Axel Decourtye : « Reconnecter l’agriculteur et les abeilles » - La Semaine Vétérinaire n° 1759 du 06/04/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1759 du 06/04/2018

ENTRETIEN

PRATIQUE MIXTE

L'ACTU

Auteur(s) : PROPOS RECUEILLIS PAR TANIT HALFON  

Dans un contexte où l’évolution vers une agriculture durable devient une urgence, Les Abeilles, des ouvrières agricoles à protéger invite à un dialogue neuf et apaisé entre apiculteur, protecteur des abeilles et agriculteur. Entretien avec Axel Decourtye, directeur scientifique et technique de l’Itsap et coordinateur de l’ouvrage.

De quoi traite ce livre ?

Il s’agit d’un état des lieux des connaissances sur les interactions entre le monde agricole et les abeilles. Dix-neuf auteurs y ont collaboré, dont l’Institut technique et scientifique de l’apiculture et de la pollinisation (Itsap), Institut de l’abeille, et l’Institut national de la recherche agronomique (Inra). L’idée était de pouvoir éclairer le lecteur sur un sujet qui fait aujourd’hui débat. Cet ouvrage s’adresse à un public connaissant un minimum les abeilles, dans le sens où d’autres livres présentent leur cycle de vie. Les chapitres traitent ainsi directement de la pollinisation, de l’habitat des abeilles, de l’influence des pratiques agricoles sur leur activité, ou encore du profil technico-économique des apiculteurs, qui constituent une profession agricole bien particulière, caractérisée notamment par une quasi-absence de foncier.

Comment le système agricole a-t-il permis le développement de l’apiculture ?

Les vifs débats entre les cultivateurs et les apiculteurs pourraient laisser croire qu’il est impossible de produire sur la même parcelle de l’huile et du miel de colza ou de tournesol. Pourtant dans les années 1980, l’accroissement des surfaces agricoles en cultures oléagineuses de tournesol et de colza a grandement participé à la professionnalisation de l’apiculture. Mais aujourd’hui, les apiculteurs et les cultivateurs se retrouvent dans une impasse. Les premiers connaissent une chute vertigineuse de la fabrication de miel, et les seconds doivent trouver des systèmes de production moins pénalisants pour les ressources naturelles. On peut espérer que cette situation, où l’agriculture doit se réinventer, se fasse en s’appuyant sur le service de pollinisation des abeilles, en concertation avec les apiculteurs, l’objectif étant d’évoluer vers un modèle performant et plus vertueux pour la biodiversité.

Concrètement, quels types d’actions entreprendre pour préserver les abeilles ?

Nous devons lutter contre les disettes alimentaires. Une disette vécue au printemps, par exemple entre les floraisons du colza et du tournesol, peut avoir des répercussions sur les abeilles en exacerbant la compétition pour les rares ressources florales restantes et en fragilisant les colonies d’abeilles domestiques. Pour y remédier, il faut, entre autres, favoriser les habitats semi-naturels (haies, bords de champ, lisières), qui hébergent de la flore diversifiée et non traitée aux pesticides. Il conviendrait également d’alterner les floraisons, en cultivant des plantes qui fleurissent après la récolte des céréales, afin d’augmenter les ressources alimentaires disponibles pour les abeilles. De manière générale, les pratiques des agriculteurs doivent garantir que ces ressources n’entraînent pas de risque d’intoxication pour les abeilles. Si l’apiculteur a effectivement besoin de l’agriculteur en tant que gestionnaire du milieu, ce dernier n’arrivera pas à relever les défis agricoles de demain sans participer à la préservation des pollinisateurs de ses territoires. Cette transition pose néanmoins la question de son financement. Nous espérons que la nouvelle politique agricole commune aidera financièrement les agriculteurs qui prennent des risques pour améliorer les régulations écologiques.

LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE PASSE PAR LA POLLINISATION

En 2016, la plateforme sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) rendait son premier rapport1 qui concernait l’impact des pollinisateurs sur la production alimentaire mondiale. En quelques points clés, il révélait l’importance de la pollinisation sur la sécurité alimentaire :
- la majorité des espèces pollinisatrices sont sauvages, à raison de plus de 20 000 espèces d’abeilles sauvages, et de certaines espèces de papillons, de mouches, de guêpes, de scarabées, d’oiseaux, de chauves-souris, etc. ;
- 5 à 8 % du volume de la production agricole mondiale, représentant 350 à 577 milliards de dollars en 2015, dépendent de la pollinisation ;
- 75 % des principales cultures vivrières mondiales dépendent du travail des pollinisateurs ;
- durant ces 50 dernières années, la production des cultures liées à l’activité des pollinisateurs a augmenté de 300 % en volume ;
- près de 90 % des plantes à fleurs sauvages (environ 308 000 espèces) sont en partie dépendantes de la pollinisation pour leur reproduction sexuée ;
- 16,5 % des vertébrés pollinisateurs, et près de 30 % des espèces insulaires, sont en voie d’extinction au niveau mondial. En Europe, 9 % de certaines espèces d’abeilles et de papillons sont menacées.

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