Allô les vétérinaires, ici le pôle ! - La Semaine Vétérinaire n° 1758 du 06/04/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1758 du 06/04/2018

RECHERCHE

ACTU

Auteur(s) : TANIT HALFON  

Certains projets de recherche polaire sont demandeurs de profils vétérinaires. Contention, capture des animaux et gestes plus techniques, comme des prises de sang et des petites chirurgies, sont au programme des opérations de terrain.

N’avez-vous jamais rêvé de marcher un jour sur les traces des grands explorateurs des pôles ? James Cook, un navigateur de la fin du xviiie siècle, a cherché en vain Terra Australis. Plus tard, Jules Dumont d’Urville, un officier de la marine française parti localiser le pôle Sud magnétique, découvrait, en 1840, le continent antarctique, et nommait la zone où il avait accosté Terre Adélie. Aujourd’hui s’y trouve une des six bases françaises consacrées à la recherche polaire et gérées par l’Institut polaire français Paul-Émile-Victor (Ipev ; encadré). Près de 35 % des projets soutenus par l’Ipev sont dédiés à la biologie. Et pour certains, le profil vétérinaire est demandé. Ainsi, l’institut poste tous les ans des annonces pour un ou une vétérinaire. L’objectif : collecter des données sur des éléphants de mer ou des manchots. « Du point de vue d’un responsable de projet de recherche, les compétences nécessaires pour effectuer les opérations de terrain constituent le cœur du métier de vétérinaire », souligne Caroline Gilbert, maître de conférences en éthologie à l’École nationale vétérinaire d’Alfort, ancienne vétérinaire de terrain en Terre Adélie, et toujours en charge de projets de recherche polaire. Alors, si vous avez, comme le précisent ces annonces, « une bonne aptitude à la vie sociale », « une bonne expérience de la randonnée (marches longues et difficiles, portage) », ou encore « un bon feeling avec les animaux », vous aurez peut-être une chance d’embarquer pour le pôle Sud.

Le vétérinaire, un atout pour la collecte de données

« À la différence d’un biologiste, nous avons un grand avantage : celui d’être déjà un minimum formé, par exemple pour la contention, souligne Caroline Gilbert. De plus, certains programmes impliquent des actes plus techniques, comme des prises de sang, la gestion d’anesthésies générales, voire de la petite chirurgie. » Batshéva Bonnet, vétérinaire diplômée de VetAgro Sup en 2015, a participé à deux reprises à des programmes scientifiques. Après un master en écophysiologie et en éthologie, elle enchaîne, de 2015 à 2017, deux campagnes d’été de six mois. « Pour ma première mission, aux îles Crozet, je devais notamment poser des capteurs de température sous-cutanés et abdominaux sur des manchots royaux, explique-t-elle. Pour la seconde, aux îles Kerguelen, de la même manière, je devais gérer anesthésie et petites chirurgies sur des éléphants de mer. » D’un chien ou d’une vache à un éléphant de mer, il n’y a qu’un pas. « Le vétérinaire n’a pas besoin de beaucoup de formation avant de commencer une mission. Avec les notions de base acquises durant les études en contention, chirurgie, anesthésie, il est capable de monter rapidement en compétences et en autonomie, estime Caroline Gilbert. Un exemple, le zolazépam est l’anesthésique utilisé pour l’éléphant de mer ! » Pour autant, l’institut privilégie, si possible, les vétérinaires ayant déjà manipulé de la faune sauvage, et sensibilisés à la recherche.

Un goût pour l’aventure

La vie dans les territoires des Terres australes et antarctiques françaises est dure. « Nous devions marcher avec de grosses charges sur le dos, quelquefois plus de 16 kg et plus de sept heures, détaille Batshéva Bonnet. Les premières semaines sont difficiles, mais après, on finit par s’y habituer. » Les contraintes physiques sont accentuées par des journées longues, avec des périodes où le travail débute dès 5 heures du matin. « Il n’y a pas de journée type. En revanche, le repas du soir sur la base étant un moment clé pour se retrouver, il a lieu à l’heure, en général vers 19 h 30, continue-t-elle. Mais après, chacun retourne travailler. » La météo est difficile. En hiver, bien sûr, mais aussi en été, car, même si les températures remontent entre 0 et 10° C, encore faut-il supporter les pluies et le vent. « Les personnes qui partent ont un côté aventurier », constate Caroline Gilbert. D’ailleurs, avant son expérience de terrain en terre Adélie, notre consœur avait évalué une méthode de recensement des nids d’orangs-outans à Bornéo, en Malaisie, dans le cadre de son mémoire de master. Quand on postule pour ce type de mission, avoir la fibre aventurière ne suffit pas. « Si l’aspect scientifique des expéditions polaires m’attirait, l’envie de vivre une grande expérience humaine était une motivation majeure pour partir, explique Batshéva Bonnet. L’aspect humain est primordial sur la base. On vit en petite communauté où chacun a sa place, un rôle bien déterminé. » La vie en Antarctique est aussi, et surtout, une affaire de promiscuité. « Quelquefois, pour récolter des données, nous pouvons être amenés à loger à quelques personnes dans une cabane située à plusieurs heures de marche de la base principale de recherche. » Somme toute, la recherche polaire est une belle aventure humaine.

L’INSTITUT POLAIRE COORDONNE LA RECHERCHE POLAIRE

Créé en 1992, l’Institut polaire français Paul-Émile-Victor (Ipev)1 est l’agence française en charge de la coordination de la recherche française dans les régions polaires. Elle réunit les acteurs principaux de cette activité en milieux extrêmes : le ministère de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (Mesri), le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE), le Centre national d’études spatiales (Cnes), le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer), Météo France, les Terres australes et antarctiques françaises (Taaf) et les Expéditions polaires françaises (EPF). Six bases de recherche sont accessibles aux scientifiques : la base franco-allemande Alfred-Wegener Institut Paul-Émile-Victor (Awipev) au Spitzberg, dans l’archipel du Svalbard, en Arctique, trois bases dans les îles subantarctiques Crozet, Kerguelen et Amsterdam-Saint-Paul, et deux bases en Antarctique, la base historique Dumont-d’Urville, sur la côte, et la base franco-italienne Concordia, 1 100 km à l’intérieur du continent. « Le soutien de l’institut est avant tout une offre d’infrastructures et de moyens, explique Christine David-Beausire, la directrice adjointe. Il fournit aux scientifiques l’accès logistique, les infrastructures scientifiques et les moyens de terrain requis pour mener à bien leurs recherches, ainsi que le soutien sur site des personnels de l’Ipev, permanents ou contractuels, selon les besoins. » Côté budget, l’Ipev finance les achats de petits équipements et de moyens de fonctionnement pour le terrain spécifiques à chaque mission, à hauteur de quelques dizaines à quelques centaines de milliers d’euros. Côté projets, la majorité d’entre eux s’inscrivent dans la recherche fondamentale. « Certains projets ont également un lien avec les politiques publiques de gestion et de protection environnementale, souligne Christine David-Beausire. Il peut y avoir aussi ponctuellement des projets de développement technologique en milieux extrêmes. » La biologie humaine est également concernée, l’Agence spatiale européenne (ASE) menant plusieurs projets en lien avec la préparation des vols spatiaux habités !

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