Le printemps de l’enseignement vétérinaire français - La Semaine Vétérinaire n° 1751 du 10/02/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1751 du 10/02/2018

NOUVEAU RÉFÉRENTIEL

ACTU

Auteur(s) : TANIT HALFON  

Intégrant les nouvelles exigences de l’accréditation européenne de l’AEEEV, le nouveau référentiel de l’enseignement vétérinaire met en avant les compétences que doit maîtriser tout vétérinaire le jour de l’obtention de son diplôme. Désormais, l’enjeu pour les écoles est de mettre en adéquation leur enseignement avec cette nouvelle version, et d’élaborer les outils manquants pour sa mise en œuvre.

Le 12 octobre 2016, plus de 70 enseignants et vétérinaires se réunissaient sur le site de l’École nationale vétérinaire d’Alfort (ENVA) pour lancer « le chantier de modernisation » du référentiel de l’enseignement vétérinaire. L’ambition est grande, car il s’agira de « livrer sur le marché du travail des jeunes diplômés adaptés et adaptables 1 ». Aujourd’hui, après validation par le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche agricole, agroalimentaire et vétérinaire, le nouveau référentiel2 est publié. « L’ancien référentiel datant de 2008, un travail de modernisation était nécessaire », explique Sylvie Vareille, en charge de la coopération sur la formation vétérinaire à Agreenium3, l’institut qui a piloté ce travail. « En particulier, il fallait davantage mettre en avant les compétences transversales, en lien avec l’évolution de la société et les besoins des professionnels. » Une évolution nécessaire aussi pour être « euro-compatible », comme le précise Henry Chateau, enseignant-chercheur en anatomie à l’ENVA et directeur des formations.

En mai 2016, la dernière version des procédures d’accréditation des établissements vétérinaires4, pilotées par l’Association européenne des établissements d’enseignement vétérinaire (AEEEV), définissait les 36 compétences (day one competences)attendues d’un vétérinaire le jour de l’obtention de son diplôme. Elles sont sous la responsabilité des établissements d’enseignement vétérinaire, qui doivent s’assurer de leur bonne assimilation. Cette approche par compétences existe déjà depuis plusieurs années dans d’autres pays (Pays-Bas, Canada, etc.), et gagne aussi aujourd’hui les universités et les lycées. En 2008, le référentiel vétérinaire mettait principalement les savoirs en avant. Dix ans après, les connaissances, le savoir-faire et le savoir-être sont intimement liés.

Un changement de paradigme

Le nouveau référentiel décrit huit macro-compétences : conseiller et prévenir, établir un diagnostic, soigner et traiter, agir pour la santé publique, travailler en entreprise, communiquer, agir en scientifique, et agir de manière responsable. Elles sont ensuite subdivisées en compétences. Ces dernières sont associées à une liste des disciplines (ou connaissances sous-jacentes) sollicitées pour chaque compétence, ainsi qu’à une liste des « capacités » que doivent posséder les étudiants et qui correspondent à « une situation à maîtriser ou une action à réaliser ». Pour chaque capacité, le niveau de performance attendu pour l’étudiant de 4e et de 5e années est précisé : a vu (l’étudiant a vu ou a vu faire et sait expliquer), a fait (l’étudiant a fait avec une supervision directe), sait faire (l’étudiant est autonome).

« Le référentiel de 2008 suivait une approche disciplinaire, et manquait de transversalité entre les différents domaines de compétence, explique Henry Chateau. Il était surtout axé sur des savoirs, déclinés en objectifs d’apprentissage. » Sciences morphologiques, sciences biomoléculaires et génétique, physiologie… Dans l’ancien référentiel5, les disciplines étaient énumérées les unes après les autres. « N’oublions pas que le référentiel de 2008 intégrait déjà les questions de savoir-faire et de savoir-être, souligne Hubert Brugère, enseignant-chercheur en hygiène des aliments à l’École nationale vétérinaire de Toulouse (ENVT) et directeur de l’enseignement et de la vie étudiante. En revanche, le nouveau référentiel les exprime clairement en les formalisant. Nous allons mieux voir ce qu’il est nécessaire d’évaluer. »

« Parler de compétences permet de gagner en visibilité pour les professionnels. Les étudiants saisissent également mieux les différentes facettes du métier de vétérinaire », précise Catherine Magras, enseignante-chercheuse en sécurité microbiologique des chaînes alimentaires à Oniris et chargée des projets stratégiques de formation.

