DÉCRYPTAGE
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Auteur(s) : CLOTHILDE BARDE
La relation qui lie l’animal aux hommes est de plus en plus forte dans notre société et le bien-être des animaux de compagnie et de rente est au cœur de nouvelles préoccupations. Mais, paradoxalement, des sujets, tels que les interactions physiques homme-animal, sont systématiquement occultés, plus particulièrement les contacts de nature sexuelle.
Bien que parfois confronté au problème d’actes zoophiles, le vétérinaire semble rester indifférent. Est-ce par manque de connaissance ou parce que le sujet est encore trop tabou en France ? Il est temps de faire le point sur la question, alors que les psychiatres et certains de nos confrères anglo-saxons s’y intéressent depuis plusieurs années. Tentons de mieux comprendre cette problématique grâce au travail de thèse de Marjolaine Baron (2017)1.
La zoophilie est une pathologie psychiatrique désignant soit un attachement émotionnel aux animaux, faisant de ceux-ci des partenaires sexuels préférés, soit une attirance pour les animaux (définition de la sexologue et sexothérapeute Hani Miletski). Parmi les différents types d’actes commis, il convient de distinguer la zoophilie violente ou zoosadisme, estimée à 50 % des cas2, de la zoophilie non violente. En 2011, une dernière classification3 de la zoophilie, qui hiérarchise les actes zoophiles en dix intensités, a été proposée afin de mieux identifier cette pathologie et donc de faciliter une unification pénale.
Selon la plupart des études sur le sujet, il s’agit tout d’abord du chien, puis du cheval.
Bien que peu d’études épidémiologiques soient disponibles, la zoophilie existe et sa prévalence n’est pas négligeable. 10 % des zoophiles exercent un métier en contact avec des animaux et un tiers d’entre eux sont engagés dans la protection animale4.
Les vétérinaires ont un rôle sociétal particulièrement important à jouer dans la détection précoce des contacts sexuels avec les animaux, car, au-delà de la maltraitance animale engendrée, les actes zoophiles sont souvent associés à des comportements nuisibles à autrui. En effet, les personnes atteintes par cette pathologie présentent fréquemment des troubles de l’identité, ils sont souvent violents envers les autres et la pédophilie peut être une déviance associée.
Au-delà du tabou qui entoure la zoophilie, aucun manuel de médecine vétérinaire ou enseignement dans les écoles nationales vétérinaires françaises ne traitent de ce sujet. Les vétérinaires n’en ont donc pas ou peu connaissance. Et pourtant, les animaux peuvent souffrir d’un large panel de lésions, qui peuvent nécessiter des interventions. Il faut donc y songer dans le diagnostic différentiel lorsque l’animal présente des lésions dans la région ano-génital. Plusieurs critères sont à prendre en compte : les circonstances du crime et le contexte de la consultation, l’aspect psychologique et comportemental de l’animal, et enfin l’aspect lésionnel (lésions des parties génitales ou autres dues au fait que l’animal se débat, ou même l’absence de lésions).
Bien que répréhensibles par la loi, les cas de zoophilie sont rarement soumis aux tribunaux. Actuellement, les juges sont souvent confrontés à un manque de clarté dans les textes et à une pauvreté de la jurisprudence. Il est en outre difficile de présenter devant les tribunaux des preuves de l’exercice de sévices de nature sexuelle sur des animaux.
En ce qui concerne le droit de l’animal, aujourd’hui, en France, il est certes considéré comme un « être sensible » (Code pénal, Code rural et de la pêche maritime ou CRPM, amendement du Code civil de juin 2014), mais il est toujours soumis au régime des biens (Code civil). L’animal conserve donc encore un statut équivoque.
Cependant, s’agissant de la zoophilie et du zoosadisme, ces pratiques sont considérées comme des crimes et il existe des textes réglementaires qui assurent une protection aux animaux concernés5.
La zoophilie n’est pas interdite dans tous les pays, contrairement à la pédophilie. En Europe, à ce jour, seules la Hongrie, la Finlande et la Roumanie autorisent toujours la pratique de la zoophilie.
