DOSSIER
Auteur(s) : MICHAELLA IGOHO-MORADEL
La loi d’avenir du 13 octobre 2014 a mis en place les dispositions “anti-cadeaux” et de “transparence des liens” dans le secteur vétérinaire. Le législateur estime en effet qu’il est nécessaire de renforcer la transparence des liens d’intérêt qui pourraient exister entre les praticiens et les industriels du médicament vétérinaire. Il est encore trop tôt pour évaluer l’impact et la portée de cette réglementation récente pour la profession. Mais l’expérience déjà bien établie en santé humaine permet d’en appréhender les forces et les faiblesses.
Pour comprendre les dispositifs “anti-cadeaux” et de “transparence des liens”, il est nécessaire de s’intéresser à leurs genèses. L’esprit de ces “garde-fous” découle d’une série de lois votées par le législateur américain à partir de 1970. L’objectif était d’apporter plus de transparence dans le processus de décisions prises par le gouvernement et l’Administration. Un texte, le Physician Payments Sunshine Provisions ou Physician Sunshine Act, adopté en 2010, oblige les fabricants de médicaments, de dispositifs, de matériels médicaux ou biologiques, mais aussi tout groupement d’achats à déclarer tout paiement consenti à un médecin ou à un centre hospitalier universitaire. En 2013, cette obligation prévoit également que les laboratoires rendent publiques ces déclarations. Des mécanismes similaires ont été approuvés par d’autres pays tels que le Japon, le Royaume-Uni ou encore, plus récemment, la Belgique.
En France, tout commence avec l’affaire du Mediator®. Les pouvoirs publics veulent renforcer la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé : la loi du 29 décembre 2011 voit le jour. L’une de ses mesures phares concerne la transparence des liens d’intérêt. Ce socle, ainsi que le dispositif “anti-cadeaux” sont étendus au secteur vétérinaire par la loi d’avenir du 13 octobre 20141. Ces deux dispositifs ont été très critiqués lors des débats parlementaires, en raison notamment de la non-prise en compte des spécificités du secteur.
D’abord, le dispositif “anti-cadeaux”. Sous peine de sanctions, la loi d’avenir interdit aux vétérinaires, aux groupements et aux utilisateurs agréés, aux fabricants et aux distributeurs d’aliments médicamenteux, aux étudiants futurs vétérinaires, aux pharmaciens, ainsi qu’à leurs représentants, de se procurer tout avantage, en nature ou en espèces, sous quelque forme que ce soit, de façon directe ou indirecte, provenant d’industriels du médicament vétérinaire. Réciproquement, le Code de la santé publique prévoit une stricte interdiction pour les industriels du médicament vétérinaire d’octroyer de tels avantages à ceux qui en prescrivent et en utilisent. L’avantage est défini comme « ce qui est alloué ou versé à une personne bénéficiaire sans contrepartie ou bien lorsque cette contrepartie est sans proportion avec ce qui est alloué ou versé ». Pas simple de s’y retrouver donc. Mais concrètement, il s’agit des avantages perçus sans contrepartie, injustifiés ou dont la rémunération va au-delà de la valeur de la prestation fournie par les professionnels du secteur vétérinaire. Il peut s’agir des avantages interdits selon les dispositions de la loi d’avenir, les activités sociales (sportives, par exemple), les invitations à des sorties culturelles, événementielles, des chèques-cadeaux, des voyages, etc. En revanche, les “avantages” commerciaux tels que les remises, les rabais, les ristournes ou les échantillons ne sont pas concernés. Il y a néanmoins deux dérogations prévues sous conditions pour les activités de recherche et d’évaluation scientifique et l’hospitalité offerte, de manière directe ou indirecte, lors de manifestations de promotion ou à caractère exclusivement professionnel et scientifique. Ces exceptions permettent ainsi un prêt de matériel pour une évaluation scientifique prévue par une convention de recherche ou des manifestations professionnelles de type congrès, comme la prise en charge de quelques nuits d’hôtel ou d’un repas. Ces dérogations doivent obligatoirement faire l’objet d’une convention passée entre le vétérinaire, notamment, et l’entreprise, communiquée ensuite à l’Ordre au moins deux mois avant sa mise en œuvre pour la convention d’étude et un mois avant pour la convention d’hospitalité. Celles-ci doivent préciser l’identité du vétérinaire, le numéro d’inscription au Conseil national de l’Ordre (CNOV) et l’adresse d’exercice professionnel.
Pour une convention de recherche ou d’hospitalité, ces “avantages” consentis doivent être d’un niveau raisonnable. Une convention signée en mai 2017 entre le CNOV et le Syndicat de l’industrie du médicament et réactif vétérinaires (SIMV) prévoit d’ailleurs des barèmes précisant ce qui est acceptable. Ainsi sont estimés raisonnables : les frais d’hébergement (hôtel petits-déjeuners compris) jusqu’à 200 € TTC et 300 € TTC si le déplacement se fait à l’étranger ; jusqu’à 60 € TTC pour un repas, 12 € TTC pour les pauses (notamment lors d’un congrès), 250 € TTC par jour pour l’inscription à un congrès, que la manifestation se tienne en France ou à l’étranger, et une rémunération maximale de 200 € par heure pour les études précliniques, cliniques, épidémiologiques ou post-autorisation de mise sur le marché (AMM). Pour les frais de transport, un déplacement en train se fait en 1re et 2de classe et en avion, en classe économique, sauf si le vol dure plus de 6 heures : dans ce cas, une réservation en classe business est possible. Ces barèmes n’interdisent pas les “petits” gestes de courtoisie, bien sûr raisonnables, possibles dans une relation normale de travail. Les laboratoires peuvent privilégier des présents sans grande valeur, tels que des stylos, des échantillons gratuits, des carnets de vaccination, etc. En application d’une jurisprudence humaine, ces gestes de courtoisie doivent être inférieurs à 30 € TTC par bénéficiaire et par an. Une fois ce cadre posé, il est plus aisé pour l’Ordre de décider si une convention qui lui est soumise peut ou non recevoir un avis favorable.
