Comment devenir chef d’entreprise vétérinaire ? - La Semaine Vétérinaire n° 1757 du 30/03/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1757 du 30/03/2018

MANAGEMENT

ÉCO GESTION

Auteur(s) : CHANTAL BÉRAUD 

Devenir cogérant ou associé d’une clinique vétérinaire nécessite certaines connaissances et qualités. La profession est-elle bien préparée à ce devenir managérial ? Témoignages.

Vétérinaire, Laurence Lajou a également suivi des formations en droit privé, droit des affaires, un Executive Master of Business administration (Executive MBA-CPA de l’École des hautes études commerciales), ainsi qu’un master 2 Comptabilité, contrôle, audit. Elle travaille à Something Else, une société de conseil d’entreprise. Comment voit-elle ses collègues se métamorphoser en chef d’entreprise ? « Souvent, s’il y a plusieurs associés, ils se répartissent les rôles entre eux. Quant aux jeunes vétérinaires, la plupart du temps, ils ne se mettent à piloter que lorsqu’un associé part à la retraite. » Car, d’après elle, « encore aujourd’hui, la gestion est considérée par beaucoup de professionnels comme une perte de temps. Q’un associé veuille s’y consacrer durant un après-midi par semaine est même parfois sujet à discorde ». Résultat pratique : il y aurait encore de nombreuses cliniques « sans véritable chef d’orchestre », et même des associés qui ne mettent jamais leur nez dans les comptes… Comment y remédier ? « Il est possible de se faire aider, sur certains points, par son expert-comptable, s’il est pédagogue, ou de se faire accompagner par un consultant. Il existe également des conférences, des formations en gestion des petites et moyennes entreprises (PME). Je conseille d’aborder progressivement chaque thème, l’un après l’autre. C’est souvent davantage profitable que de suivre une formation de quelques jours, trop concentrée ».

Le diplôme DEMV et les études de cas

L’École nationale vétérinaire de Toulouse a été la première des quatre écoles à créer une formation en la matière grâce à la naissance, dès 2006, du diplôme d’école en management vétérinaire (DEMV). Ce diplôme a d’ailleurs été monté avec le soutien du Conseil national de l’Ordre des vétérinaires et celui de l’ensemble des organismes professionnels. Il se compose de quatre modules, dont le dernier consiste en une réalisation personnelle du participant au sein de sa clientèle, accompagnée “pas à pas” par un coach.

Christelle Fournel est la responsable des cours de management à l’École nationale vétérinaire d’Alfort1. Elle témoigne que « les étudiants ont beaucoup de notions à acquérir, car il est aussi important de bien traiter ses clients, de savoir communiquer, que d’avoir des notions de rentabilité ! » Leur formation comporte des études de cas. « J’invente des histoires qui ont lieu au sein d’une structure. Les étudiants, par équipe de six, sont confrontés à différentes situations de conflits très fréquentes en clinique. » Qu’ils doivent chercher à résoudre sans qu’aucun membre du personnel de la clinique fictive ne parte ! « Ces exercices leur permettent de mettre immédiatement en pratique les notions théoriques acquises, tout en leur faisant découvrir leurs talents propres liés à leur profil psychologique (MBTI ®2 ) ».

Des fondamentaux à maîtriser

Mais Christelle Fournel constate aussi combien toutes ces notions, non enseignées aux générations précédentes, leur manque parfois aujourd’hui ! « Du coup, des professionnels ne se posent pas les bonnes questions face à certains problèmes, analyse-t-elle. Par exemple, cela ne sert à rien d’essayer de développer le chiffre d’affaires d’une structure si les dépenses ne sont pas maîtrisées, notamment en ce qui concerne les heures supplémentaires des vétérinaires salariés ou des auxiliaires spécialisés vétérinaires. » Autre exemple : « La rémunération variable devrait être depuis longtemps rentrée dans les mœurs, pour motiver les salariés. » C’est pourquoi elle estime que le métier de manager vétérinaire est effectivement encore en phase de construction.

1 A 01, European executive MBA à l’École supérieure de commerce de Paris (ESCP Europe) 2012, praticienne en programmation neuro-linguistique (PNL).

