RECHERCHE
PRATIQUE MIXTE
Formation
Auteur(s) : TANIT HALFON
Des chercheurs1 de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) d’Avignon (Vaucluse) et de Rennes (Ille-et-Vilaine), ainsi que du département de zoologie de l’université d’Otago, en Nouvelle-Zélande, se sont penchés sur le comportement hygiénique d’Apis mellifera vis-à-vis du parasite Varroa destructor. L’acarien apparaît comme un contributeur majeur au déclin des abeilles domestiques. Un des mécanismes identifiés permettant la survie des colonies infestées est le comportement hygiénique des abeilles (Varroa sensitive hygiene ou VSH). Il correspond à la capacité des ouvrières à détecter et à éliminer les larves d’abeilles des cellules operculées parasitées, permettant ainsi de réduire le potentiel reproducteur du parasite2, de ralentir la croissance de la population et de limiter l’extension de l’infestation. Selon plusieurs études, la reconnaissance des alvéoles parasitées ferait intervenir des stimuli chimiques. De plus, une étude récente3 a montré que le nombre total de parasites Varroa contenus dans les cellules visées par les abeilles VSH était plus élevé que celui des cellules ignorées du couvain du même âge. L’objectif de cette nouvelle étude est d’identifier les caractéristiques différenciant les alvéoles visées par les abeilles VSH de celles ignorées par ces mêmes abeilles.
L’expérimentation (infographie) a consisté à transférer des cadres de couvain de colonies parasitées (colonies dites donneuses) dans une colonie d’abeilles présentant un comportement marqué d’hygiène vis-à-vis de Varroa (colonie VSH). Trois colonies donneuses et deux colonies VSH ont été utilisées dans cette étude, ces dernières provenant de Nouvelle-Zélande. Pendant 2 jours, le couvain transféré a été observé toutes les heures, afin d’identifier les cellules visées par les abeilles VSH (cellules TA) et effectivement parasitées, celles contenant des larves d’abeilles mortes étant exclues de l’échantillon étudié. Après ces 2 jours d’observation, les chercheurs ont associé à chaque cellule TA une cellule infestée mais ignorée par les abeilles (cellule NT). Elles ont été choisies de manière aléatoire, tout en essayant d’obtenir des stades similaires pour les larves d’abeilles entre cellules TA et cellules NT. Au total, 42 TA associées à 42 NT ont été incluses dans les analyses.
Les cellules TA contenaient un nombre significativement plus élevé de femelles adultes Varroa que les cellules NT. Bien que la proportion des TA et des NT contenant les stades immatures de Varroa était similaire, le nombre par cellule de stades immatures était plus élevé pour les TA, cette différence étant significative pour les stades proto- et deutonymphe de Varroa, mais pas pour le nombre d’œufs. De plus, l’évaluation de 738 cellules avoisinantes (infographie) des TA et des NT a montré une proportion significativement plus grande de cellules parasitées autour des TA. En revanche, aucune différence significative n’a été observée en ce qui concerne le nombre d’adultes femelles de Varroa, le nombre d’œufs et la proportion de cellules contenant des stades immatures. Enfin, la proportion de cellules infestées était significativement plus grande dans les cellules avoisinantes du cercle intérieur des TA que dans celles plus éloignées. De la même manière, il y avait plus de cellules parasitées dans les cellules avoisinantes des cercles intérieur et extérieur des TA que dans celles des deux cercles des NT.
D’après cette étude, les abeilles VSH visent les cellules contenant de multiples femelles Varroa adultes, ainsi qu’un nombre plus grand de stades immatures. Ici, la seule présence des stades immatures de Varroa ne suffit pas à induire un comportement hygiénique chez les abeilles VSH, ce dernier dépendant du nombre de stades immatures présents par cellule. De plus, les cellules visées apparaissent entourées d’autres cellules très parasitées. Ainsi, en plus de confirmer le lien entre le comportement hygiénique et le nombre élevé d’acariens par cellule, cette étude est la première à identifier l’environnement comme source potentielle de signaux capables d’influencer le comportement des abeilles. L’hypothèse, pas encore vérifiée, serait que des signaux chimiques, détectables par l’ouvrière, seraient émis par les alvéoles parasitées. De plus, la détection ne serait possible qu’à partir d’un certain seuil, pouvant dépendre, par exemple, de la densité de cellules infectées, comme cela semble suggéré par cette étude. Ainsi, cela permettrait d’arriver à une stratégie comportementale efficace et efficiente dans laquelle seules les larves les plus compromises, situées dans des zones très parasitées du couvain, seraient éliminées par les abeilles VSH.
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1 Kim S. H., Mondet F., Hervé M., Mercer A. Honey bees performing varroa sensitive hygiene remove the most mite-compromised bees from highly infested patches of brood. Apidologie. 2018.
2 La phase de reproduction de Varroa se déroule dans le couvain operculé. La femelle du parasite rentre dans une alvéole de couvain de larve d’ouvrière ou de faux-bourdon, et y pond ses œufs.
3 Mondet F., Alaux C., Severac D. et coll. Antennae hold a key to Varroa-sensitive hygiene behaviour in honey bees. Scientific Reports. 2015.