Dès le 1er juillet 2017, les laboratoires ont l’obligation de transmettre pour avis à l’Ordre les seules conventions ayant pour objet une prestation de service en lien avec des activités de recherche ou d’évaluation scientifique (par exemple, les essais cliniques et les études post-AMM) ou d’hospitalité. Une procédure simplifiée a été mise en place par l’Ordre et le SIMV afin de soulager les laboratoires qui pourraient crouler sous la paperasse administrative. « Nous sommes satisfaits du dispositif mis en place avec le CNOV, car la formation et la recherche sont maintenues avec des garde-fous quant aux prestations annexes, indique Arnaud Deleu, directeur des affaires économiques et de la formation au sein du SIMV. Sur le dispositif “anti-cadeaux”, le protocole signé en mai 2017 entre l’Ordre et le SIMV prévoit une procédure simplifiée qui permet aux laboratoires de soumettre pour avis les conventions de recherches et d’hospitalité en relation avec des travaux ou formations scientifiques signées avec un membre de la profession vétérinaire. Cette procédure permet de déclarer des conventions d’un niveau raisonnable, dont les seuils ont été fixés dans le cadre du protocole signé. Par exemple, deux mois avant la tenue d’une manifestation scientifique ou d’un salon, les industriels doivent soumettre à l’Ordre les conventions liées avec la liste nominative des invités. Ce dernier vérifie que la prestation est réelle et mesurée. » Les entreprises concernées transmettent à l’Ordre leurs conventions, deux mois avant la manifestation, via une plateforme électronique. Dans le cadre d’une procédure simplifiée, il s’engage à répondre sous huit jours en cas d’avis favorable. Pour les procédures plus longues, une réponse peut être attendue jusqu’à deux mois après la soumission. Dans les deux cas, le silence de l’Ordre vaut avis favorable dans les deux mois. Il est à noter que son avis n’est pas contraignant, mais s’il est défavorable, le laboratoire doit tout de même en informer le vétérinaire. Ainsi, même si une convention a reçu un avis défavorable, cela n’empêche pas le vétérinaire d’accepter un avantage proposé par un industriel ni un laboratoire d’en offrir un. Mais ces derniers s’exposent à des sanctions lourdes en cas de contrôle par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Une convention rejetée ou non soumise à l’Ordre peut également aggraver la sanction prononcée pour le non-respect de la loi.
La “transparence des liens” est le binôme du dispositif “anti-cadeaux”. Les entreprises doivent déclarer tous les six mois et publier sur le site Transparence.sante.gouv.fr, lancé en 2014, tout avantage en nature ou en espèces d’une valeur supérieure ou égale à 10 € perçu par un membre de la profession vétérinaire (repas, inscription à un congrès, hébergement, pause lors d’un salon, transport, remise d’une bourse, activités de conseil autre que scientifiques, prêt de matériel, etc.). Le vétérinaire n’a pas à renseigner lui-même ces données puisque seuls les industriels sont tenus par cette obligation.Le site internet dédié a recueilli, au 1er
mars dernier, les premières déclarations pour les conventions et avantages du 1er
juillet 2017 au 21 décembre 2017. «
Depuis le 1
er
mars 2018, ces informations sont disponibles en ligne, souligne Arnaud Deleu. Les déclarations sont nominatives et précisent l’objet de la convention, ainsi que l’avantage perçu. Tout ce qui concerne le médicament vétérinaire est déclaré. Le laboratoire peut directement transmettre les informations ligne par ligne sur le site ou alors communiquer un fichier Excel. Ces données sont traitées par la Direction générale de la santé (DGS). En cas d’erreur, les acteurs concernés peuvent faire une demande de rectification directement sur le site.
» Début avril 2018, soit un mois après le début de la collecte, plus de 10 000 avantages ont été déclarés. Il s’agit majoritairement de repas. Ces informations étant publiques, tout citoyen, tout client peut y avoir accès. Mais “liens d’intérêt” ne signifie pas “conflits d’intérêts”. Le ministère des Solidarités et de la Santé rappelle en effet que «
pour développer leurs produits, les entreprises sont amenées à nouer des relations avec des experts, des journalistes et des acteurs publics. Il faut, bien entendu, conserver et développer cette complémentarité, qui fait avancer la science et permet le progrès thérapeutique
». Pour autant, près de quatre ans après la création de la base de données qui rend accessible les liens d’intérêt entre les professionnels de la santé et les laboratoires, le bilan semble plutôt mitigé. Du côté des médecins, certains se plaignent des erreurs constatées sur le site. Par exemple, des médecins se sont vus attribuer des avantages qu’ils dénoncent ne pas avoir perçu. La Cour des comptes, quant à elle, a pointé, dans un rapport publié en mars 2016, des «
failles majeures
». La juridiction financière regrette notamment que «
les données consolidées restent lacunaires, seuls les avantages au titre de l’hospitalité et leur montant étant à ce jour publiés
». De même, elle dénonce «
l’absence de contrôle des informations déclarées
» ou encore une «
interprétation très restrictive des avantages consentis par les industriels aux professionnels de santé
».
•
1 Voir La Semaine Vétérinaire nos 1647 et 1648 des 23 et 30/10/2015, pages 40 à 45.
« LE POINT D’ÉTAPE EST ENCOURAGEANT »
LA TRANSPARENCE POUR QUELS PROFESSIONNELS ?
DES SANCTIONS LOURDES