À quand la fin de l’imbroglio judiciaire ? - La Semaine Vétérinaire n° 1755 du 15/03/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1755 du 15/03/2018

IMPORTATIONS ILLÉGALES

ACTU

Auteur(s) : MICHAELLA IGOHO-MORADEL  

Après la relaxe en appel d’une dizaine d’éleveurs accusés d’avoir importé d’Espagne des médicaments vétérinaires sans autorisation, l’Ordre et le SNVEL demandent à la Cour de cassation de trancher.

En mars, le feuilleton des importations de la discorde connaît un nouveau rebondissement avec la relaxe d’une dizaine d’éleveurs accusés d’avoir importé d’Espagne des médicaments vétérinaires (dont des antibiotiques) sans autorisation. Le jugement a été rendu le 1er mars par la cour d’appel de Pau (Pyrénées-Atlantiques). Pour les juges de cette juridiction, comme pour le juge européen, un éleveur devrait avoir la possibilité d’importer des médicaments vétérinaires à la frontière espagnole. L’Ordre et le Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL), parties civiles dans cette affaire, n’ont pas tardé à réagir. Dans la foulée, ils ont annoncé, le 8 mars, porter le dossier devant la Cour de cassation. Pour les représentants de la profession, il est temps que les juges français adoptent une position claire. Il y a en effet de quoi s’emmêler les pinceaux. Comme le rappellent l’Ordre et le SNVEL dans leur communiqué de presse conjoint1, « cette décision est en contradiction avec celles rendues le 19 décembre 2017 par la cour d’appel de Bordeaux, le 21 décembre par le tribunal correctionnel de Vannes et le 16 janvier 2017 par le tribunal correctionnel de Lorient qui, bien que l’objet de recours et non définitives, ont condamné des éleveurs des Deux-Sèvres et de Bretagne pour des faits similaires, commis durant la même période (2005 à 2009, et 2009 à 2013). »

Des juridictions qui s’opposent ou presque

La cour d’appel de Pau relaxe une dizaine de prévenus, tandis qu’en décembre 2017, celle de Bordeaux (Gironde) condamnait des éleveurs accusés aussi d’avoir importé des médicaments vétérinaires espagnols. Pour appuyer leurs décisions, les deux juridictions mettent en avant l’orientation donnée par le juge européen dans une décision rendue en octobre 20162. Pour la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), l’éleveur peut importer, oui, mais à certaines conditions, telles que la présentation d’une ordonnance préalable, d’une notice en français, ou encore le respect des obligations de pharmacovigilance. Cependant, cette procédure n’est pour l’instant pas accessible aux éleveurs français. « L’importation de médicaments vétérinaires directement par des éleveurs reste interdite selon le Code de la santé publique », confirme Jean-Pierre Orand, directeur de l’Agence nationale du médicament vétérinaire (ANMV).

Si les juridictions d’appel se rejoignent sur l’interprétation donnée par la CJUE, elles s’opposent en revanche sur la valeur contraignante des restrictions d’importation telles que rappelées par le juge européen. En effet, la France peut limiter l’importation de médicaments par des éleveurs dès lors que les autorités compétentes justifient que cette procédure porterait atteinte à la protection de la santé humaine et animale. D’un côté, la cour d’appel de Bordeaux condamne les éleveurs pour pratiques occultes puisqu’aucun diagnostic n’a été posé ni d’ordonnance rédigée. A contrario, le juge d’appel de Pau, lui, ne retient pas l’exigence d’une ordonnance préalable, au motif que cet argument n’est pas inclus dans les éléments constitutifs des délits poursuivis au titre de l’importation de médicaments vétérinaires. Une position très critiquable quand la Cour de cassation rappelle, dans une récente décision, les conditions exigées pour qu’un vétérinaire prescrive des médicaments sans examiner un animal. Face à cette divergence, l’Ordre et le Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral s’interrogent sur l’interprétation qu’il convient de faire des textes législatifs et réglementaires relatifs à la prescription et à la délivrance des médicaments vétérinaires, alors que deux cours d’appel en donnent une lecture différente.

