La Compagnie des vétérinaires s’épaule de nouveaux partenaires - La Semaine Vétérinaire n° 1761 du 27/04/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1761 du 27/04/2018

STRATÉGIE

ACTU

Auteur(s) : SERGE TROUILLET  

La Compagnie des vétérinaires, qui veut s’épauler de nouveaux investisseurs, se désengage-t-elle de ses partenaires historiques, les centrales d’achat ? Explications.

Exit les centrales d’achat. Lors de sa dernière assemblée générale, en mars dernier, La Compagnie des vétérinaires s’est définitivement émancipée de son esprit coopératif du départ. Elle sort les centrales d’achat du conseil d’administration, fait entrer de nouveaux administrateurs non vétérinaires, pour la première fois, et ouvre son capital à de nouveaux investisseurs. Cette éviction fait aujourd’hui débat et suscite l’inquiétude chez certains praticiens.

La Compagnie des vétérinaires, dont les valeurs prônent « la responsabilité assumée du groupe envers les propriétaires des animaux de compagnie, des vétérinaires, comme de l’ensemble des publics concernés par nos activités », prend un nouveau tournant. Doit-on y voir un supposé début de financiarisation des sociétés de services vétérinaires ? Les craintes exprimées à cet égard sont-elles fondées ? La centrale d’achat Alcyon – à l’origine de la création de La Compagnie des vétérinaires en 1993 – réagit, mais ne peut, pour l’heure, décrypter toutes les conséquences d’une telle décision pour ses filiales (entretien). Contactées, Coveto et Centravet n’ont pas souhaité répondre à nos questions.

Pourquoi la stratégie de La Compagnie des vétérinaires, toujours en croissance (encadré), doit-elle être revue ? Quel est le rôle des centrales d’achat ? « Nous avons besoin d’un financement de 30 M à 40 M pour les cinq prochaines années. Il nous faut en conséquence des actionnaires qui nous accompagnent, qui partagent notre philosophie entrepreneuriale. Ce n’est plus le cas des centrales. Elles ne participent pas vraiment aux augmentations de capital et restent passives. L’entre-soi a atteint ses limites avec elles », déplore son président-directeur général, Philippe Thomas.

La Compagnie des vétérinaires se félicite au contraire du soutien massif des 2 200 vétérinaires libéraux actionnaires, tant dans les opérations d’augmentation de capital qu’à l’assemblée générale. « Même s’ils sont attachés à un certain esprit de solidarité professionnelle, ils le sont au moins autant à des notions de gouvernance modèle, de performance économique et financière, de création de valeur. C’est une vraie évolution par rapport au modèle précédent », poursuit-il.

De nouveaux partenaires financiers

Avec environ 16 M€ de capitaux propres, la société s’estime limitée dans ses capacités d’emprunt et d’endettement. Afin d’accélérer son développement, elle espère ainsi faire entrer des partenaires pour hisser ces capitaux à hauteur de 30 M€ avant la fin de l’année. Au dire de Philippe Thomas, de nombreux investisseurs manifestent leur intérêt pour le projet et pour la société de manière générale : « Depuis deux ans, j’en ai rencontré une quarantaine. Les garanties de rendement que nous leur présentons leur semblent un argument convaincant. Je ne suis pas inquiet. Nous trouverons le financement de notre croissance. »

Dans ses trois domaines d’activité stratégique (la crémation, l’assurance santé animale et les services numériques), la société entrevoit en effet, dans les prochaines années, de très belles perspectives de croissance externe et de développement, en France et à l’international. Dans le cadre du programme Accélérateur PME de Bpifrance, dont elle a fait partie de la première promotion, n’a-t-elle pas été dans le top 10 des petites et moyennes entreprises (PME) innovantes à promouvoir pour le développement à l’étranger ? « Compte tenu de nos investissements structurants et de notre potentiel de croissance, nous sommes capables d’assurer un rendement convenable pour un investisseur qui nous fait confiance, de la même façon que nous le faisons pour nos actionnaires vétérinaires », soutient Philippe Thomas.

Pas plus de 30 % de capitaux extérieurs

La Compagnie des vétérinaires est donc en ordre de bataille. Après l’élaboration du plan d’orientation stratégique, la modification de la gouvernance, reste à boucler le financement de ce plan. La quête d’un actionnaire minoritaire n’a pas été sans susciter de l’inquiétude, ce qu’entend dissiper fermement le président : « Certains des opposants à notre projet ont joué sur la peur auprès des confrères, relayant les craintes d’une prise de pouvoir de la société par des financiers. Nous procédons comme toute société moderne en développement, et nous avons des outils de contrôle pour cela. Les statuts sont clairs ; ils empêchent d’avoir plus de 30 % de capitaux extérieurs. On ne fait pas n’importe quoi avec le patrimoine de la profession. »

Lors du conseil d’administration du 17 mai, sera présenté le schéma de financement du plan d’orientation stratégique. Un autre se déroulera en juillet pour parachever ce plan de financement et valider l’entrée d’un investisseur au capital. « Ainsi, nous serons fin prêts, pour le prochain exercice à partir du 1 er octobre, à mettre en œuvre le nouveau plan d’orientation stratégique des cinq prochaines années. Nous ciblons alors un chiffre d’affaires entre 65 M et 80 M et peut-être davantage, avec notamment un développement international plus rapide et plus fort en Allemagne et en Pologne. »

ENTRETIEN AVEC  JEAN-LUC MERCIER 

« LA PROFESSION A PERDU TOUT CONTRÔLE SUR LA COMPAGNIE DES VÉTÉRINAIRES »

Les centrales d’achat vétérinaires Alcyon, Centravet et Coveto ont été “sorties” du conseil d’administration (CA) de La Compagnie des vétérinaires (LCV), lors de son assemblée générale de mars dernier. Jean-Luc Mercier (N 90), président d’Alcyon, nous livre ses commentaires.

