DOSSIER
Auteur(s) : LORENZA RICHARD
Le vétérinaire rencontre parfois, dans le cadre de son exercice, des propriétaires confrontés à des situations sociales difficiles, qui peuvent conduire à de la maltraitance animale, le plus souvent par négligence. Dans quelle mesure peut-il intervenir pour aider ces personnes, que ce soit en cas d’urgence ou pour prévenir les mauvais traitements ? Actuellement, de nouveaux rôles se dessinent pour le praticien.
La maltraitance animale est le plus souvent liée à de la négligence (manque de soins, de nourriture, etc.) dans un contexte social difficile. Certains éleveurs ou propriétaires d’animaux de compagnie confient au vétérinaire les problèmes qu’ils rencontrent à un moment de leur vie : difficultés professionnelles, souci de santé ou accident nécessitant une hospitalisation, départ en maison de retraite, divorce, veuvage, etc. Les situations sont nombreuses et peuvent aboutir à l’isolement, à une perte du lien social, à des conduites addictives, à des dépressions, jusqu’à des tentatives de suicide. Le praticien peut suspecter une situation compliquée sur le plan personnel et/ou financier chez un client, lorsque, par exemple, celui-ci délaisse son troupeau, appelle moins la clinique ou ne paie plus ses factures. Dans ce cas-là, il ne s’agit pas, pour le vétérinaire, de prendre en charge le problème humain, mais, en tant que garant de la bientraitance animale, de prévenir le délaissement des animaux, ou de signaler d’éventuels mauvais traitements déjà constatés.
En ce qui concerne la prévention de la maltraitance par les propriétaires d’animaux de compagnie, chaque confrère dispose dans son carnet d’adresses de coordonnées de sociétés de protection des animaux qu’il peut contacter pour une prise en charge ou un placement en famille d’accueil, en attendant que le contexte s’améliore. Dans certains cas, des associations peuvent réaliser une enquête afin de déceler un risque de maltraitance. Des conseils sont alors délivrés ou une procédure juridique est enclenchée, et la direction départementale de la protection des populations (DDPP) en est également informée. « Il n’est pas question pour le vétérinaire de se transformer en assistante sociale, mais de prévenir la maltraitance animale », précise François Courouble, président de la commission bien-être animal de la Société nationale des groupements techniques vétérinaires (SNGTV).
Pour Ghislaine Jançon, membre du Conseil national de l’Ordre des vétérinaires, ces derniers jouent deux rôles, inscrits dans le Code de déontologie vétérinaire. « Le premier est celui de sentinelle : les praticiens libéraux et sanitaires qui interviennent régulièrement dans un élevage jouent un rôle prioritaire dans le cadre du bien-être animal en prévenant tout type de maltraitance. » Celui-ci est pédagogique, avec la délivrance de conseils inscrits dans le protocole de soins, le bilan sanitaire d’élevage ou le registre d’élevage, et il est important pour prévenir toute situation pouvant mener à une souffrance des animaux. « C’est également le rôle du vétérinaire des animaleries, des refuges ou des fourrières d’animaux de compagnie d’aider le responsable de l’établissement à identifier des problèmes de bien-être et d’y remédier », indique notre consœur.
Le second rôle est celui de soins : « Tout vétérinaire a l’obligation légale et déontologique de respecter l’animal, de faire passer son intérêt avant tout, de limiter toute souffrance à un animal en péril et d’effectuer une prescription adaptée à la santé et à la protection de son bien-être. »
L’article L.203-6 du Code rural et de la pêche maritime (CRPM) mentionne l’obligation législative de signaler les cas de maltraitance animale, qui pourraient avoir des conséquences graves pour les personnes ou les animaux, à la DDPP : « Sans préjudice des autres obligations déclaratives que leur impose le présent livre, les vétérinaires informent sans délai l’autorité administrative des manquements à la réglementation relative à la santé publique vétérinaire qu’ils constatent dans les lieux au sein desquels ils exercent leur mission si ces manquements sont susceptibles de présenter un danger grave pour les personnes ou les animaux. » Dans ce cadre, le vétérinaire sanitaire a l’obligation d’établir un signalement sous peine de poursuites pénales, civiles ou disciplinaires. Il est alors relevé du secret professionnel imposé par le Code de déontologie. Cela n’est pas le cas du praticien libéral qui n’aurait pas d’habilitation sanitaire. Cependant, étant soumis aux dispositions du Code de déontologie vues précédemment, lorsqu’il constate un problème, il doit ainsi en informer le vétérinaire sanitaire, qui, lui, peut le signaler à l’Administration.
Concernant les animaux d’élevage, un travail a été réalisé dans le cadre du Conseil national d’orientation de la politique sanitaire animale et végétale (Cnopsav) par un comité d’experts en bien-être animal. Il se traduit par l’obligation de mise en place de cellules départementales opérationnelles (CDO) en 2018. Ce dispositif s’inscrit dans le plan proposé par l’ancien ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll : “Stratégie de la France pour le bien-être des animaux 2016-2020 - Le bien-être animal au cœur d’une activité durable.” Les CDO ont deux fonctions : la prévention et le traitement de l’urgence (article page 45). « Elles ont vocation à traiter de façon transversale la maltraitance animale et, surtout, le problème humain qui est derrière, afin de trouver une solution, explique Ghislaine Jançon. Celle-ci peut aller d’une aide sociale temporaire et de conseils, jusqu’au retrait des animaux et à l’accompagnement de l’éleveur dans une reconversion professionnelle. » Les cellules seront plus ou moins importantes dans les départements, selon le nombre de cheptels, et les vétérinaires seront sollicités en appui, pour un avis technique ou en mandatement.
