L’ENQUÊTE DU MOIS
DOSSIER
Auteur(s) : PAR DIANE PENDARIÈS-ISSAURAT
Outre son rôle de soignant, le vétérinaire praticien doit aujourd’hui maîtriser un grand nombre de compétences non techniques, pour réussir sa vie professionnelle, en lien avec l’évolution de la société. Une thèse de doctorat vétérinaire a cherché à évaluer la perception qu’ont les jeunes de ces compétences, ainsi que les vétérinaires plus expérimentés.
Même si le rôle central du vétérinaire praticien est d’être un soignant et que, dans ce cadre, il utilise des compétences techniques, celles dites non techniques apparaissent comme indispensables pour l’exercice professionnel. La société évolue vers un modèle de plus en plus axé sur le service. De ce fait, les attentes des propriétaires d’animaux changent. Ils souhaitent une offre de service plus personnalisée de la part de leur vétérinaire, et ce aussi bien en rurale, en canine qu’en équine. La relation avec leur praticien évolue aussi : ce dernier, qui était auparavant le sachant, doit désormais défendre ses connaissances face à Internet, que les clients consultent avant la visite. Les vétérinaires eux-mêmes ont évolué et aspirent à un meilleur équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie privée. Ceci peut se voir selon plusieurs indices comme l’augmentation du salariat ou le fait que 31 % des sortants de l’Ordre soient âgés de moins de 40 ans1. Cette évolution se ressent également au niveau de la problématique du recrutement et des difficultés d’insertion des jeunes vétérinaires dans le monde du travail, mise en évidence par l’enquête de la Direction générale de l’enseignement et de la recherche (DGER)2. Pour exemple, cette dernière montre que les jeunes diplômés estiment avoir un solide bagage scientifique et technique en sortant de l’école. En revanche, au moins la moitié des répondants pensent ne pas avoir été suffisamment préparés pour l’insertion dans le monde du travail. Plus d’un tiers d’entre eux considèrent avoir des difficultés en gestion d’entreprise, tandis que 13 et 15 % en ressentent respectivement dans la recherche du premier emploi et dans la communication. Ces évolutions font ressortir la nécessité chez les praticiens de mettre en avant d’autres compétences que leur seule maîtrise de la médecine et de la chirurgie vétérinaire. Dans ce contexte, une enquête a cherché à faire un état des lieux de la maîtrise des compétences non techniques par les débutants, de leur propre point de vue et de celui de leurs employeurs, à mettre en évidence celles qui sont importantes aux yeux des vétérinaires expérimentés et à déterminer la période d’acquisition de l’ensemble de ces compétences.
La compétence correspond à un ensemble d’éléments de savoir, de savoir-être et de savoir-faire3. Pour maîtriser une compétence, ces éléments doivent pourvoir être mis en œuvre dans une grande variété de situations4, 5. Les compétences non techniques se rapportent à tout ce qui gravite autour de la profession vétérinaire, sans être directement liées aux activités médicales. Tout le monde n’a pas besoin des mêmes compétences non techniques dans l’exercice de ses fonctions, cependant, un certain nombre d’entre elles sont essentielles à la réalisation du vétérinaire dans sa vie professionnelle. Elles apportent un équilibre à celui qui les possède et jouent un rôle non négligeable dans le succès du praticien dans sa carrière. La satisfaction des employeurs vis-à-vis de leurs employés serait due à 25 % aux compétences techniques, mais à 42 % de plus aux compétences non techniques, une fois les compétences techniques maîtrisées6. La satisfaction des clients passe elle aussi par les compétences non techniques, comme le montre la grande majorité des plaintes reçues contre les vétérinaires et qui sont dues à un problème de communication7. Si, dans cette enquête, les débutants et les expérimentés sont, pour plus des trois quarts des questions, du même avis, notons tout de même que, pour presque toutes les questions, les débutants sont plus confiants sur la maîtrise de leurs compétences que ne l’évaluent leurs employeurs. Ce phénomène avait déjà été observé dans une précédente enquête8.
Les lacunes des jeunes diplômés, de leur point de vue et de celui de leurs employeurs, se situent principalement dans le domaine de la gestion de l’entreprise. Les débutants se sentent incompétents pour ouvrir ou reprendre une structure, ce qui peut expliquer le taux croissant de vétérinaires salariés. Ils se sentent incompétents pour gérer la comptabilité ou la politique tarifaire de l’entreprise dans laquelle ils travaillent. La connaissance des droits et des devoirs incombant aux praticiens leur fait également défaut. Un manque de formation initiale et des lacunes de management des employeurs, qui n’orientent pas leurs employés par des feed-back constructifs9, peuvent en être les causes.
