DOSSIER
Parmi les acteurs en charge de la surveillance aux frontières, le vétérinaire doit s’assurer de la sécurité sanitaire des aliments et de la bonne santé des animaux importés. Face aux volumes conséquents de lots à contrôler se pose la question des moyens humains dédiés à ces inspections, que certains jugent insuffisants pour garantir un contrôle de qualité.
Face aux menaces nombreuses aux frontières extérieures de l’Union, notamment pour la santé animale et pour la santé végétale, le Sivep (Service d’inspection vétérinaire et phytosanitaire aux frontières) veillera à maintenir une pression et une qualité de contrôles élevées. » Cette courte phrase, tirée de l’instruction technique1 de la Direction générale de l’alimentation (DGAL) présentant ses orientations stratégiques et ses priorités 2018 pour assurer la sécurité et la qualité sanitaires de l’alimentation, résume succinctement l’importance des contrôles vétérinaires aux frontières. Un impératif souligné par l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE). Dans le Code sanitaire pour les animaux terrestres, un chapitre2 est consacré aux postes frontaliers et aux stations de quarantaine dans le pays importateur. En 2010, l’OIE avait d’ailleurs pointé du doigt « le rôle déterminant » du contrôle vétérinaire aux frontières, pour empêcher l’introduction d’un risque sanitaire dans un pays. Lors de la 24e conférence de la commission régionale de l’OIE pour l’Europe au Kazakhstan3, Bernard Vallat, alors directeur général de l’organisation, soulignait que « toute faiblesse dans ce domaine transforme les pays en passoire à microbes. » Les vétérinaires exerçant aux frontières ont principalement pour mission les contrôles sanitaires à l’importation des animaux vivants, mais aussi des produits d’origine animale en provenance d’un pays tiers. « L’objectif est d’éviter l’introduction dans l’Union européenne de maladies animales, dont certaines sont transmissibles à l’homme, via les animaux vivants ou les denrées alimentaires, et d’assurer la sécurité sanitaire des aliments », résume Thierry Badin de Montjoye, responsable du poste d’inspection frontalier de Roissy (Val-d’Oise).
Les vétérinaires sont rattachés au Sivep, créé par arrêté ministériel4 en 2009. Dépendant de la DGAL, ce service à compétence nationale est chargé de piloter les différents postes frontaliers (encadré page 42), et de participer aux négociations européennes relatives à l’évolution de la réglementation applicable aux contrôles à l’importation. « À ce jour, le service compte 95 agents, dont cinq personnes au bureau central. Les 90 équivalents temps plein sont répartis sur 26 départements, dont 50 dans les PIF-PED 5 et 40 dans les PEC 6 , explique Pauline Cazaban, cheffe du Sivep. En 2017, plus de 90 000 contrôles ont été effectués aux frontières, dont 3 900 contrôles d’animaux vivants, plus de 38 000 de lots de denrées alimentaires d’origine animale et d’aliments pour animaux et 2 300 de lots d’aliments d’origine non animale. » Face à ces volumes impressionnants, comment le vétérinaire s’en sort-il ?
Aujourd’hui, les outils numériques sont au cœur des modalités de contrôle aux frontières (encadré page 46). Objectifs principaux : moins de certificats papiers et une sécurisation de la traçabilité des lots importés. « Chaque contrôle est saisi sur l’application européenne Traces 7 . Ce n’est qu’une fois la saisie de la totalité des contrôles effectués que le document vétérinaire commun d’entrée (DVCE), nécessaire pour dédouaner la marchandise, pourra être édité, explique Thierry Badin de Montjoye. L’application est équipée d’une interconnexion avec celle de la douane, Delta, afin qu’elle puisse s’assurer de la présence du DVCE et libérer les marchandises 8 . Les directions départementales de la protection des populations (DDPP) recevront aussi les DVCE des produits destinés à leur département. » La Commission européenne souhaite également développer la certification électronique dans le système pour les pays tiers. « Cette évolution est positive, car elle apportera des garanties supplémentaires en matière d’authentification des certificats, et donc une meilleure sécurisation “certificat” des produits importés », souligne Pauline Cazaban.
