PRÉVENTION
ACTU
Auteur(s) : TANIT HALFON
L’Observatoire national du suicide vient de publier son troisième rapport, dans lequel deux fiches témoignent de cette réalité chez les agriculteurs, avec notamment l’identification de caractéristiques socioprofessionnelles associées à un risque plus élevé de décès par suicide. La Mutualité sociale agricole s’investit activement dans sa prévention.
En février 2018, l’Observatoire national du suicide (ONS), créé en 2013, a publié son troisième rapport1, rappelant, à travers deux fiches, le suicide des agriculteurs. Selon les données de l’Organisation mondiale de la santé de 2012, le suicide représente la 15e cause de mortalité au niveau mondial, la 2e pour les 15 à 24 ans, et est à l’origine de 1,4 % des décès dans le monde. En France, en 2014, 8 885 décès par suicide ont été enregistrés par le Centre d’épidémiologique sur les causes médicales de décès de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (CépiDc-Inserm), soit un toutes les heures. En 2015, on recensait 78 128 patients hospitalisés après un passage à l’acte. Malgré une baisse de 26 % entre 2003 et 2014, la France conserve un des taux de suicide les plus élevés d’Europe, derrière les pays de l’Est, la Finlande et la Belgique.
Les agriculteurs font partie des professions les plus à risque. Entre 2007 et 2009, les données de Santé publique France montraient une surmortalité par suicide chez les hommes exploitants agricoles par rapport à la population française, notamment chez les 45-64 ans travaillant dans l’élevage bovin. En 2010, elle était particulièrement marquée dans l’élevage bovin-lait. « Aujourd’hui, parler du suicide n’est plus tabou », souligne Véronique Maeght-Lenormand, médecin-conseil à la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (CCMSA), en charge du risque psychosocial.
Dans le troisième rapport de l’ONS, deux fiches sont consacrées au suicide des agriculteurs. La première (fiche n° 4), tire le bilan2 des années 2007 à 2011. En 2010-2011, 253 décès par suicide ont été enregistrés chez les hommes et 43 chez les femmes. En 2010, un excès de suicides de 20 % était observé chez les hommes agriculteurs exploitants, particulièrement chez les 45-54 ans (excès de 30 %), et ne concernait que le secteur de l’élevage bovin-lait. Cette surmortalité apparaissait dès 2008 : + 28 %, puis + 22 % en 2009, avec un excès de mortalité en élevage bovin-viande (+ 127 % en 2008 et + 57 % en 2009), de même qu’en secteur bovin-lait (+ 56 % en 2008, + 47 % en 2009 et + 51 % en 2010).
La deuxième fiche (n° 5) détaille les caractéristiques socioprofessionnelles associées à un risque plus élevé de décès par suicide chez les hommes agriculteurs exploitants entre 2007 et 2011. Ainsi, le risque est plus important pour les hommes âgés de 45 à 54 ans (par rapport aux moins de 35 ans), qui exercent à titre individuel (versus exploitation à titre sociétaire), à titre exclusif (versus non exclusif), qui disposent d’une surface agricole utile de 20 à 49 hectares (versus exploitation de plus de 200 hectares), située en Auvergne-Rhône-Alpes, Bourgogne-Franche-Comté, Bretagne et dans les Hauts-de-France (versus Grand-Est). Aucun secteur d’activité ne ressortait des analyses. Ces résultats ne doivent pas occulter le fait que les femmes agricultrices exploitantes sont aussi concernées par le suicide. Cependant, en raison des faibles effectifs répertoriés, Santé publique France n’a pas pu procéder à une analyse des données.
En 2011 était lancé le premier programme national d’actions contre le suicide (2011-2014), dont la mise en œuvre était confiée à la CCMSA pour le monde agricole. «
Les actions étaient organisées selon trois axes, explique Véronique Maeght-Lenormand. D’abord, obtenir des données chiffrées sur la mortalité par suicide des agriculteurs via une convention signée avec Santé publique France. Ensuite, mettre en place des dispositifs d’écoute. Agri’écoute
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est ainsi accessible depuis octobre 2014, grâce à deux associations qui en assurent le suivi. Enfin, développer des cellules pluridisciplinaires de prévention dans chaque MSA.
» En 2016, un deuxième plan a vu le jour. «
La convention avec Santé publique France a été prolongée, afin d’obtenir des données sur la mortalité par suicide chez les salariés agricoles. Nous renforçons aussi nos cellules et notre réseau de sentinelles
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, en mettant l’accent sur la formation des personnes concernées, précise le médecin. Je suis d’ailleurs actuellement en train d’élaborer une liste répertoriant le référent à contacter pour chaque MSA.
» De plus, pour 2018, la mutualité souhaite construire un lien entre les dispositifs d’appel et les cellules de prévention. «
Au vu de la hausse du nombre d’appels depuis 2015, cette action apparaissait comme nécessaire.
» En moyenne, en 2015, 90 appels ont été reçus. En 2016, ils s’élevaient à 180 et en 2017 à 300. L’idée serait alors de pouvoir diriger la personne en détresse vers les cellules de prévention, à condition qu’elle soit d’accord. Écoute empathique, réseau de sentinelles, etc., la prévention du suicide repose sur la construction d’un lien.
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2 Une sous-estimation des effectifs globaux de suicides d’environ 10 % est notée, notamment en raison d’une transmission incomplète des causes finales de décès par les instituts médico-légaux au CépiDc-Inserm.
3 Tél. : 09 69 39 29 19.
4 24 000 élus répartis sur tout le territoire, psychologues, vétérinaires, etc.
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