Un vétérinaire peut en effet être mandaté dans le cadre d’une procédure d’urgence ou d’un appel d’offres. Il est choisi pour ses compétences particulières dans le domaine d’intervention (expertise technique pour une espèce particulière, par exemple). Il reçoit une lettre de mission précise dans un élevage qu’il ne connaît pas et qu’il découvre alors. L’expertise vétérinaire est réalisée sur un ou plusieurs jours. Elle consiste en une visite de l’exploitation (le vétérinaire ou le praticien mandaté peut être accompagné d’une assistante sociale ou de tout autre interlocuteur tel qu’un gendarme dans certains cas) et une discussion avec les vétérinaires traitant et sanitaire. « On connaît ces élevages où les problèmes persistent depuis des années malgré les conseils à répétition des vétérinaires, avec lesquels le dialogue est parfois rompu, remarque François Courouble. Le confrère mandaté peut apporter un regard extérieur, à l’éleveur comme à ses confrères, qui permet de dénouer la situation. » Il rédige alors un rapport d’expertise avec des préconisations de pistes d’amélioration.
« Le ministère place le vétérinaire au cœur du dispositif des CDO, et cela n’est pas à prendre à la légère : nous avons notre rôle d’expert à jouer dans la société, et la protection animale fait partie intégrante de la santé publique vétérinaire », soutient notre confrère.
« Le vétérinaire n’est pas à l’aise avec l’idée d’informer d’une situation à risque de maltraitance, car il est difficile de savoir ce qui arrivera aux personnes signalées, constate-t-il. On peut ne pas oser parler d’un problème ou proposer de l’aide quand un éleveur menace de se suicider, par exemple, mais si on ne fait rien, il y a un risque que la situation tourne mal et l’entourage peut nous en vouloir de ne pas avoir réagi. Les confrères doivent être conscients que cette démarche de signalement est réalisée dans le but d’aider les gens. »
Pour Ghislaine Jançon, «
il convient d’instaurer une complémentarité entre les différents vétérinaires (libéral, sanitaire et mandaté), car elle constitue un élément important d’amélioration de la surveillance de la maltraitance animale, ainsi qu’une transparence vis-à-vis de l’éleveur, afin de conserver sa confiance. L’Ordre pense qu’il convient d’être attentif à la transparence avec l’éleveur
: de la même façon que les règles sont claires entre les acteurs pour la surveillance des maladies contagieuses, les éleveurs doivent savoir que les vétérinaires constituent un réseau de bientraitance animale.
»
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DES AIDES
ASPECTS PERMETTANT DE SUSPECTER UNE DIFFICULTÉ SOCIALE POUVANT IMPACTER LE BIEN-ÊTRE DES ANIMAUX D’ÉLEVAGE
INSTRUCTION TECHNIQUE SUR LES CELLULES DÉPARTEMENTALES OPÉRATIONNELLES
VOLET PRÉVENTIF POUR LES ANIMAUX DE RENTE
L’enjeu de la cellule départementale préventive est de détecter de manière précoce les éleveurs rencontrant des difficultés pouvant avoir un impact sur les animaux et de trouver une solution en amont. Ce volet sera piloté par une organisation professionnelle agricole (OPA) locale en concertation avec la direction départementale de la protection des populations (DDPP). Les structures participantes sont au minimum la chambre d’agriculture, le groupement de défense sanitaire (GDS) et la Mutualité sociale agricole (MSA). Les vétérinaires pourront également être invités à participer aux travaux de la cellule préventive (groupement technique agricole, référent bien-être de l’Ordre des vétérinaires, etc.), de même que le conseil départemental, le syndicalisme agricole, les associations d’aide aux éleveurs, les techniciens d’élevage, les banques, etc. Chaque acteur mettra en commun les informations qu’il possède afin de cibler des mesures d’accompagnement à proposer, et de mettre en place un suivi pour vérifier l’amélioration de la situation (encadré ci-dessous). L’échange de ces renseignements sera soumis à une obligation de confidentialité pour chaque participant. Les instances vétérinaires locales pourront également être sollicitées pour leur connaissance technique locale, par exemple pour déterminer les seuils à prendre en compte pour certains indicateurs de risque de maltraitance animale (taux de mortalité, notamment).VOLET URGENCE POUR LES ANIMAUX DE RENTE, DE LOISIR ET DE COMPAGNIE
Les urgences sont gérées via des cellules de proximité pilotées par le préfet, le sous-préfet ou la DDPP. Elles associent l’ensemble des acteurs concernés en vue d’un traitement individualisé des cas de maltraitance. Un vétérinaire mandaté peut être sollicité par la DDPP au titre de l’article L.203-8 du Code rural et de la pêche maritime, pour intervenir dans l’élevage, établir un diagnostic et proposer des préconisations. Une instruction DGAL sur le mandatement vétérinaire en protection animale sera prochainement publiée.DES ACTIONS RÉALISÉES DANS PLUSIEURS DÉPARTEMENTS