avec la santé publique, elle nous relate son expérience.
Dans quel cadre êtes-vous intervenue à Saint-Martin ?
Au départ, je suis partie avec pour mission d’encadrer les équipes cynotechniques des sapeurs-pompiers de la Guadeloupe. En effet, depuis 11 ans, j’exerce la fonction de conseiller technique cynotechnique du SDIS1 Guadeloupe en même temps que mes fonctions de vétérinaire sapeur-pompier. Après le passage d’Irma, divers détachements guadeloupéens ont été envoyés sur l’île de Saint-Martin pour aider la population. J’étais dans le 2e détachement, parti le jeudi 7 septembre, un premier ayant été dépêché sur place avant le passage de l’ouragan. J’y suis restée pendant 10 jours. Très rapidement, mon rôle d’encadrant a évolué vers des missions en santé publique et en santé animale.
En quoi a consisté votre mission en santé publique ?
Contrairement à ce qui était prévu au départ, je me suis vu confier dès le premier jour une nouvelle mission, sous l’ordre du directeur des secours médicaux, qui était d’évaluer les risques sanitaires de l’île et de lister les actions à mener, le rapport devant être rendu le soir même. Pour ce faire, accompagné d’un sapeur-pompier saint-martinois, nous avons fait une reconnaissance de toute l’île et pu rapporter les actions à mener en urgence, que ce soit par nous-mêmes ou par d’autres détachements. J’ai ainsi identifié cinq points pour lesquels une action urgente était à entreprendre. Le premier concernait les déchets de toutes sortes qui s’accumulaient, sans tri, devant les habitations, dans les canaux d’évacuation de l’eau, etc. Un des risques étant la multiplication des animaux nuisibles, comme les rats, ou encore des moustiques, via l’eau stagnante. Face à l’absence d’électricité se posait ensuite un problème de nourriture avariée dans les chambres froides des hôtels, des restaurants, etc. De nombreux cadavres d’animaux jonchaient également le sol, à proximité des maisons, des routes. Si l’arrivée rapide d’eau en bouteille a permis de régler la pénurie d’eau de boisson, la situation était plus compliquée pour l’eau sanitaire. Autre souci, la divagation d’animaux faisait craindre des accidents sur les voies publiques, par exemple. Enfin, certains élevages avaient été endommagés, et les animaux de rente risquaient de manquer d’eau et de nourriture. Il faut bien comprendre que, dans ce travail, l’important était de hiérarchiser les problématiques et les zones à traiter en priorité.
Une fois les constats établis, quelles actions avez-vous menées ?
Je suis intervenue, avec un collègue pompier, auprès des éleveurs, afin d’évaluer les dégâts de leurs structures, leurs pertes, de les conseiller et, surtout, de les soutenir. Nous revenions les voir régulièrement pour suivre l’évolution de leur situation. Nous faisions aussi beaucoup de porte-à-porte pour retrouver les propriétaires d’animaux divagants, afin qu’ils rétablissent les clôtures, de voir ce dont ils avaient besoin et dans quelles mesures nous pouvions les aider. Nous avons également dû brûler plusieurs cadavres d’animaux rencontrés sur notre route ou que d’autres unités nous signalaient, ainsi que de la nourriture avariée. Nous avons contrôlé la cuisine centrale, qui dispensait les repas aux secouristes (pompiers, gendarmes, sécurité civile, etc.). Il m’arrivait aussi de devoir soigner des animaux blessés, sachant que, très rapidement, les vétérinaires locaux ont rouvert leurs structures, pour quelques heures par jour. Globalement, nous apportions un soutien moral et technique à la population, et les gens étaient reconnaissants du fait de cette proximité.
Quel bilan tirez-vous de votre expérience à Saint-Martin ?
J’en sors épuisée, mais très satisfaite, car j’ai le sentiment que nous avons été utiles à une population qui était choquée, perdue. Je compte d’ailleurs retourner à Saint-Martin en janvier, afin de constater l’évolution de la situation. De plus, j’espère que mon expérience mettra en lumière la légitimité du vétérinaire en tant que sapeur-pompier. Malgré un combat mené par différents confrères depuis plusieurs années, notre profession souffre d’un manque de reconnaissance, à la différence des métiers d’infirmier, de médecin ou de pharmacien. En tant que vétérinaire sapeur-pompier, nous savons et pouvons réaliser beaucoup de choses. Je crois que cette expérience pendant laquelle j’ai été fortement sollicitée, notamment en dehors du cadre de ma mission de départ, en est le parfait reflet.
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Propos recueillis par Tanit Halfon
1 Service départemental d’incendie et de secours.