La stérilisation juvénile féline en pratique - La Semaine Vétérinaire n° 1746 du 06/01/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1746 du 06/01/2018

CONFÉRENCE

PRATIQUE CANINE

Formation

Auteur(s) : CHARLOTTE DEVAUX  

Et si l’habitude de la stérilisation à l’âge de 6 mois faisait le lit de la surpopulation féline ? Une étude de l’université de Bristol1, au Royaume-Uni, a montré que bien que 99 % des chats soient stérilisés au cours de leur vie, pratiquement 20 % des chattes ont une portée avant la stérilisation, dont 75 % de portées non souhaitées. En effet, hors du cadre de l’élevage, la reproduction des carnivores domestiques n’est, bien souvent, pas désirée par leur propriétaire. Les animaux se retrouvent alors errants ou sont envoyés en refuge. Entre juin et septembre, la surabondance de chatons par rapport aux possibilités d’adoption remplit les fourrières, et ceux qui ne se retrouvent pas dans des refuges-fourrières (associations pratiquant le “no-kill”, Société protectrice des animaux [SPA], etc.) ou qui n’ont pas de place en refuge seront euthanasiés. Les programmes de stérilisation à grande échelle permettent de diminuer le nombre d’admissions au sein des refuges, mais aussi celui d’euthanasies. En sachant que, pour la gestion des populations errantes, il est plus efficace de stériliser les chats de moins de 1 an que les adultes et que, même en refuge, l’adoption a de plus grandes chances d’aboutir si l’animal est déjà stérilisé.

Un procédé banal dans de nombreux pays

Dans l’espèce féline, la puberté survient le plus souvent entre 5 et 8 mois. Cependant, des gestations peuvent avoir lieu chez certaines chattes dès l’âge de 4 mois. C’est pourquoi le Cat Group 2 recommande depuis 2006 la stérilisation féline à partir de 4 mois. En effet, les études à court et long termes ne montrent aucun avantage physique ou comportemental à pratiquer la stérilisation à 6 mois. En revanche, les bénéfices de la stérilisation juvénile sur le contrôle de la surpopulation féline et sur la prévention des euthanasies pour indésirabilité sont bien établis. Aux États-Unis, la stérilisation juvénile est pratiquée depuis plus de 25 ans, avec un recul de millions de chats concernés. Au Royaume-Uni, cette pratique est recommandée depuis 11 ans. En Belgique, pour enrayer la surpopulation féline, la stérilisation de tous les chats de compagnie non destinés à l’élevage est obligatoire entre 8 semaines et 6 mois. Même en France, la stérilisation juvénile est réalisée depuis plus de 20 ans par des praticiens et certains refuges3. Toutes les données qui existent sont en faveur d’une généralisation de cette pratique dans une optique de bien-être animal, et une table-ronde vétérinaire a dès lors été organisée sur le sujet par notre consœur Anne-Claire Gagnon sous le parrainage du Conseil national de la protection animale et avec le soutien de SantéVet et de Vétoquinol, les 18 et 19 octobre derniers, à Paris. Le but était de répondre aux interrogations techniques des vétérinaires, mais aussi des éleveurs et des propriétaires, et de leur fournir tous les éléments utiles pour une stérilisation juvénile des chats au quotidien.

La stérilisation juvénile en pratique

Quand un chaton est amené en consultation à l’âge de 2 mois pour son premier vaccin, puis à 3 mois pour le rappel, quoi de plus facile que de prendre rendez-vous pour une stérilisation 1 mois plus tard ? De plus, cela évite la perte éventuelle du client. Chez les chatons errants, la stérilisation est pratiquée dès l’âge de 8 semaines ou à partir d’un poids de 800 g. Pour l’anesthésie, l’idéal est d’apporter de l’oxygène (par exemple à l’aide d’un masque). La fluidothérapie étant difficile à mettre en place, les anti-inflammatoires non stéroïdiens sont déconseillés et les morphiniques comme la buprénorphine leur sont substitués. Dans les refuges de la RSPCA (SPA britannique), le protocole Quad est utilisé. Il consiste à mélanger de la médétomidine (1 mg/ml), de la kétamine (100 mg/ml), de la buprénorphine (0,3 mg/ml) et du midazolam (5 mg/ml) à parts égales dans un flacon, et à administrer le produit obtenu par voie intramusculaire. Une application4 existe pour calculer les doses nécessaires en fonction du poids du chaton (Kitten Quad). Le jeûne préanesthésique est limité à 3 heures et la réalimentation est possible dès le réveil. Les chatons d’une même portée sont gardés ensemble avant l’opération pour limiter le stress et au réveil pour mieux gérer l’hypothermie. Celle-ci est aussi prévenue par une tonte minimale, l’utilisation d’un tapis chauffant lors de l’opération, et de papier bulle ou d’une couverture de survie au moment du réveil. Les solutés alcooliques sont à éviter pour la désinfection. Une vidange préalable de la vessie facilite l’intervention chirurgicale et prévient également le refroidissement éventuel de l’animal pour le cas où elle se viderait pendant l’opération. La seule contre-indication à la chirurgie juvénile est la cryptorchidie chez le mâle. Pour les autres animaux, la meilleure technique chirurgicale est celle qui est la mieux maîtrisée par le chirurgien. De nombreuses ressources sont disponibles en ligne sur YouTube ou sur le site Kind.cats.org.uk.

Un intérêt dans la prévention de l’obésité

L’avantage de la stérilisation juvénile pour la protection animale ou le vétérinaire (acte plus rapide en raison de la présence de moins de graisse chez le jeune) est aisé à comprendre. Un bénéfice est aussi démontré pour le propriétaire. En effet, les études relèvent des effets secondaires moindres à la suite de la chirurgie juvénile. De plus, l’absence de pansement ou de collerette augmente le confort de l’animal. Deux études récentes5 suggèrent un bénéfice encore plus important pour le chat et son propriétaire : la stérilisation juvénile permettrait un meilleur contrôle du poids postgonadectomie, en limitant la phase d’hyperphagie à la suite de l’opération. Cet impact sur le contrôle du poids est aussi rapporté par les praticiens félins qui réalisent une stérilisation précoce depuis de nombreuses années. D’autres essais sont nécessaires pour confirmer cette tendance. Si l’avantage de la stérilisation juvénile est avéré sur la prévention de l’obésité, ce serait un argument majeur en sa faveur. En attendant, il est d’ores et déjà possible de rassurer les propriétaires sur l’absence d’incidence délétère de cette pratique sur la croissance ou le risque éventuel d’obstruction urétrale. La stérilisation retardant la fermeture des cartilages de croissance, cette dernière en serait même plus importante, un élément apprécié des éleveurs pour les phénotypes tels que les maine coons et les norvégiens !

1 Bristol Cats Study : bit.ly/2CU7tfp.

2 Le Cat Group regroupe la British Small Animal Veterinary Association (BSAVA), l’International Society of Feline Medicine (ISFM) et toutes les associations de protection animale dont Cats Protection et la Société protectrice des animaux britannique.

3 Voir page 20 de ce numéro.

4 www.kind.cats.org.uk ou les trois versions Windows, PC et Apple : www.bit.ly/2FjShqC, www.bit.ly/2mi1rf3, www.apple.co/2AIMPK6.

5 Allaway 2016 et 2017 : www.bit.ly/2CHzW4T et www.bit.ly/2mhrvqV.

Article rédigé d’après une table ronde organisée par Anne-Claire Gagnon, sous le parrainage du Conseil national de la protection animale et avec le soutien de SantéVet et de Vétoquinol, à Paris, en octobre 2017.