Une procédure simplifiée en 2018

Pendant que les juges français tardent à accorder leurs violons, l’Administration, elle, se fait rappeler à l’ordre par la Commission européenne. Les autorités françaises ont reçu injonction de mettre en place une procédure simplifiée permettant aux éleveurs d’importer des médicaments vétérinaires d’un autre État membre. Le but est qu’ils puissent déposer des demandes d’autorisation d’importation parallèle. Un décret modifiant le Code de la santé publique devrait être publié d’ici la fin du 1er semestre 2018. Pour obtenir une autorisation, l’éleveur devra « assurer la pharmacovigilance des médicaments importés, souligne Jean-Pierre Orand. Le médicament importé doit avoir la même composition que le médicament autorisé en France, ainsi qu’une origine identique et être fabriqué par la même société ou par des sociétés liées. Des conditions très strictes issues de la jurisprudence du médicament humain que nous ne demandions pas jusqu’alors pour les importations parallèles délivrées aux distributeurs en gros ». Ces conditions pourraient en réalité limiter les demandes d’autorisation, dont le coût actuel s’élève à 2 500 €. Il s’agit là de s’interroger sur l’intérêt économique d’une telle procédure pour l’éleveur.

Une contestation en cassation

En attendant la modification de la réglementation en vigueur, l’Ordre et le SVNEL ont choisi de contre-attaquer en portant cette affaire devant la Cour de cassation, qui devra certainement trancher en droit sur la question des importations et des prescriptions illicites. En effet, dans l’affaire connue par le juge d’appel de Pau, les éleveurs se sont vu délivrer des ordonnances par un vétérinaire espagnol, en dehors de tout protocole de soins, sans examen des animaux et parfois sur simple appel téléphonique. « À l’époque, nous avions engagé une action sur la question de l’importation illicite, or le sujet n’est pas seulement là, indique Pierre Buisson, président du SNVEL. La problématique n’est pas de savoir comment les médicaments ont été importés, mais plutôt pourquoi et comment ils ont été prescrits. La question de fond concerne donc davantage la prescription illicite. L’angle de la prescription est relevé dans le jugement de Bordeaux et notre pourvoi en cassation permettra de faire dire le droit. » Au-delà de la bataille judiciaire, il s’agit donc aussi de rappeler que le médicament vétérinaire n’est pas un produit comme les autres. « Il convient de ne pas laisser croire que les médicaments vétérinaires sont en vente libre et que les éleveurs peuvent librement aller les “acheter” en Espagne », préviennent l’Ordre et le SNVEL, qui rappellent aussi que « l’obtention d’une ordonnance vétérinaire “de complaisance”, tant en France qu’en Espagne, au moment de la commande de médicaments, est un délit sanctionné par la loi, qui prévoit une peine pouvant aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 150 000 d’amende ».

Des ventas encouragées ?

Pourtant, en France comme en Espagne, la rédaction d’une ordonnance préalable est obligatoire avant la délivrance de spécialités vétérinaires. Ainsi, un vétérinaire français ou espagnol est tenu à cette obligation, qui peut être réalisée soit après un diagnostic, soit dans le cadre d’un suivi sanitaire permanent de l’élevage concerné dès qu’il y effectue des soins réguliers. Malgré tout, des dérives sont constatées. « L’État espagnol permet aux ventas de délivrer instantanément tout ce dont les clients pensent avoir besoin. Les autorités vétérinaires espagnoles ont été longues à se saisir du problème, dénonce Pierre Buisson. Bien que la réglementation espagnole prévoie des conditions à respecter pour poser un diagnostic et établir une prescription. Il n’y a jamais eu, à ma connaissance, d’actions très sévères engagées par l’Ordre espagnol contre les vétérinaires qui contractaient avec les ventas. Il n’y a pas non plus une très forte mobilisation des autorités espagnoles pour faire cesser cette problématique. »

Un autre levier reste encore possible au niveau européen, notamment dans le cadre des discussions sur le règlement européen sur le médicament vétérinaire. La France a d’ailleurs déposé un amendement pour encadrer les importations parallèles de façon stricte. Celles-ci devraient être réservées aux distributeurs en gros. De son côté, le SNVEL indique avoir porté la problématique auprès de la Fédération vétérinaire européenne (FVE), dont le président actuel est espagnol, « dès 2006. Ce dossier est traité par l’Ordre et le SNVEL, en lien avec le Colegio oficial de veterinarios de Navarra, mais sans grande avancée. Nous nous heurtons à des problèmes de fédéralisme, chaque région en Espagne dispose d’une grande autonomie », précise Pierre Buisson. Contacté par nos soins, le Colegio oficial de veterinarios de Navarra n’a, pour l’heure, pas donné suite à nos demandes d’interview.

1 bit.ly/2tLfksF.

2 Voir La Semaine Vétérinaire n° 1696 du 18/11/2016, pages 46 et 47.