Jean-Luc Mercier Président de la centrale d’achat vétérinaire Alcyon.

Quelles réflexions vous inspire cette décision du CA de LCV ?
Les centrales représentaient l’ensemble ou presque des vétérinaires, et il n’y avait pas de notion de gros ou de petits actionnaires. Elles étaient aussi un barrage à l’entrée d’intérêts extérieurs à la profession ou à la prise de pouvoir par quelques personnes. Leur présence présentait un aspect complémentaire pour éviter toute dérive. Elles défendaient l’intérêt de la profession et non celui des actionnaires (tous clients et vétérinaires). Bref, une société anonyme (SA) avec un esprit coopératif. Le but n’était pas de faire de gros bénéfices, ni d’avoir une valeur d’action qui monte de façon importante, mais d’apporter des services aux vétérinaires et à leurs clients à un coût raisonnable (l’incinération au prix d’un vaccin), et de redistribuer les bénéfices aux vétérinaires actionnaires.

Quel est le poids des centrales d’achat au sein de LCV ?
Depuis quelque temps, leur minorité au CA de LCV faisait que l’avis des centrales n’était plus pris en compte. Le débat lors de la dernière assemblée générale (AG) a permis de mettre tous les vétérinaires au courant de la situation. Les centrales gardaient encore un pouvoir théorique lors des AG, car avec leurs votes elles représentaient une grosse quantité de voix. Avec un financier ou une autre structure disposant d’un gros nombre d’actions (30 % des voix), le vote des vétérinaires (très atomisés dans le capital de LCV) ne pèsera rien face à celui de cette structure, puisque la participation habituelle à une AG est aux environs de 50 à 55 %. C’est bien le reproche qui était fait à Alcyon, quand elle avait une majorité des voix lors de toutes les AG. Mais elle ne s’en est jamais servi pour influencer négativement une décision, quelle qu’elle soit. Alcyon, loin d’avoir été un poids mort pour LCV, a toujours suivi ses souhaits de développement. Si nous refaisions un peu d’histoire.

Quelle part de capital détenez-vous aujourd’hui ?
La Compagnie des vétérinaires a été créée en 1993 grâce à Alcyon (Savenor, devenue Alcyon Arras). Alcyon détenait alors 50,17 % des voix de LCV jusqu’à l’augmentation du capital en 1997. Alcyon a suivi cette augmentation partiellement, permettant à Coveto (5 %) et à de nombreux vétérinaires d’acquérir des parts de LCV. Alcyon devenait alors actionnaire avec une minorité de blocage (33,3 % des voix). En 2014, pour permettre à Centravet, au SNVEL1 et à d’autres vétérinaires d’être actionnaires, LCV a demandé à ce qu’Alcyon cède 18 % du capital. Ce à quoi nous avons consenti. Nous ne détenions plus alors que 15 % du capital. En mai 2017, Alcyon a suivi l’augmentation de capital, à hauteur de 50 % de ses droits, là encore pour laisser la possibilité à d’autres vétérinaires d’être actionnaires.

Voyez-vous la situation évoluer ?
Nous avons toujours appuyé financièrement LCV. Et nous avons toujours distingué les intérêts de LCV de ceux des centrales. La preuve, Alcyon a voté pour le rachat des logiciels de gestion Vetocom et Bourgelat par LCV, alors qu’elle détenait déjà Dr.veto. Avec ce qui vient de se passer, la profession a perdu tout contrôle sur LCV, et avec les statuts votés l’année dernière, cela va vite évoluer. Il sera intéressant de surveiller l’augmentation des prix de vente du service d’incinération (déjà bien plus élevé qu’en Grande-Bretagne, par exemple).

Quelles conséquences Alcyon en tire-t-elle ?
L’éviction étant récente, les débats internes sur le devenir de la participation d’Alcyon au capital de LCV nécessitent du temps. Alcyon a des filiales en Italie et en Belgique et se doit de mener une réflexion à l’échelle européenne avant de prendre position. Aucune décision ne sera prise dans la précipitation.



1 Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral.
Propos recueillis par sERGE tROUILLET

UNE CROISSANCE ANNUELLE DE 15 % DEPUIS 20 ANS

Forte de ses positions dominantes sur ses différents marchés, mais très discrète dans sa communication, La Compagnie des vétérinaires (constituée d’une holding avec trois filiales : Incineris, Animal-Expert et Digivet) est en plein développement. Elle affiche une croissance de 15 % par an, depuis 20 ans. Depuis quelques années, elle embauche entre 40 et 50 personnes par an. Son effectif avoisine les 400 salariés, dont déjà une trentaine en Allemagne. Son chiffre d’affaires à la fin de l’exercice en cours, en septembre, devrait frôler 40 M€, versus 34 M€ sur l’exercice précédent.