Même si elle est interdite dans certains pays comme l’Allemagne, des communautés de zoophiles revendiquent publiquement leurs actes comme un droit. C’est le cas de la Zeta 6, qui défend la zoophilie non sadique. Aux États-Unis, aucune loi fédérale n’interdit ces pratiques, mais de nombreux États les ont pénalisées. Au Japon, elles sont autorisées.
Les vétérinaires praticiens n’ont pas d’obligation ordinale de lancer une procédure en cas de maltraitance animale (placement de l’animal en foyer, par exemple). En effet, la profession vétérinaire est soumise à l’obligation du secret professionnel, définie dans le Code de déontologie7 et le Code pénal8. Cependant, cette notion se heurte aux intérêts du patient et aux intérêts sociétaux, pour lesquels des dérogations existent9. En effet, « lorsque la divulgation est relative à des préoccupations de santé publique, de santé des consommateurs, de santé animale et/ou bien encore lorsqu’elle est requise par la loi, le vétérinaire bénéficie de dérogation au Code de déontologie ». À ce titre, la dénonciation des vétérinaires est donc tout à fait légitime puisqu’il ne s’agit pas de délation motivée par un intérêt méprisable ou de la vengeance.
À l’heure actuelle, chaque vétérinaire peut donc décider d’intervenir en cas de constat de zoophilie selon sa propre perception du phénomène, en son âme et conscience.
Tout vétérinaire qui décide d’entamer une procédure de protection de l’animal doit agir en sachant que toute transgression à l’obligation du secret professionnel engage sa responsabilité. Si le vétérinaire souhaite intervenir, il est tout d’abord conseillé de prélever des écouvillons et de prendre des clichés des lésions observées sur les animaux avant les soins, pour constituer des preuves qui pourront être réquisitionnées. Ensuite, il doit faire part de cette situation au préfet, via les services vétérinaires de la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP). Ce dernier prendra alors les dispositions réglementaires adaptées10 et pourra décider d’envoyer l’animal vers une association de protection des animaux, après lui avoir prodigué, si besoin, des soins médicaux.
Les étapes de cette procédure doivent être bien respectées, pour éviter toute poursuite pénale ou déontologique. Face à un tel cas, il peut également être intéressant pour le praticien de prendre conseil auprès d’associations de protection animale qui connaissent le sujet11, 12.
Vis-à-vis du zoophile, les vétérinaires ont un devoir d’information envers leurs clients, mais ils n’ont pas le pouvoir de police et ne sont pas non plus médecins. À ce titre, il est conseillé de rediriger les zoophiles vers un psychologue ou un psychiatre, si cela est possible.
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1 Marjolaine Baron. « La zoophilie dans la société : quelle place le vétérinaire peut-il tenir dans sa répression ? » Thèse de doctorat vétérinaire, ENVT, 2017.
2 Imbschweiler I., Kummerfeld M., Gerhard M. et coll. Animal sexual abuse in a female sheep. Vet. J. 2009;182(3):481-483.
3 Inspirée de la classification de la nécrophilie : Aggrawal A. A new classification of zoophilia. J. Forensic Leg. Med. 2011;18(2):73-78.
4 Beetz A.M. Bestiality/zoophilia: a scarcely investigated phenomenon between crime, paraphilia and love. J. Forensic Psychol. Pract. 2004;4(2):1-36.
5 Article 521-1 du Code pénal relatif à la zoophilie et aux actes de cruauté envers des animaux, et articles R.654-1, R.655-1, R.653-1 relatifs au zoosadisme.
7 Articles 226-13 et 226-14 du Code pénal.
8 Article L.214-3 du CRPM.
9 Article L.206-2 du CRPM.
10 Code de déontologie des vétérinaires (CRPM, articles R.242-32 à R.242-84).
11 fondationbrigittebardot.fr.
12 La Fondation droit animal, éthique et sciences.
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