DOSSIER
Auteur(s) : SERGE TROUILLET AVEC CLARISSE BURGER
Pour faire face à l’émergence de nouveaux risques sanitaires, une démarche conjointe des acteurs de la santé animale, de la santé humaine et de l’environnement est essentielle. Les vétérinaires y contribuent activement, au travers de nouveaux projets européens de recherche, de collaborations interdisciplinaires et internationales, de nouveaux cursus dans l’enseignement supérieur vétérinaire, agronomique et de santé publique. Tour d’horizon.
Le concept One Health et ses “cousins” Eco Health et Global Health se positionnent à l’interface entre homme, animal et écosystème. Il s’agit d’atteindre une condition de santé globale par les moyens de l’éducation et de la recherche. Pour ce faire, la collaboration scientifique et politique doit, selon ces concepts, primer la spécialisation, la catégorisation, les frontières entre disciplines, le réductionnisme, la dispersion épistémologique. Le concept One Health, proposé en 2004 par la Wildlife Conservation Society (WCS), est originellement centré sur la santé humaine, les affections d’origine infectieuse et les zoonoses. Il est aujourd’hui soutenu par des institutions internationales telles l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE), l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et l’Organisation mondiale de la santé (OMS). « Tous les infectiologues connaissent l’importance de la relation médecine humaine-médecine animale et la place des vétérinaires dans la chaîne de transmission des agents pathogènes par diverses voies, principalement vectorielles. Le slogan One Health, “une seule santé”, est adopté par tous les spécialistes », explique Marc Gentilini, président honoraire de l’Académie nationale de médecine et de la Croix-rouge française, dans sa chronique publiée dans le numéro spécial de La Semaine Vétérinaire, en décembre dernier1.
En 2006, le projet Eco Health de l’International Association for Ecology and Health est soutenu par divers organismes, comme en France par l’Institut de recherche pour le développement (IRD), aux États-Unis par la Fondation Bill et Melinda Gates, etc. C’est une discipline en émergence à l’interface de l’écologie, des sciences de la santé et du développement durable. Quant au Global Health, un courant porté par plus de 150 universités dans le monde, il se constitue en approche disciplinaire (de nombreux programmes de masters Global Health sont aujourd’hui offerts par des établissements), avec une vision intégrative, internationale et éthique.
À l’échelle mondiale, les risques potentiels de crises sanitaires sont innombrables. Aussi le concept One Health est-il porté « par une coalition de gens suffisamment conscients de ces risques, suffisamment informés pour essayer de les affronter, et suffisamment solidaires les uns des autres pour conduire des actions communes », commente André-Laurent Parodi, président honoraire de l’Académie nationale de médecine et de l’Académie vétérinaire de France. Au cours des quatre dernières décennies, rappelle-t-il, « le monde a connu, en moyenne, une pandémie émergente chaque année ; depuis 1970, environ 335 maladies nouvelles ou occasionnées par de nouveaux agents pathogènes sont apparues, 75 % de ces maladies étant d’origine animale ».
Mais le fait nouveau tient dans la répétition de ces événements sanitaires, notamment les épidémies d’origine animale dont celle à virus Zika et la fièvre hémorragique à virus Ebola sont les derniers avatars. Cela a conduit à rechercher les conditions susceptibles d’en favoriser l’émergence et la diffusion. Certaines ont été créées par des évolutions récentes et souvent profondes des sociétés humaines : explosion démographique, vieillissement de la population, augmentation exponentielle des déplacements, notamment de populations précaires, occasions de contacts entre humains et animaux, évolution des modes d’élevage des animaux, etc.
Pour autant, la composante qui attire le plus l’attention des épidémiologistes est celle des perturbations environnementales, avec leurs conséquences sur la biodiversité. Quelques exemples. En raison du réchauffement climatique, le moustique tigre (Aedes albopictus), vecteur de la dengue et du chikungunya, a émergé dans le Sud de la France en 2010. À cause de la déforestation, le virus Nipah est apparu chez les hommes en Malaisie en 1998 ; ils avaient été infectés par les porcs du village dont la nourriture l’avait été elle-même par des chauves-souris frugivores, réservoirs naturels de ce virus, chassées de leur habitat.
La déforestation, par ailleurs, contribue sans doute à l’accroissement de la maladie de Lyme aux États-Unis : en provoquant l’appauvrissement des populations d’opossums, principal réservoir de Borrelia burgdorferi, l’agent de la maladie, elle a conduit les tiques vectrices, faute d’opossums, à se tourner vers un petit rongeur, la souris à pattes blanches, laquelle est un réservoir bien plus riche en agents infectieux, ce qui entraîne un pouvoir contaminant plus élevé de la morsure de tique. « Changement climatique, déforestation, travaux d’irrigation, fournissent une multitude d’exemples convaincants qui illustrent bien, observe André-Laurent Parodi, les interrelations entre santé animale, santé publique et environnement, dans l’émergence de nouveaux risques ou de leur plus grande acuité. »
Les protagonistes et fondateurs du concept One Health (OIE, FAO, OMS) s’attachent aujourd’hui à évaluer l’impact de ces perturbations de l’environnement sur l’apparition des événements sanitaires, notamment les maladies transmissibles, émergentes ou réémergentes d’origine animale. Ils établissent des relations conventionnelles visant au dépistage précoce de ces maladies, ainsi qu’à la mise en œuvre de méthodes communes propres à les contrôler.