La numérisation simplifie les contrôles. Au niveau interne, les agents ont accès à une base de données, Impadon, regroupant les textes réglementaires et les modèles de certificat sanitaire. De plus, elle permet notamment de « retrouver plus facilement une anomalie déjà gérée dans le passé », note Sophie Andreïs, responsable du poste d’inspection frontalier au Havre (Seine-Maritime). À terme, la dématérialisation aurait aussi l’avantage de dégager du temps de contrôle pour les agents. « Avec la certification électronique des pays tiers, l’idée serait d’aboutir à une automatisation au moins partielle des contrôles documentaires pour libérer du temps pour les contrôles d’identité et physiques », précise Pauline Cazaban.
« Outre son usage local d’enregistrement des contrôles, Traces est aussi une application européenne permettant d’avoir une vision des non-conformités dans les postes d’inspection frontaliers de tous les États membres », indique Thierry Badin de Montjoye. Mais un des atouts principaux de la numérisation est que le système permet de réaliser des alertes aux niveaux national et européen. « En cas de résultat d’analyse de surveillance défavorable, une alerte RASFF 9 est générée, ce qui déclenche un renforcement des contrôles en Europe », détaille Thierry Badin de Montjoye. En clair, l’alerte est envoyée à tous les postes frontaliers nationaux, des États membres et des pays adhérents au système. Elle implique d’effectuer une analyse systématique pour les 10 lots suivants en provenance du même établissement, et ce quel que soit le lieu de réception en Europe. Dans le cadre de cette surveillance renforcée, le Traces devient bloquant, le DVCE, nécessaire pour libérer les marchandises, ne pouvant être édité qu’après la saisie des résultats d’analyse. Pour autant, un rapport10 de 2014 sur la politique de sécurité sanitaires des aliments mentionnait que les échanges complets des résultats des contrôles des différents pays européens, notamment ceux à l’importation, n’étaient pas forcément assurés : « (…) Le système européen n’est encore ni entièrement achevé ni totalement transparent. (…) La DG Sanco 11 n’assure pas l’échange complet des résultats entre les services de contrôle des différents pays européens, notamment pour les contrôles à l’importation dans l’Union européenne. »
Un constat repris lors de l’atelier 8 des états généraux de l’alimentation (“Assurer la sécurité sanitaire de l’alimentation française dans une économie agroalimentaire mondialisée et dans un contexte de changement climatique tout en prévenant les contaminations chimiques”), présidé par Marion Guillou, présidente d’Agreenium, et l’une des rédactrices du rapport. Interrogée par nos soins sur la création d’un observatoire des risques sanitaires liés aux non-conformités pour les produits agroalimentaires importés dans l’Union européenne, une des propositions de l’atelier, elle soulignait que « l’idée serait de pouvoir partager plus efficacement les signaux d’alerte en temps réel, pour éviter les “contournements” par certains opérateurs, et plus globalement, optimiser les échanges de données entre les États membres sur les produits importés ». Le risque étant qu’un opérateur refusé dans un pays se représente aux frontières d’un autre suffisamment vite avant que l’information soit partagée. Pour Pauline Cazaban, l’idée de l’observatoire pourrait permettre de construire des plans de surveillance à l’importation à l’échelle européenne. « Aujourd’hui, le ciblage des plans de surveillance à l’importation est basé sur une analyse de risque effectuée au niveau national, en fonction des résultats des contrôles réalisés aux frontières et lors de la mise sur le marché. Une analyse de risque à l’échelle européenne pourrait être utile. »
Aux frontières, les vétérinaires collaborent étroitement avec les services douaniers, qui « agissent en tant que dernier filtre, explique la douane. Les agents des bureaux de douane vérifient que les marchandises importées sont accompagnées du DVCE, s’assurent de son authenticité et de la concordance des mentions portées sur le document avec le lot présenté lors du dépôt de la déclaration en douane. » De plus, certaines missions vétérinaires sont déléguées aux services douaniers. La réglementation européenne prévoit ainsi que le contrôle sanitaire des produits d’origine animale contenus dans les bagages des voyageurs et celui des animaux de compagnie accompagnés incombent aux douanes. La raison, soulignée par Pauline Cazaban : « Les douaniers sont présents sur tous les points d’entrée des voyageurs. » En pratique, « les voyageurs sont tenus de présenter aux douanes leurs animaux de compagnie à leur arrivée sur le territoire douanier communautaire. Les services douaniers procèdent alors à un contrôle documentaire, incluant le passeport et le certificat vétérinaire, ainsi qu’à un contrôle d’identité, détaille la douane. En cas d’irrégularité, les services douaniers prennent systématiquement l’attache du PIF ou de la DDPP territorialement compétente selon le cas, pour déterminer le devenir de l’animal saisi 12 . »
