PRESCRIPTION-DÉLIVRANCE
ACTU
Auteur(s) : MICHAELLA IGOHO-MORADEL
La « complexité » du décret prescription-délivrance ne saurait justifier sa mauvaise application. Cet argument ne semble pas recevable devant le juge.
Devant le juge, les avocats des vétérinaires poursuivis pour le non-respect de la réglementation relative à la prescription hors examen clinique plaignent la relaxe ou une sanction symbolique pour leurs clients. En cause, selon eux, la complexité du décret du 24 avril 2007 sur la prescription-délivrance. Pourtant, la Cour de cassation s’est prononcée le 30 janvier dernier à ce sujet1. Dans cette décision, les juges rappellent que la réglementation relative à la prescription hors examen clinique ne s’applique pas à la carte. Pour prescrire sans diagnostiquer l’animal, le vétérinaire doit cumulativement réaliser un bilan sanitaire d’élevage, établir et mettre en œuvre un protocole de soins, effectuer des visites régulières de suivi et des soins réguliers. Devant le juge disciplinaire aussi, la question de la bonne application du décret du 24 avril 2007 se pose. L’avocat de la défense demande une sanction symbolique face à une réglementation complexe. Ce fut le cas le 14 mars dernier, devant la Chambre nationale de discipline de l’Ordre des vétérinaires. Dans ce dossier, le vétérinaire X, accusé notamment de prescrire irrégulièrement des médicaments vétérinaires sans examen clinique, faisait appel d’une décision rendue par une chambre régionale de discipline. Il ne serait pas surprenant que la haute juridiction confirme la sanction prononcée à l’encontre du vétérinaire poursuivi, tout en réduisant le quantum de la peine de première instance. Dans ces deux dossiers, les avocats soumettent au juge certains points du rapport Igas/CGAAER2, publié en décembre 2015, relatif à la prescription vétérinaire hors examen clinique. Quels sont précisément les moyens de défense invoqués par les vétérinaires poursuivis ? Dans ces affaires, il est en effet intéressant de relever les lignes de défense adoptées par les avocats des vétérinaires accusés. Celles-ci sont quasi identiques à s’y méprendre.
En Chambre nationale de discipline, le juge et les conseillers vétérinaires font face aux vétérinaires parties à l’affaire et, le cas échéant, à leurs défenseurs. Devant la juridiction disciplinaire, le président de la chambre veille à ce que le débat soit contradictoire. Lors de leur ultime plaidoirie, les avocats font montre d’originalité en ce qui concerne leurs moyens de défense. Les dossiers relatifs à la réglementation sur la prescription hors examen clinique préalable des animaux ne dérogent pas à la règle. Pour contester la condamnation de son client, l’avocat peut choisir de partager avec les membres de la chambre son interprétation de la jurisprudence en la matière. Tel fut le cas pour l’avocat du vétérinaire X, qui appelait, le 14 mars dernier, la Chambre nationale de discipline à relaxer son client, comme l’a fait la cour d’appel de Pau (Pyrénées-Atlantiques) pour un vétérinaire espagnol accusé de prescription illégale. « Par décision du 1 er mars 2018, la cour d’appel de Pau a relaxé des éleveurs qui ont importé des médicaments espagnols 3 . Le vétérinaire espagnol [NDLR : ce dernier était accusé d’avoir rédigé des ordonnances sans avoir vu l’animal] a également été relaxé. Il ne serait pas judicieux de ne pas en faire autant pour mon client », expose l’avocat du vétérinaire X. Dans ce type d’affaire, pour contester les condamnations de leurs clients, la contre-attaque de la défense reposait sur le manque de clarté de la réglementation. Aujourd’hui elle relève aussi certains points soulevés par le rapport Igas/CGAAER. Un rapport officiel qui compte ? Pas si sûr.