Dans cette logique, le tout récent programme conjoint européen de recherche sur les zoonoses alimentaires, l’European joint programme on foodborne zoonoses (EJP One Health), devrait permettre à une quarantaine de partenaires, issus de 19 États membres de l’Union européenne, de collaborer. Retenu par la Commission européenne, ce programme s’appuiera sur un réseau de laboratoires et d’instituts de recherche européens qui développeront le concept One Health par le biais d’actions communes, lesquelles portent sur la lutte contre les risques émergents, les zoonoses d’origine alimentaire et la résistance aux antibiotiques. Coordonné par l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), à partir du 1er janvier 2018, l’EJP devrait aussi générer des données scientifiques nécessaires à l’analyse des risques sanitaires. En France, les partenaires de l’EJP sont l’Institut national de la recherche agronomique (Inra), l’Institut Pasteur et Santé publique France.
Le rôle d’épidémiosurveillance de tous ces organismes aux plans local, national et mondial, les conduit à recommander, en particulier à l’adresse des services vétérinaires, la mise en place de procédures prophylactiques classiques : isolement des animaux malades ou suspects, vaccinations, abattages sanitaires, contrôles aux frontières, etc.
Ces grands organismes internationaux interviennent également dans le domaine de la thérapeutique, notamment de l’antibiothérapie. Les vétérinaires français prouvent leur implication à cet égard. Le prix de la Journée vétérinaire mondiale 2017 de l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) et de la World Veterinary Association (WVA), dont le thème était « Actions de sensibilisation à la lutte contre l’antibiorésistance, et bon usage des antibiotiques en médecine vétérinaire », a été remis officiellement le 29 août 2017 lors du Congrès mondial vétérinaire à Incheon, en Corée du Sud, au Conseil national de l’Ordre des vétérinaires (CNOV) pour l’action menée en France.
André-Laurent Parodi relate que, lors d’une conférence qu’il animait récemment au Mexique, il avait été surpris de constater à quel point ses auditeurs « tombaient de l’armoire » quand il leur expliquait que les vétérinaires étaient également impliqués dans la lutte contre les maladies de l’homme. « Il y a longtemps qu’ils sont reconnus en France comme des agents de la santé publique. Dès 1820, lorsque le roi Louis
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a créé l’Académie nationale de médecine, afin de rassembler un aréopage d’experts qui puissent guider l’action du gouvernement en matière de santé publique, il a fermement voulu que s’y trouvent des vétérinaires. Tant par leur contribution au sein de ces grands organismes que par leur pratique quotidienne, les vétérinaires contribuent très activement à l’application du concept One Health », conclut-il.
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1 La Semaine Vétérinaire n° 1745 du 22/12/2017, pages 36 et 37.
VETAGRO SUP : UNE APPROCHE INTÉGRATIVE DE LA SANTÉ MONDIALE
« DES CONNAISSANCES TRANSVERSALES SUPPLÉMENTAIRES »
Outre les dimensions recherche, expertise et collaborations internationales, cette démarche se traduit par une évolution de l’enseignement. Depuis 2016, un module intitulé “Les vétérinaires du xxie siècle et les grands enjeux” interpelle les étudiants de VetAgro Sup (en 1re et 2e année) sur les grands enjeux du monde de demain et comment se positionner face à eux. Depuis l’automne 2017, un nouveau cursus a été mis en place pour les étudiants de 1re année, avec stage obligatoire dans le domaine de la santé publique vétérinaire, avec modules interdisciplinaires et plus intégrés associant le fondamental et la clinique allant jusqu’au diagnostic et jusqu’à l’élargissement des perspectives avec l’intervention de professeurs de sciences politiques et de philosophes, etc. Les étudiants vétérinaires et ingénieurs agronomes iront ensemble dans les élevages, avec un apport mutuel de connaissances.LUTTER CONTRE LA DÉSINFORMATION ET CARACTÉRISER LES RÉSERVOIRS
L’ENVA ET L’INSERM, PORTEURS DU PROJET ONE HEALTHEN ÎLE-DE-FRANCE
DE L’AGRONOMIE À LA MÉDECINE HUMAINE
L’enveloppe financière de la région Île-de-France, pour cette thématique est substantielle : entre 2 et 3 millions d’euros annuellement pour financer la structure pilote et les projets retenus. Ainsi l’ENVA a-t-elle bénéficié en 2017 d’une subvention qui lui permettra d’investir dans une plateforme de vaccinologie et d’infectiologie humaine (à hauteur de 300 000 €), afin de travailler aussi bien sur des effets vaccinaux chez des gros animaux (veaux, porcs, brebis) que sur des infections zoonotiques ou humaines, par exemple sur les souris humanisées pour étudier le virus de l’immunodéficience humaine (VIH).INSTITUT PASTEUR : « VÉTÉRINAIRES, VENEZ NOUS REJOINDRE »