Définir de nouvelles modalités d’évaluation

Le nouveau référentiel précise aux enseignants des « indicateurs » pour chaque compétence, qui sont les points sur lesquels évaluer les étudiants. Cependant, « l’acquisition des compétences est progressive, et s’effectue tout au long du cursus. Par conséquent, les processus d’évaluation de ces compétences vont devoir devenir progressif, indique Catherine Magras. C’est peut-être cela le grand bouleversement apporté par ce nouveau référentiel. On ne peut plus réfléchir par champ disciplinaire. » Pour ce faire, une des pistes serait de construire des systèmes numériques d’évaluation de compétences. Les responsables des études vétérinaires des quatre écoles vont ainsi répondre à l’appel à projets d’innovation pédagogique, lancé par la direction générale de l’enseignement et de la recherche (DGER), en proposant de développer un carnet de compétence numérique associé à un outil d’évaluation. « L’idée est de rendre cet outil accessible à tous les formateurs des étudiants », explique Hubert Brugère. Pour suivre et évaluer chaque étudiant tout au long de sa formation.

Une réflexion est aussi entamée pour impliquer davantage les professionnels dans l’évaluation des compétences. Aujourd’hui, un certain nombre d’entre eux sont membres des conseils d’administration des écoles, et interviennent dans des enseignements d’approfondissement. Mais certains enseignants voudraient aller plus loin. « Je crois qu’on ne peut pas faire abstraction des compétences techniques et transversales acquises en stage », souligne Hubert Brugère. Même discours du côté de Catherine Magras : « On ne favorise pas assez l’aspect pédagogique des stages. Comme en apprentissage, le maître de stage pourrait apprendre et évaluer… à condition de lui donner les outils pour le faire. »

Un modèle pédagogique en constante évolution

« En comparaison avec celui de 2008, le nouveau référentiel est plus synthétique. En revanche, à la suite des retours faits par la profession, il met en avant des compétences transversales, comme la communication ou l’analyse scientifique fondée sur les preuves, explique Henry Chateau. En ce moment, les quatre écoles comparent leur offre de formation avec le nouveau référentiel. Si des lacunes sont identifiées, des actions seront engagées en mutualisant les moyens. » Ce référentiel donne ainsi l’occasion de repenser ses cours en tant qu’enseignant, et en particulier de décloisonner l’enseignement. Les écoles vétérinaires n’ont cependant pas attendu le référentiel pour le faire et, depuis plusieurs années, bousculent leur manière d’enseigner. « À VetAgro Sup, les étudiants assistent à des cours croisés avec d’autres écoles comme l’École normale supérieure ou l’École Centrale de Lyon, précise Emmanuelle Soubeyran, directrice générale de VetAgro Sup. Ils suivent aussi un module sur les enjeux du xxi e siècle, dès la 1 re année. » À Oniris et à l’ENVT, des unités d’enseignement multidisciplinaires existent déjà. À l’ENVA, les étudiants sont confrontés à des acteurs qui simulent des situations difficiles. « Avec le nouveau référentiel, difficile de dire, à ce stade, quel nouvel enseignement devrait être mis en œuvre. Cependant, on devine qu’il faudra laisser plus de place dans la formation à des enseignements déjà abordés dans certains établissements, mais peut-être encore insuffisamment développés », observe Hubert Brugère.

Ce bouillonnement pédagogique est fortement encouragé par la DGER, d’autant plus face à l’arrivée d’étudiants supplémentaires avec la hausse du numerus clausus. « Pour accueillir ces jeunes, habitués à un nouveau rapport au savoir avec les nouvelles technologies, le numérique, la simulation, le tutorat, etc. vont être des instruments précieux à exploiter collectivement par les quatre écoles, souligne Jérôme Coppalle, sous-directeur de l’enseignement supérieur au ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation. Inventer sans cesse de nouvelles façons d’enseigner demande un fort investissement des équipes pédagogiques, mais aussi, très probablement, financier pour les développer, en particulier avec l’arrivée des 500 étudiants supplémentaires d’ici 2024, annoncée par la DGER. À suivre…

1 bit.ly/2F4duVM.

2 bit.ly/2EDIuho.

3 Institut agronomique, vétérinaire et forestier de France.

4 bit.ly/2CkzM2n.

5 bit.ly/2EDoV93.

UNE DYNAMIQUE DE GROUPE EST LANCÉE !

« Ce travail a renforcé les échanges entre nos quatre écoles », se réjouit Emmanuelle Soubeyran, directrice générale de VetAgro Sup. « Dialogue riche »,« volonté de travailler ensemble »,« élan d’esprit collectif », tous les interviewés se félicitent de la dynamique de groupe qui s’est créée pendant les réunions, et appellent à ce qu’elle continue. Entre les quatre écoles, mais aussi entre les différents corps enseignants.« Nous sommes passés dans une dimension supérieure d’échanges : on se parle au-delà de notre champ disciplinaire ! », constate Catherine Magras, enseignante-chercheuse en sécurité microbiologique des chaînes alimentaires à Oniris et chargée des projets stratégiques de formation.