L’ENQUÊTE DU MOIS
ENQUÊTE
Auteur(s) : PAR LAURIE BONNET
Une étude a été conduite en 2017 visant à évaluer les retombées, chez les praticiens canins, des nouveaux textes de loi relatifs à la prescription et à la délivrance des antibiotiques d’importance critique, ainsi qu’à cerner les principales difficultés rencontrées sur le terrain. Les réponses des confrères interrogés.
L’antibiorésistance représente un des problèmes majeurs de santé publique et une menace réelle pour la vie de nombreux individus, à l’échelle mondiale. C’est pourquoi, depuis plusieurs décennies, de nombreux plans d’action sont mis en place, à tous les niveaux, dans les domaines de la santé humaine et animale et de l’environnement, afin de lutter contre l’émergence et la diffusion de ces résistances bactériennes. Les vétérinaires font partie des acteurs clés de la lutte contre l’antibiorésistance. En effet, ils doivent appliquer de nombreuses mesures visant à réduire au maximum leur utilisation d’antibiotiques, en particulier d’importance critique (AIC), dans le but principal de préserver leur efficacité pour la médecine humaine.
Dans le cadre de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, adoptée en 2014, un décret a été publié en avril 2016 et impose notamment la réalisation d’un isolement bactérien et d’un antibiogramme avant toute prescription d’AIC, hormis dans certains cas très particuliers, comme les « cas aigus d’infection bactérienne ». Un arrêté l’accompagnant fixe les normes officielles de réalisation des antibiogrammes et la liste des antibiotiques concernés par ce décret, à savoir les fluoroquinolones et les céphalosporines de 3e et 4e générations à usage vétérinaire, ainsi que celle des antibiotiques formellement interdits en médecine vétérinaire (agents antibactériens réservés à la médecine humaine).
Globalement, au vu des résultats, la tendance est à la baisse de l’utilisation des antibiotiques d’importance critique. En effet, 90,5 % des répondants ont changé leurs habitudes d’antibiothérapie depuis l’entrée en vigueur des textes de loi, et pour 42,1 % d’entre eux, cela consiste à ne plus prescrire du tout d’AIC, sauf lorsqu’ils représentent les seuls antibiotiques efficaces. Par ailleurs, 16,3 % d’entre eux estiment avoir réduit leur consommation d’antibiotiques de façon générale. Ces résultats sont en adéquation avec les derniers chiffres en date de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), publiés en octobre 2017, qui montrent que l’exposition des animaux aux antibiotiques a chuté de 36,6 % entre 2012 et 2017, pour un objectif de 25 % fixé par le plan ÉcoAntibio. Cette diminution est encore plus marquée pour les fluoroquinolones et les céphalosporines de 3e et 4e générations, avec une baisse de 75 et 81,3 % de l’exposition, respectivement, entre 2013 et 2016, pour un objectif fixé à 30 % par la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt1. Ceci témoigne d’un réel effort de la profession dans ce domaine.
Cependant, quelques mauvaises habitudes tendent tout de même à persister : un répondant sur 10 déclare utiliser parfois des AIC dans le cadre d’une antibioprophylaxie, ce qui représente une pratique totalement obsolète.
Seulement 56,6 % des vétérinaires déclarent respecter systématiquement les mesures imposées par le décret, à savoir la réalisation d’un isolement bactérien et d’un antibiogramme avant toute prescription d’un AIC en première intention.
Ceci s’explique notamment par l’utilisation de la dérogation pour « les cas aigus d’infection bactérienne », qui justifie la prescription d’un AIC en urgence, sous réserve d’adapter le traitement sous quatre jours, après réception des résultats d’antibiogramme. Seulement, cette enquête a montré que les praticiens utilisaient cette dérogation dans un très grand nombre de situations (figure 5), pas toujours conformes aux critères évoqués par le texte officiel. En effet, cette dernière laisse la place à une certaine “libre interprétation” et contribue à rendre ce décret imprécis, pour presque un vétérinaire sur deux.
Par ailleurs, ce mauvais respect des textes s’explique aussi par le fait qu’une grande majorité des praticiens (82,8 %) considère ces mesures comme contraignantes. La principale contrainte évoquée est l’absence de substance antibiotique injectable longue action alternative à Convenia® (céfovécine), dont l’utilisation massive dans les cliniques privées concerne principalement les chats difficiles et les cas à risque de mauvaise observance ( figure 6 ). Les trop longs délais d’obtention des résultats d’antibiogramme sont également fréquemment incriminés : en effet, seulement un tiers de praticiens déclare recevoir systématiquement les résultats dans le délai de quatre jours évoqué par le décret. Enfin, pour les répondants, le surcoût engendré pour les clients représente le troisième inconvénient de ces nouvelles mesures. D’autres contraintes sont fréquemment évoquées dans les questions à réponses libres, comme le manque de substances antibiotiques à autorisation de mise sur le marché (AMM) pour les nouveaux animaux de compagnie (NAC), alternatives à Baytril®.
L’antibiorésistance est un problème majeur qui concerne une grande part des acteurs de la santé humaine et animale, dont les vétérinaires. Dans cette étude, les résultats sont assez surprenants. En effet, seuls 55,2 % des répondants déclarent prendre systématiquement en compte le risque d’antibiorésistance lors de leurs prescriptions, et 14,8 %, soit plus d’un praticien sur 10, affirme ne pas se sentir concerné par ce problème. Parmi eux, un répondant sur deux considère que celui-ci concerne plutôt la médecine humaine. D’autres se justifient par leur activité canine, pensant être moins concernés que les vétérinaires ruraux. Or, il a été démontré que de nombreux échanges de bactéries ou de résistances bactériennes étaient possibles entre les animaux de compagnie et leurs propriétaires, d’autant plus que la proximité entre ces derniers a tendance à s’accentuer.
Finalement, bien que de façon générale la prise de conscience par rapport à l’antibiorésistance progresse au sein de la profession, ces résultats montrent que les efforts sont encore à poursuivre, et que l’information et la sensibilisation à ce sujet ne peuvent être que renforcées, notamment dans le cadre de la formation continue, car une grande majorité de ces répondants sont des praticiens de plus de 46 ans, dont la formation initiale sur le sujet était moins poussée qu’aujourd’hui.
Malgré le grand nombre de contraintes pratiques évoquées par les praticiens, ils sont une majorité à trouver ces mesures nécessaires dans le cadre de la lutte contre l’antibiorésistance, ce qui traduit une bonne volonté de la profession vis-à-vis de la réduction de l’utilisation des antibiotiques. Or, il s’avère que ce sont ces mêmes praticiens qui considèrent que des mesures similaires devraient être appliquées en médecine humaine. En effet, bien que des recommandations de bonnes pratiques soient également dispensées auprès des médecins, ces derniers ne sont actuellement pas soumis à des mesures restrictives à l’encontre de leur usage des antibiotiques. De plus, la consommation d’antibiotiques en médecine humaine ne semble pas diminuer, bien au contraire, elle aurait plutôt tendance à stagner, notamment dans le secteur hospitalier, voire à augmenter dans le secteur communautaire, qui représente environ 90 % de la consommation totale d’antibiotiques, d’après des chiffres de 20162. Il apparaît alors légitime de la part des vétérinaires de réclamer la mise en place de mesures du même ordre en santé humaine.
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1 Anses. Suivi des ventes de médicaments vétérinaires contenant des antibiotiques en France en 2016. Octobre 2017.
2 Anses-ANSM. Consommation d’antibiotiques et résistance aux antibiotiques en France : nécessité d’une mobilisation déterminée et durable. 2016.