2 Myers Briggs type indicator®.

ENTRETIEN AVEC  CÉLINE PORRET 

« LA FORMATION ET LE PARTAGE D’EXPÉRIENCE SONT ESSENTIELS »

Quand la gestion d’entreprise a-t-elle commencé à vous intéresser ?
À l’école vétérinaire, je ne me rappelle pas m’être posée la moindre question sur ces sujets, trop concentrée à essayer de devenir un bon praticien. C’est pour cette raison qu’intégrer d’emblée cet aspect du métier pendant le cursus me paraît primordial. Je me suis associée en 2008 à deux couples de vétérinaires plus âgés que moi, dotés de plus de 20 ans d’expérience de gestion de leur entreprise : durant les premières années, j’ai beaucoup appris à leur contact.

Quand avez-vous suivi le DEMV1 de Toulouse ?
Entre 2012 et 2014, la clinique a investi dans cette formation à un moment charnière de son histoire que fut le départ des deux associés fondateurs. J’ai suivi les trois semaines de cours, systématiquement en binôme avec l’un de mes associés. À la suite de chaque module, nous passions les 5 heures de route de retour de Toulouse à planifier toutes les actions que nous allions mettre en place ! Par exemple, nous avons complètement modifié les plans de l’espace d’accueil. Cela nous a permis également de ressouder l’équipe, et de mieux gérer la rapide augmentation d’activité liée à l’implantation d’un centre d’imagerie scanner.

Qu’est-ce que le certificat Diriger une activité de l’EMLyon business school2 ?
Il s’adresse à différents profils : cadres expérimentés, dirigeants de petites et moyennes entreprises (PME), notamment. Il n’y avait pas d’autre vétérinaire dans ma promotion, mais un chirurgien-dentiste, également praticien libéral. Les cours sont regroupés en modules de trois jours à raison d’un par mois pendant environ un an, avec un tronc commun (finance, stratégie, leadership) et des modules complémentaires, choisis à la carte en fonction de son activité ou de ses projets (par exemple : pratique du changement pour dirigeants, satisfaction client et stratégies de fidélisation, pilotage de la performance, etc.). La richesse de cette formation provient également du partage d’expérience avec des participants issus d’autres domaines d’activité, ainsi que de la présence de travaux de groupe et de mises en pratique. La “particularité” de notre profession, si tant est qu’il y en ait une, n’est pas un problème : l’entreprise vétérinaire est une entreprise comme une autre, il faut juste en être convaincu…

Quel a été le coût de la formation ?
Environ 13 000 €, hors coût de mon remplacement, financés par la clinique. Nous l’avons vu comme un investissement parmi d’autres. On ne se pose souvent pas autant de questions concernant l’achat de matériel du même prix, pourtant pas toujours autant rentabilisé !

Pourquoi ce choix aujourd’hui d’une passerelle “Executive MBA3” ?
Pour professionnaliser l’activité de management, comme les activités médicales de la clinique. Le MBA est une formation beaucoup plus poussée (20 mois, 500 heures de cours et autant de travail personnel), mais au vu de la prise d’ampleur de l’équipe (14 vétérinaires et 15 auxiliaires spécialisés vétérinaires) et de la multitude de nos projets, j’avais envie de me lancer… et mes associés m’ont suivie.

Peut-on aussi apprendre en interne ?
Bien sûr, la formation est complémentaire de l’expérience, qu’elle vienne d’associés, de “mentors” ou de ses propres pratiques. La transmission entre confrères, le partage intergénérationnel, c’est une richesse énorme, qui ne pourra jamais être remplacée par la meilleure des formations ! Quand aux différents prestataires de services d’une clinique (comptable, avocat, consultant), ils sont, bien sûrs, indispensables. Cependant, ils n’interviennent qu’en tant que conseils. C’est le chef d’entreprise qui prend les décisions finales, qui garde les rennes de sa stratégie et de son avenir. D’où l’importance d’être formé et d’avoir un esprit critique.




1 Diplôme d’école en management vétérinaire.
2 École de management de Lyon.
3 Executive Master of Business administration.

Propos recueillis par Chantal Béraud