GESTION DU RISQUE
ACTU
Auteur(s) : PROPOS RECUEILLIS PAR MARINE NEVEUX
Enjeux sanitaires, sociétaux et alimentaires : quelles gestions, quelles améliorations sont possibles au regard des crises récentes ? Interview de Benoit Assémat (T 83), inspecteur général de santé publique vétérinaire et expert au département risques et crises de l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ).
Vous avez quitté, en 2016, la présidence de la Fédération des syndicats vétérinaires de France(FSVF) que vous avez tenue pendant près d’une décennie. Quel bilan en faites-vous ? Quels sont les chantiers qui vous ont marqué ?
Je retiens d’abord de ces neuf années la satisfaction d’avoir pu organiser une instance de dialogue et d’échange entre les différents syndicats, capable de représenter la profession vétérinaire de façon unitaire, tout en respectant la diversité de ses membres. Aujourd’hui, la fédération (née en 2005) est reconnue, aussi bien par les instances professionnelles que par les pouvoirs publics, comme un interlocuteur privilégié pour l’ensemble des sujets d’intérêt pour notre profession. Ce pari n’était pas gagné d’avance, car la FSVF devait prendre sa place en apportant une valeur ajoutée par rapport à l’action séparée de chaque syndicat. C’est la volonté de réussir de tous ses administrateurs qui lui a permis de réussir ce pari. Je tiens à souligner particulièrement l’action de notre confrère Claude Andrillon, qui a joué un rôle majeur, notamment pour développer le dialogue entre les différents syndicats de vétérinaires praticiens.
Les sujets abordés ont été nombreux : formation, médicament, gouvernance sanitaire, approfondissement des partenariats entre le public et le privé, etc.
Avoir installé la fédération dans le paysage de la profession est donc le principal résultat que je retiens. Mais il ne s’agit que d’une étape. L’équipe animée par notre confrère Jean-Yves Gauchot en franchira d’autres, car il est essentiel que la profession parle d’une seule voix sur les sujets communs à tous les vétérinaires.
Nous avons mené un travail institutionnel au sein du conseil d’administration, mais aussi en petits groupes sur des sujets spécifiques tels que le médicament vétérinaire. On se souvient à quel point la profession a été menacée, notamment sur la délivrance du médicament. Le fait d’avoir une fédération permet à chacun d’écouter les arguments et la position des autres, étape indispensable pour rechercher le consensus et les compromis. Sur plusieurs dossiers, la FSVF a collaboré avec d’autres organisations (conseil de l’Ordre, organismes techniques) : je pense notamment au groupe de travail sur le mandat sanitaire, qui a permis d’avancer sur des sujets comme la certification officielle.
Des regrets ?
Dans la structuration de la fédération, il manque un syndicat représentant les salariés des cabinets et des cliniques vétérinaires. Beaucoup de tentatives ont été menées, mais elles n’ont pas abouti, car il n’y a pas de véritable syndicat représentant ces confrères salariés des établissements de soins vétérinaires.
Mon autre regret porte sur les réflexions liées au bien-être animal, où nous n’avons pas été suffisamment présents. Nous avons vu grandir ces enjeux sans arriver, peut-être, à faire assez de propositions concrètes. C’est un sujet difficile, car pour avancer, il faut parfois remettre en cause le modèle de production dominant (par exemple, on sait depuis longtemps que l’élevage de poules en cage est problématique). Nous n’y avons pas assez mis la priorité pour qu’il soit porté par la fédération. D’autres pays ont avancé plus vite que la France pour organiser l’évolution de la transition vers des modèles plus respectueux du bien-être animal, de l’environnement et des attentes des citoyens. Tous ces thèmes intéressent les vétérinaires sur le terrain. Il faut donc que nos organisations soient à la hauteur des enjeux et des attentes de nos concitoyens.
Les récents débats issus des états généraux de l’alimentation ont-ils répondu aux enjeux sanitaires, sociétaux et alimentaires ?
Il y a deux parties dans le projet de loi qui est actuellement examiné à l’Assemblée. Concernant le titre II sur la transition vers une alimentation saine, de qualité et durable, on ne peut être que déçu par un contenu pauvre, à l’exception de l’article 13 qui renforce concrètement la capacité des services de l’État pour relever les infractions au bien-être animal.
Nous sommes malheureusement loin des discours – par exemple, du président de la République à Rungis – qui invitent à accompagner la transition des modèles agricoles et alimentaires. C’est une déception. Je suis vraiment surpris par la faiblesse de ces propositions.
Parallèlement à ce projet de loi, une réflexion est menée sur la réforme de l’Administration, dans le cadre d’Action publique 2022. Mais les sujets liés à la chaîne alimentaire, à l’approche globale de la sécurité sanitaire n’en font pas partie. Il y a pourtant un grand besoin de rénover la gestion des risques dans le secteur agroalimentaire. Le projet de loi agriculture et alimentation est le support idéal pour transformer cette gestion. Sinon, et c’est bien dommage, il faudra attendre le prochain quinquennat ou la survenue d’une grave crise pour engager les réformes nécessaires.