La situation n’est cependant pas aussi simple que ce que laisse entendre ce discours. En 2015, un rapport de la Cour des comptes révélait que la douane ne considérait pas comme prioritaire les contrôles vétérinaires aux frontières. Selon Olivier Lapôtre, président du Syndicat national des inspecteurs en santé publique vétérinaires (SNISPV), il est impossible pour eux de tout contrôler, sachant que cette activité en est une parmi tant d’autres, « bien qu’il soit vrai que cette mission n’est pas forcément prioritaire ». De plus, « les agents vétérinaires ne disposent malheureusement pas d’assez de temps à consacrer aux douaniers. » Pour lui, il faudrait insister davantage sur la sensibilisation du public : « Il est regrettable que les passagers ne disposent pas d’assez d’informations, avant leur départ, leur rappelant le fait qu’ils peuvent être en infraction. » À noter que les services vétérinaires collaborent également avec la DDPP, la Police aux frontières et la Gendarmerie des transports aériens.
«
Bien que la numérisation facilite le travail des agents, d’autant que les systèmes sont harmonisés au niveau de l’Union européenne, seul un nombre suffisant d’agents permet d’avoir une pression et une qualité de contrôle suffisantes des marchandises importées, martèle Olivier Lapôtre. En fonction du type de produit et du pays, les objectifs de contrôle ne sont pas les mêmes. Il faudrait en réalité tous les augmenter.
» Déjà en 2004, un dossier de presse du SNISPV13 concernant la sécurité sanitaire des aliments dénonçait «
la diminution des emplois budgétaires dans le secteur du service public vétérinaire et alimentaire
», pour assurer leurs missions, notamment l’insuffisance des moyens humains pour les contrôles aux frontières. Un constat qui était renforcé par les résultats d’un audit de l’Office alimentaire et vétérinaire (OAV) de la Commission européenne soulignant que les effectifs vétérinaires des postes d’inspection frontaliers étaient insuffisants «
par rapport au nombre de lots à contrôler, à la distance qui sépare les centres d’inspection et aux tâches afférentes dans la plupart des postes d’inspection frontaliers (...)
». Fin 2017, une des recommandations de l’atelier 8 des EGA concernait «
le renforcement des moyens de l’État au service d’une alimentation saine et sûre
» (point 4). Avec pour première action préconisée pour courant 2018 : «
renforcer les moyens et améliorer la coordination pour une meilleure efficacité globale du dispositif de contrôles à l’importation.
» Concrètement, l’idée serait d’organiser un meilleur ciblage des contrôles, mais aussi de les renforcer. Pour Marion Guillou, cela passerait par une « mutualisation des forces des services des différents ministères concernés, pour avoir des créneaux horaires de contrôles plus étendus et des moyens de permanence plus vigilants. » Pour Pauline Cazaban, renforcer les contrôles à l’importation serait particulièrement intéressant dans le domaine du e-commerce. « Ces types d’importations ne sont pas toujours déclarés en poste d’inspection frontalier. » Pour les participants de l’atelier 8, le coût estimé serait à la mesure des «
moyens humains mobilisés pour la réalisation des contrôles
».
•
5 Postes d’inspection frontaliers-points d’entrée désignés.
6 Points d’entrée communautaires.
7 Trade Control and Expert System, système expert de contrôle des échanges.
8 Interconnexion mise en place dès 2010 dans le cadre du guichet unique de dédouanement.
9 Rapid Alert System for Food and Feed, système d’alerte rapide pour les denrées alimentaires et les aliments pour animaux.
10 bit.ly/2I7QJ3A.
11 La Direction générale de la santé et des consommateurs (DG Sanco) a changé de nom en 2015 pour devenir la Direction générale de la santé et de la sécurité alimentaire (DG Santé).
12 Réexpédition à l’origine, mise sous surveillance, voire euthanasie dans certains cas.
13 bit.ly/2I5oHpe.
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