L’avocat du vétérinaire X a notamment invoqué le fait que le rapport Igas/CGAAER souligne « la complexité unanimement déplorée » du décret du 24 avril 2007. « La cascade des renvois à des articles tantôt du Code de la santé publique, tantôt du Code rural et de la pêche maritime fait perdre au lecteur le fil du texte », indique le rapport. À en croire les arguments de la défense, la réglementation actuelle laisse une grande place à l’interprétation. Cela vaut notamment pour la notion de soins réguliers. « J’aimerais que l’on me définisse la notion de soins réguliers !, s’exclame le vétérinaire X devant les membres de la Chambre nationale de discipline. Cette notion est tout l’enjeu du problème. ». Avant cette affaire, cet argument avait été porté à la connaissance de la cour d’appel de Grenoble (Isère) par la société Sudelvet. Dans un document daté du 6 juin 2016, que la rédaction s’est procurée, l’avocat de la société a porté ce rapport à la connaissance des juges d’appel. Il s’attarde sur plusieurs points, notamment sur le manque d’adéquation entre la réglementation et la réalité quotidienne du travail du vétérinaire, la notion de soins réguliers dispensés par ce dernier ou encore la visite régulière de suivi. Mais cet argument n’a pas été retenu.
Pour les avocats de la défense, cette question mérite d’être tranchée par le juge. À l’appui de leur argumentation, une nouvelle fois le rapport Igas/CGAAER, qui souligne notamment que la notion de soins réguliers est inadaptée à certaines filières de production : « Certaines filières ne requièrent pas de soins réguliers. C’est, par exemple, le cas des volailles de chair ou de pointe sur lesquelles on ne pratique pas d’interventions particulières. ». Autre point soulevé par la défense, « les résultats modestes » de la visite régulière de suivi. Pour contester les faits reprochés à leurs clients, les avocats s’appuient une nouvelle fois sur un constat fait par les rapporteurs de l’Igas et du CGAAER. Selon eux, « la rédaction actuelle du texte [NDLR : décret prescription-délivrance] dessine pour la visite de suivi un contour flou qui est, au moins en partie, la cause du désintérêt dont elle semble faire l’objet de la part des éleveurs et des vétérinaires ». Devant la cour d’appel de Grenoble, cet argument n’a pas fait mouche, puisque les juges ont considéré qu’« en l’absence de telles visites de suivi, les médicaments vétérinaires ne sauraient être légalement prescrits ».
À ce stade, aucun juge ne semble avoir retenu ces arguments. N’est donc pas recevable celui selon lequel le non-respect de la réglementation sur la prescription hors examen clinique est dû à sa complexité. Dans un courrier daté du 14 juin 2016 que la rédaction s’est procurée, adressé au président de la cour d’appel de Grenoble par la Direction générale de l’alimentation (DGAL), le rapport de l’Igas/CGAAER est qualifié de «
consultatif
». «
Il s’agit d’une synthèse d’entretiens conduits avec différents professionnels, dont des éleveurs, visant à dresser un état des lieux des pratiques en matière de gestion du médicament vétérinaire dans les élevages d’animaux de rente, et à formuler des propositions d’évolution réglementaires
», indique la DGAL. Un simple rapport, donc, dont les recommandations peuvent ou non être suivies d’effet. La balle reste dans le camp de l’Administration. Il y est également mentionné que les services de l’État y ont décelé «
quelques imprécisions dans la lecture de la réglementation
». «
Le fait que ce rapport fasse état de dérives, d’écarts au droit parfois très conséquents ou fréquents ne signifie pas que ces pratiques sont acceptables et encore moins qu’elles sont sans risque pour la santé publique
», poursuit la DGAL. Selon le ministère de l’Agriculture, les arguments invoqués par les avocats de la défense sont très critiquables. Pour démontrer l’inverse, il suffit pour la DGAL de citer un extrait du rapport. «
Les supports documentaires (bilan sanitaire d’élevage et protocole de soins) sont aujourd’hui quasiment toujours présents. En revanche, ce qui doit constituer le cœur du dispositif en faisant vivre le suivi sanitaire permanent est, lorsqu’il existe, réduit à sa plus simple expression. Il en est ainsi des échanges d’informations sanitaires entre éleveur et vétérinaire, des visites de suivi et des soins réguliers assurés par le vétérinaire.
» Dans tous les cas, ces dossiers relancent la question de l’encadrement de la pharmacie d’élevage. À ce sujet, la DGAL «
entend réduire cette automédication à sa plus simple expression dans le cadre des révisions réglementaires à venir
».
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2 Rapport de l’Inspection générale des affaires sociales et du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux ; bit.ly/2FZSije.