DOSSIER
Auteur(s) : TANIT HALFON
Si manger est une nécessité, c’est aussi un plaisir, alors comment parler au consommateur des dangers liés à son alimentation ? D’autant plus lorsqu’il s’agit des risques microbiologiques, sensiblement laissés de côté face aux risques chimiques liés aux pesticides et aux antibiotiques. Améliorer sa visibilité, bannir la communication descendante, encourager l’expertise collective… autant de principes à suivre pour réinventer la communication institutionnelle.
Pour votre santé, mangez au moins cinq fruits et légumes par jour. » Si le message du programme national nutrition santé est bien connu des Français, il laisse cependant de côté les risques sanitaires et notamment microbiologiques. Aujourd’hui, selon l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), environ un tiers des foyers de toxi-infections d’origine alimentaire déclarés en France surviennent dans le cadre familial, en partie associé à de mauvaises pratiques au domicile. De plus, dans une thèse1 de Dieter Van Cauteren de 2016, suivie par Santé publique France, la morbidité des maladies infectieuses d’origine alimentaire a montré la part considérable des zoonoses alimentaires2 en France. Sur la période 2008 à 2013, elle fait état de 105 000 à 380 500 cas par an de salmonellose et 234 000 à 800 000 cas par an de campylobactériose, d’origine alimentaire. Malgré ces constats, aujourd’hui, le risque chimique semble dominer dans les conversations. « Cette question, bien que légitime, peut avoir tendance à faire oublier les messages de base, alors même que les toxi-infections d’origine alimentaire sont constamment présentes en France », souligne Charlotte Grastilleur, directrice scientifique sécurité des aliments à l’Anses. Chez l’homme, presque tous les agents de toxi-infections alimentaires sont des zoonoses, majoritairement représentées par Campylobacter et Salmonella. En matière de sécurité sanitaire des aliments, l’évaluation scientifique et la gestion des risques apparaissent comme deux axes globalement maîtrisés. Le volet communication, en revanche, « est le parent pauvre, souligne Karine Boquet, vétérinaire et secrétaire interministérielle du Conseil national de l’alimentation (CNA). Il n’y a pas forcément d’acteurs qui émergent et c’est souvent la cacophonie des messages ». Les pistes de réflexion pour l’améliorer ne manquent pas. Pour arriver un jour, comme le suggère Philippe Kim-Bonbled, vétérinaire, ancien conseiller communication au ministère de l’Agriculture, et actuellement en charge de la communication à l’Académie d’agriculture de France, à « une communication institutionnelle copilotée par des scientifiques, des administratifs et des sociologues » ?
Thierry Meyer, enseignant-chercheur en psychologie à l’université Paris-Nanterre, a contribué à l’élaboration d’un rapport de l’Anses sur l’évaluation de l’efficacité des stratégies de communication (octobre 2015)3. Pour lui, le fait de connaître une menace ne suffit pas à réduire les comportements à risque, d’autant plus que ce que recherche le consommateur n’est pas forcément la compréhension savante des risques. « Il poursuit d’autres buts, comme limiter sa propre vulnérabilité ou protéger sa propre image sociale. Par conséquent, il me semble que le gestionnaire de risques devrait identifier les facteurs sociétaux, comme la réprobation sociale ou les inégalités socio-économiques, les facteurs individuels tel que les routines, voire les facteurs matériels, qui expliquent la façon d’agir des consommateurs. La connaissance de ces déterminants comportementaux lui permettra d’identifier les leviers à utiliser pour gagner en efficacité dans sa communication. » Ainsi, l’idée est d’aider le consommateur à se sentir capable de modifier son comportement. À condition que le message arrive à destination. « Les consommateurs ne sont pas des scientifiques mais des récepteurs motivés et plus ou moins en capacité de traiter l’information. Les conditions idéales lorsqu’un message est vu, lu, entendu ne sont pas tout le temps réunies. Dans la vie réelle, on peut, par exemple, être fatigué ou pressé et donc moins attentif. »
En outre, « dans une situation d’urgence, alerter ne suffit pas, il faut, derrière le message, une logique d’action structurée, au risque de voir un sentiment de perte de contrôle et de confiance pouvant amener un individu à se diriger vers les extrêmes qui proposent des réponses simplistes. Les gens désorientés sont plus accessibles à l’irrationalité ». Cependant, en temps de crise, cette irrationalité doit être vue plutôt comme une « vigilance intuitive », comme l’explique l’avis n° 73 du CNA, « Communication et alimentation : les conditions de la confiance » 4. « Lorsqu’une alerte est lancée sur un produit alimentaire, la baisse de consommation est rationnelle » et le consommateur « applique simplement un principe de substitution ». De plus, et heureusement, « une spécificité du domaine de l’alimentation est que tout un chacun est pré-équipé pour rejeter des aliments à risque, que ce soit sur une base évolutive ou culturelle. Le goût ou une certaine image des aliments peuvent aboutir à un rejet de tel ou tel aliment. La peur de la contamination s’avère également une grande barrière psychologique qui aide à minimiser les comportements à risque », souligne Thierry Meyer.