Sommes-nous à l’abri de nouveaux scandales alimentaires ? Avons-nous les moyens de gérer des trafics qui sont mondiaux et qui n’impliquent pas seulement des questions sanitaires ?
Il y a 20 ans, alors que nous subissions les crises de la “vache folle”, du sang contaminé et bien d’autres, la loi de juillet 1998 créant les agences sanitaires a structuré le dispositif d’évaluation des risques sanitaires. Depuis, je n’ai cessé de plaider pour une transformation du dispositif de gestion des risques, qui permettrait une approche globale dans le domaine de la transparence et de la sécurité sur la chaîne alimentaire. Mais chacun campe sur ses positions. L’affaire Lactalis l’a encore montré. Aucun ministère ne peut porter à lui seul tous les enjeux dans ce domaine. La gestion des risques sur la chaîne alimentaire concerne bien entendu les ministères en charge de l’agriculture et de la consommation, mais également de la santé et de l’environnement. Les contrôles s’organisent essentiellement autour de deux administrations : la Direction générale de l’alimentation (DGAL), qui porte la responsabilité principale des enjeux de sécurité sanitaire, et la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), qui intervient sur des points spécifiques concernant la sécurité (comme les laits infantiles, par exemple), mais surtout la lutte contre les pratiques frauduleuses ou trompeuses.
Des protocoles de coopération existent entre ces deux administrations depuis plus de 20 ans, mais nous voyons bien que cette approche est insuffisante, car elle ne permet pas d’identifier une responsabilité globale de l’État. Une commission d’enquête parlementaire avait déjà soulevé cette problématique en mars 2000, en recommandant la mise en place d’une « unité de commandement », afin de mettre un terme à une situation « où nul n’est responsable en bloc et tous le sont dans le détail ». Ce constat est toujours d’actualité, comme nous l’a rappelé l’affaire Lactalis.
Un nouveau règlement européen sur les contrôles officiels est sorti en mars 2017 et s’appliquera en 2019. Il doit permettre de désigner un organisme unique chargé de coordonner l’ensemble des contrôles officiels pour la gestion des risques sur la chaîne alimentaire. Je pense que le moment est venu de créer dans notre pays, à partir des différentes administrations de contrôle, un établissement public qui soit en mesure de conduire une approche globale et intégrée des risques sur les animaux et la chaîne alimentaire, capable de faire travailler ensemble tous les acteurs privés et publics, avec un financement assuré par des taxes et des redevances sanitaires telles que prévues par le règlement.
Quels sont vos domaines d’études prioritaires aujourd’hui ?
Dans le cadre de mes fonctions de conseiller sécurité sanitaire à l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ), je travaille sur les différentes composantes d’une police de la chaîne alimentaire, ainsi que sur la place des filières alimentaires dans les trafics internationaux et le développement de nouvelles formes de criminalité. On sous-estime l’importance des trafics sur la chaîne alimentaire par rapport aux trafic d’êtres humains, d’armes, de médicaments, de drogue, etc. Le contexte a beaucoup évolué, sous l’influence notamment de la mondialisation des échanges, de la pression sur les prix et de la complexification des circuits commerciaux, qui font appel à des traders de matières premières mondialisées, telles que le minerai de viande ou le triple concentré de tomates. L’INHESJ souhaite mieux caractériser cette forme de criminalité qui touche les filières alimentaires et identifier des pistes d’action.
S’agissant des services de l’État, le défi est aujourd’hui de dépasser la dualité historique entre sécurité sanitaire et répression des fraudes, car il s’agit en réalité des deux facettes d’un même enjeu, celui d’une approche globale de la sécurité sur la chaîne alimentaire.
Une police moderne doit être capable de faire travailler ensemble les différents acteurs et partenaires, dans un esprit de coproduction de la sécurité impliquant proximité, confiance et solidarité. Elle doit également développer une activité de renseignement en complément de l’action administrative et judiciaire, afin de se donner les moyens de détecter les problèmes avant que les scandales n’arrivent.
Il faut aussi aller vers plus de déconcentration et de “re-responsabilisation” des échelons locaux de décision. On a probablement été trop loin dans une approche administrative qui s’appuie de façon excessive sur le respect de règles et de procédures, créant ainsi un cadre bureaucratique rigide, au détriment de la capacité des agents à agir efficacement. L’intérêt général ne peut venir que de la confrontation entre la règle et les situations sur le terrain. Il faut fixer des règles générales et accepter que les décisions soient prises au niveau du terrain.
Dans un monde marqué par l’apparition de nouveaux risques et des aspirations différentes de la société, nous devons également nous interroger sur la pertinence de concepts tels que le stamping out et l’éradication totale de telle ou telle maladie. Nous sommes entrés dans une période où il convient de “vivre avec le risque”, ce qui n’est pas synonyme d’une approche fataliste ou d’abandon des enjeux sanitaires !
•