Pour diriger des personnes, les vétérinaires expérimentés n’ont retenu qu’une compétence comme importante : motiver ses collaborateurs (autres vétérinaires, auxiliaire spécialisée vétérinaire, autre personnel). Pour eux, les débutants ne la maîtrisent pas, même si, de leur côté, les débutants ont coché majoritairement la note 3 (maîtrise “assez” de la compétence). Pourtant, les vétérinaires sont des cadres et devraient donc être capables de fédérer une équipe autour d’un projet, de déléguer des tâches et d’impliquer leurs collaborateurs dans celles-ci10. Mais la formation telle qu’elle est délivrée actuellement tend à former des vétérinaires cadres experts, allant vers une spécialisation poussée, plutôt que des cadres dirigeants.
Les employeurs soulignent également un manque de compétence dans le domaine de la gestion de soi-même, à savoir une autonomie insuffisante, qui va de pair avec une difficulté à prendre des décisions. De la même manière, une mauvaise gestion des demandes multiples et priorités concurrentes est notée. Enfin, du point de vue des employeurs et des débutants, les éléments de contexte font défaut aux jeunes diplômés pour pouvoir prendre position. Ils ne connaissent pas toujours bien les débats autour des questions de société comme l’euthanasie, les méthodes d’abattage, l’organisation économique et sociale de l’élevage. La formation du vétérinaire, très technique, le restreint à la connaissance médicale, sans susciter son intérêt pour les questions globales qui entourent le monde animal.
Seules 10 compétences font l’objet d’un désaccord entre débutants et expérimentés. Et il n’y a que deux compétences pour lesquelles les débutants s’évaluent plus sévèrement que ne le font les employeurs. La première est “suivre une formation continue”, qui est jugée très importante par les vétérinaires expérimentés. Pour celle-ci, les employeurs considèrent leurs jeunes employés plus compétents qu’ils ne le pensent eux-mêmes. Ceci peut s’expliquer par le fait que les jeunes diplômés apportent des connaissances récentes issues de la formation initiale dans les établissements vétérinaires, ce qui les fait paraître comme ayant des connaissances nouvelles. De leurs côtés, les jeunes ne savent pas comment suivre une formation continue et se trouvent peut-être déjà submergés par la mise en pratique de la formation initiale. La deuxième compétence est “se développer en ayant des intérêts en dehors de la profession”, mais elle n’est pas évaluée comme très importante par les expérimentés.
Cependant, sur cet apparent accord global, une tendance se profile : les jeunes vétérinaires se sentent globalement plus confiants sur la maîtrise de leurs compétences non techniques que ce qu’en disent leurs employeurs, un résultat déjà observé dans une autre enquête8. Par exemple, les jeunes vétérinaires sont très confiants en leur capacité à travailler en équipe, à être organisé, discipliné et persévérant, et à suivre les développements de la médecine. Alors que leurs employeurs semblent en attendre un peu plus d’eux. Cet écart pourrait mettre en évidence des difficultés de management des jeunes vétérinaires, des attentes qui ne sont pas toujours bien explicitées et des retours pas toujours bien faits. Cet écart peut être un indice des difficultés d’intégration des jeunes recrues dans les structures.
La formation initiale des jeunes vétérinaires contribue peu à l’acquisition de leurs compétences non techniques. En effet, 54 % des jeunes vétérinaires interrogés pensent que c’est “la vie de tous les jours” qui leur a permis l’acquisition de leurs compétences non techniques, représentée majoritairement par les premiers emplois, les stages et les situations de la vie courante. Il semblerait donc que la formation initiale dans les écoles vétérinaires ne soit pas organisée pour l’acquisition des compétences non techniques, du point de vue des jeunes diplômés. Cependant, pour y remédier, une évolution de l’enseignement a déjà commencé. Pour exemple, à VetAgro Sup, le nouveau module Vétérinaires de xxie siècle permet aux étudiants de 1re année de se former dans des compétences qui, d’après notre enquête, leur font défaut actuellement : entreprendre, travailler en équipe, connaître les questions de société actuelles et savoir prendre position face à ces questions. De plus, le partenariat entre VetAgro Sup et l’Institut d’administration des entreprises (IAE) de Lyon a permis, en 2013, la création d’un master en management et gestion des structures vétérinaires libérales, qui permet d’acquérir des connaissances de base en comptabilité, gestion, management, droit, marketing et stratégie d’entreprise, tout en les mettant immédiatement en pratique lors d’un stage de trois mois.