L’époque est à la participation citoyenne. Dans le domaine alimentaire, le CNA est un bon exemple. Créé en 1985 avec l’idée de construire un espace d’échange entre parties prenantes, le conseil s’est enrichi, au fil des années, dans sa composition, avec l’arrivée de nouveaux membres appartenant à des organisations non gouvernementales, des associations de protection de l’environnement ou encore des usagers de systèmes de santé. Bref, la société civile. Karine Boquet explique : « le travail de concertation mené par le CNA n’apporte pas de réponses miracles pour mieux communiquer. Il permet plutôt d’identifier des besoins, qui font consensus. » Ces échanges ont permis, par exemple, d’aboutir aux rapports Communication et alimentation : les conditions de la confiance (avis n° 73, 2014) et Gestion de crise et communication : enseignements tirés de la crise de l’ESB (avis n° 79, 2017). « La mise en place d’une communication institutionnelle, qui reposerait sur une approche collaborative entre les différents acteurs de l’alimentation, est préconisée dans l’avis n° 73. Pour l’instant, cet outil n’a pas encore été développé, l’idée étant d’en confier les manettes à une institution qui possède assez de savoir-faire sur la question. Pourquoi pas le CNA, ou encore Santé publique France ? », souligne Karine Boquet.
Une autre des recommandations du CNA était l’organisation d’un débat publique régulier sur l’alimentation. Cet avis a été suivi par les pouvoirs publics, en témoigne la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt du 13 octobre 2014, qui a confié au conseil la mission d’organiser ce type de débat. « Ce projet s’est concrétisé par l’embauche d’une personne en charge de cette mission en fin d’année », rajoute notre consœur. La participation des citoyens au débat public implique néanmoins de changer les règles du dialogue : « Bannissons la communication descendante, de type doctorale, et encourageons une forme de dialogue interactif avec le public », conseille Philippe Kim-Bonbled. L’avis n° 73 du CNA va plus loin. Pour les rédacteurs, « aucune décision n’est a priori légitime, elle le devient lorsqu’elle est partagée par les acteurs, y compris les consommateurs. Les décisions prises sans avoir été expliquées et partagées avec toutes les parties prenantes deviennent illégitimes, quelle que soit leur pertinence technique ».
«
À mon sens, l’Administration reste dans une position trop timide et mesurée en amont des crises, presque dans une position de suiveuse, souligne Philippe Kim-Bonbled. L’adage “moins on en dit, mieux on se porte” reste encore trop souvent d’actualité.
» D’ailleurs, l’avis n° 73 du CNA en parlait déjà. Trois réflexes, identifiés comme préjudiciables en matière de communication de crise, sont détaillés : ne pas informer avant la crise (de peur que cela n’en crée une) ; la communication pendant la crise ne sert à rien car le consommateur est irrationnel ; ne plus en parler après la crise (ne pas risquer de la relancer). «
Je suis persuadé des retombées positives en matière de crédibilité si on se place dans une position proactive, notamment sur les réseaux sociaux. Améliorer sa visibilité, c’est aussi, et plus simplement, être déjà entendu
», rajoute notre confrère. Entendu par un public qui est déjà sollicité par d’autres discours. Par exemple, celui de l’industrie agro-alimentaire : «
Elle entretient des fantasmes sur l’alimentation en communiquant avec des métaphores, du fait de la pression marketing. Elle vend du rêve.
» Ensuite, ceux des différents lobbies, qui peuvent communiquer de manière très agressive, et très orientée. De plus, «
à l’heure actuelle, je pense qu’on a, hélas, trop promu la surprotection de la société en expliquant que tout est sous contrôle. Or le risque zéro n’existe et n’existera jamais. En cas de crise, l’effet boomerang est alors considérable, et le consommateur ne comprend pas pourquoi tout d’un coup il y a un danger dans son assiette
», précise Philippe Kim-Bonbled. Un rapport de l’Anses de 2015 évaluant les stratégies de communication des risques liés à l’alimentation s’était donné pour objectif d’en quantifier l’impact et de voir en particulier quelles populations cibler pour une efficacité maximale. «
Il s’est avéré que le plus efficace était de marteler un même message d’hygiène générale sur une période de trois semaines, à répéter au moins une à deux fois sur une année, pendant trois années consécutives, à l’instar de célèbres campagnes menées par les pouvoirs publics, telles que “Les antibiotiques, c’est pas automatique !” », souligne Charlotte Grastilleur. Tout en renforçant les connaissances du personnel médical, paramédical et social sur cette question. L’autre grande conclusion étant que l’on n’arrivait à modifier au maximum que 5 à 10 % des comportements des consommateurs…
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2 Selon les termes de l’Organisation mondiale de la santé, les infections d’origine animale transmises par l’alimentation rentrent dans la définition de la zoonose.
L’EFSA, UNE AIDE POUR LES AUTORITÉS DE SANTÉ PUBLIQUE
CÔTÉ SANTÉ HUMAINE, ÇA COMMUNIQUE DOUCEMENT…
UN THÈME PEU ABORDÉ LORS DES ÉTATS GÉNÉRAUX DE L’ALIMENTATION
CÔTÉ DGAL, ON PRÔNE LA TRANSPARENCE