ENSEIGNEMENT
ACTU
Auteur(s) : TANIT HALFON
Les Écoles nationales vétérinaires (ENV) souffrent d’un manque de spécialistes. Pour y remédier, un récent rapport du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) préconise de construire un nouveau modèle de développement, qui augmenterait les moyens financiers des établissements, sans faire davantage appel aux crédits de l’État.
Le spécialiste dans les Écoles nationales vétérinaires (ENV) françaises est-il une espèce menacée ? C’est ce que laisse entendre le tout dernier rapport du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) sur le “développement de la médecine vétérinaire spécialisée des animaux de compagnie et animaux de sport dans les écoles nationales vétérinaires” de François Gerster et Vincent Steinmetz. L’objectif : « explorer les opportunités (notamment génératrices de ressources propres pour les établissements) et les modalités juridiques et financières susceptibles de créer des conditions favorables pour héberger et développer ces activités dans les domaines des animaux de compagnie et des animaux de sport ». Pour y répondre, le rapport construit son analyse sur la base que le spécialiste est membre du collège européen. Il montre ainsi qu’en France, en 2017, seuls 30 % des vétérinaires spécialistes membres du collège européen exerçaient au sein des établissements publics. En 2013, ils étaient 51 % en Europe. Pour comparaison, le ratio public/privé s’élève à 63/37 en Belgique. De plus, alors que l’on compte 53 spécialistes pour deux facultés en Belgique (Gand et Liège), en France, les quatre écoles totalisent 52 vétérinaires spécialistes. Pour faire face à cette situation, le rapport préconise la mise en œuvre d’un « modèle de développement innovant » pour augmenter les moyens des établissements, une évolution nécessaire pour garantir « la présence des compétences dans l’objectif de l’excellence de l’enseignement », mais aussi pour le rayonnement national et international des écoles.
Face aux contraintes budgétaires de l’État, l’idée serait de pouvoir mobiliser des ressources humaines nouvelles, « génératrices de ressources financières nouvelles ». Pour ce faire, les rapporteurs proposent deux voies : recruter du personnel de droit privé ou créer une filiale. Dans la première option, des cliniciens seraient recrutés selon les modalités de la convention collective des centres hospitaliers vétérinaires (CHV) et des centres de vétérinaires spécialistes (CVS). Dans la deuxième option, chaque école disposerait de sa propre filiale pour développer ses activités cliniques, tout « en donnant la priorité à la formation initiale pour l’accès aux soins cliniques par les étudiants ». Et non sans respecter plusieurs conditions : contrôle de l’école sur la filiale, de telle sorte à avoir « une influence sur les objectifs stratégiques et sur les décisions importantes de la filiale » ; plus de 80 % des activités de la filiale exercées « dans le cadre de l’exécution des tâches qui lui sont confiées » ; absence de « participation directe de capitaux privés » permettant d’influencer de manière « décisive la personne morale contrôlée ». Ainsi, une convention1 serait forcément rédigée entre l’école et la filiale. À noter que s’il était démontré que la réglementation actuellement en vigueur2 dans le Code rural et de la pêche maritime s’oppose à l’application de ces deux options, les rapporteurs soulignent qu’il serait « nécessaire d’amender » les articles en question.
Une autre recommandation concerne la mise en place de contrats de praticiens hospitaliers et/ou l’ouverture aux consultations cliniques privées au sein des centres hospitaliers universitaires vétérinaires (CHUV). L’objectif : attirer les compétences en améliorant les salaires et les conditions de travail. D’un côté, des contrats, à temps partiel ou complet, pourraient accueillir des vétérinaires cliniciens membres de collèges européens. D’un autre, les enseignants-chercheurs (EC) et les praticiens hospitaliers pourraient exercer une activité à titre libéral au sein du CHUV, sans dépasser la limite de 20 % du temps de travail3. En contrepartie, ils reverseraient « une redevance fixée par l’école ». À noter que pour les rapporteurs, il convient de garder à l’esprit le triptyque soins-enseignement-recherche, donc associer à ces dispositions un renforcement du nombre de spécialistes chez les EC, « au risque de diminuer rapidement le prestige de la fonction 4 et le rayonnement scientifique des unités ».
Afin de développer les activités de recherche clinique, de formation postuniversitaire et de formation continue, une Société universitaire et de recherche (SUR), associant partenaires publics et privés, pourrait être créée. Les rapporteurs soulignent à ce propos que les représentants de l’industrie du médicament vétérinaire sont intéressés. Pour exemple, un centre de recherche et d’investigation cliniques (Cric), à l’image de ce qui se fait en médecine humaine5, pourrait être mis en place dans le cadre de la SUR, afin d’aider à toutes les étapes d’un projet de recherche. La SUR aurait également pour mission de proposer, entre autres, une offre de formation professionnelle en matière de médecine vétérinaire spécialisée et de valoriser le savoir-faire des praticiens cliniciens des CHUV, CHV et CVS, « actuellement insuffisamment exploité ». Selon les rapporteurs, la mise en place d’une SUR aurait pour conséquences la hausse du salaire des résidents et l’augmentation de 40 % du nombre de ces derniers dans les quatre ENV. Les rapporteurs soulignent la pertinence, dans ce cadre, de rapprocher l’internat des ENV et l’internship des CHV.
Se prévaloir du titre de vétérinaire spécialiste nécessite aujourd’hui, en France, d’avoir un diplôme d’études vétérinaires spécialisées (DESV) ou d’être membre d’un collège européen reconnu par le Conseil national de la spécialisation vétérinaire, l’obtention du DESV étant possible via la voie de la validation des acquis de l’expérience. Actuellement, 24 titres de spécialistes sont accessibles aux vétérinaires, à raison de 10 DESV et de 18 collèges européens (sur les 26 existants). Face à une demande sociétale croissante en spécialistes, les rapporteurs estiment qu’il conviendrait de reconnaître de facto les vétérinaires membres d’un collège européen ou américain. En plus d’augmenter le nombre de vétérinaires spécialistes, cette modification du Code rural et de la pêche maritime diminuerait aussi «
la tension sur les recrutements dans les structures privées
». Avec un plus grand nombre de spécialistes en concurrence sur le marché du travail, les écoles vétérinaires françaises gagneraient en attractivité.
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1 Sur les droits et les devoirs de chacun, en matière notamment de propriété intellectuelle, de responsabilité et de retour financier de l’école.
2 Article L-241-17, alinéa II 1° du Code rural et de la pêche maritime.
3 La Direction générale des finances publiques a autorisé, en mars 2013, les agents des CHUV à exercer une activité clinique accessoire, incluant consultation et actes vétérinaires.
4 Les enseignants-chercheurs doivent être membres d’un collège européen et titulaires d’une thèse de doctorat. Pour les praticiens hospitaliers, seul le collège européen serait nécessaire.
5 CRC/CIC (centres de recherche clinique, centres d’investigation clinique) hospitaliers humains, mis en place depuis 1990 et fonctionnant via des financements nationaux et européens.
LES SIX RECOMMANDATIONS
L’EXEMPLE DE LIÈGE