Sur les 48 compétences proposées dans la liste, 30 ont été qualifiées de très importantes pour exercer en tant que vétérinaire praticien par les vétérinaires expérimentés, employeurs et non employeurs de débutants. Pour ces compétences, les débutants et les expérimentés se retrouvent souvent d’accord sur leur maîtrise, avec un peu plus de trois quarts de réponses qui vont dans le même sens. D’autres compétences sont jugées non utiles par les vétérinaires expérimentés, comme “utiliser la finance et le management pour mener un projet à bien” ou encore “avoir des connaissances en matière de marketing”. Ce constat est regrettable et indique que la profession n’accepte toujours pas cet aspect de l’activité. Les vétérinaires ont d’ailleurs des difficultés, à recruter des vétérinaires ayant des compétences en business11. De même, de nombreuses compétences de la catégorie “diriger” n’ont pas été considérées par les vétérinaires expérimentés comme importantes pour l’exercice du métier. Ce résultat peut être symptomatique d’un manque à la fois de connaissances en management des vétérinaires et d’attrait pour cet aspect de la profession. Ceci peut être corrélé au fait que les vétérinaires sont de plus en plus nombreux à rester salariés, impliquant un effectif réduit se sentant investi du rôle de manager. Il est aussi possible que certains vétérinaires expérimentés aient considéré que ces compétences ne seraient utiles qu’aux futurs associés au même titre que la compétence “anticiper les besoins futurs de la structure”. Enfin, la profession ne reconnaît pas l’importance de la question “se développer en ayant des intérêts en dehors de la profession”. Pourtant, plus qu’un indicateur d’oisiveté, la maîtrise de son équilibre de vie12, le développement de nouveaux liens sociaux5 et le travail sur soi permettent d’être plus confiant dans son travail et de mieux répondre aux exigences des clients.
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1 Observatoire national démographique de la profession vétérinaire. Atlas démographique [Internet]. 2016 [cité 13/2/2017]. Disponible sur bit.ly/2d2WhB9.
2 Direction générale de l’enseignement et de la recherche. Résultats de l’enquête insertion des titulaires du DEFV. 2016.
3 Burns G. A., Ruby K. L., DeBowes R. M., Seaman S. J., Brannan J. K. Teaching non-technical (professional) competence in a veterinary school curriculum. J. Vet Med. Educ. 2006;33(2):301-308.
4 Le Boterf G. Évaluer les compétences : quels jugements ? Quels critères ? Quelles instances ? Educ. Perm. 1998;135(2):143–151.
5 Bok H. G. J., Jaarsma D. A. D. C., Teunissen P. W., van der Vleuten C. P. M. , van Beukelen P. Development and validation of a competency framework for veterinarians. J. Vet. Med. Educ. 2011;38(3):262-269.
6 Danielson J. A., Wu T. F., Fales-Williams A. J., Kirk R. A., Preast V. A. Predictors of employer satisfaction : technical and non-technical skills. J. Vet. Med. Educ. 2012;39(1):62-70.
7 Alec Martin E. Managing client communication for effective practice : what skills should veterinary graduates have acquired for success ? J. Vet. Med. Educ. 2006;33(1):45-49.
8 Bachynsky E. A., Dale V. H. M., Kinnison T., Gazzard J., Baillie S. A survey of the opinions of recent veterinary graduates and employers regarding early career business skills. Vet. Rec. 2013;172(23):604.
9 Ashford S. J., Blatt R., Walle D. V. Reflections on the looking glass : a review of research on feedback-seeking behavior in organizations. J. Manag. 2003;29(6):773-799.
10 CFE-CGC. La notion et le statut juridique du cadre [Internet]. [cité 12/10/2017]. Disponible sur bit.ly/2qSKDh8.
11 Kogan L. R., McConnell S. L., Schoenfeld-Tacher R. Response of a veterinary college to career development needs identified in the KPMG LLP study and the executive summary of the Brakke study : a combined MBA/DVM program, business certificate program, and curricular modifications. J. Am. Vet. Med. Assoc. 2005;226(7):1070-1076.
12 Lewis R. E., Klausner J. S. Nontechnical competencies underlying career success as a veterinarian. J. Am. Vet. Med. Assoc. 2003;222(12):1690-1696.