Le prurit cervico-facial “idiopathique”, signe d’appel de mal-être - La Semaine Vétérinaire n° 1762 du 04/05/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1762 du 04/05/2018

COMPORTEMENT

PRATIQUE CANINE

Auteur(s) : PROPOS RECUEILLIS PAR VALENTINE CHAMARD 

Et si des lésions dermatologiques traduisaient en réalité une maladie comportementale ? C’est l’hypothèse vérifiée par une équipe de cliniciens, qui propose une nouvelle approche diagnostique et thérapeutique de ce qu’il convient dorénavant d’appeler dermatite ulcérative comportementale.

Une étude française1 associant médecine du comportement et dermatologie bat en brèche l’hypothèse selon laquelle le prurit cervico-facial pourrait être idiopathique. Elle montre au contraire que ce symptôme traduit un comportement répétitif en lien avec des conditions de vie inadaptées. Entretien avec Noëlle Cochet-Faivre et Emmanuelle Titeux, coauteures de l’étude et chargées de consultations en dermatologie et en médecine du comportement au centre hospitalier universitaire vétérinaire d’Alfort (Chuva).

Qu’est-ce que le prurit cervico-facial idiopathique ?

Noëlle Cochet-Faivre : Le prurit cervico-facial idiopathique du chat, aussi appelé dermatite ulcérative idiopathique, est une maladie considérée comme peu fréquente, mais dont l’impact sur la qualité de vie du chat et de son propriétaire peut malheureusement conduire à l’euthanasie. Elle s’exprime cliniquement par un ou des ulcères auto-induits en région cervicale latérale, temporale et/ou interscapulaire. Ces zones correspondent à celles de toilettage normal par grattage chez le chat. Jusqu’à ce jour, la dermatite ulcérative idiopathique était un diagnostic par exclusion des autres causes dermatologiques de prurit cervico-facial.

Pourquoi avoir exploré la piste d’une origine comportementale primitive ?

N. C.-F. : Dans la mesure où ces lésions purement auto-induites correspondent à une activité au départ considérée comme normale mais répétitive qui conduit à une auto-mutilation, nous avons émis l’hypothèse que ce comportement de grattage, répétitif, serait une stéréotypie induite par un mal-être lié à une mal-adaptation de l’animal.

Emmanuelle Titeux : En effet, chez d’autres espèces, ces comportements répétitifs de toilettage sont considérés comme des marqueurs de mal-être. L’objectif de cette étude était donc de vérifier notre hypothèse : si ce comportement répétitif est lié à un mal-être, une amélioration des conditions de vie des chats doit conduire à leur guérison.

En quoi l’étude a-t-elle consisté ?

E. T. : Treize chats diagnostiqués avec une dermatite ulcérative idiopathique ont été recrutés au Chuva et référés en médecine du comportement. Grâce au professeur Caroline Gilbert, un score de bien-être spécialement adapté aux chats a été élaboré pour cette étude2. Il a été comparé à 35 chats sains recrutés en salle d’attente du Chuva3. La médiane de score de ces chats était de 7 sur 21, alors que celle des chats malades était de 16 sur 21.

Quels en sont les résultats ?

E. T. : Après des modifications majeures de leur environnement, 12 chats sur 13 ont complètement guéri, sans traitement médicamenteux. La médiane de leur score après modification de leur environnement était de 6. Un seul chat n’a pas guéri, sa propriétaire ne pouvant pas modifier ses conditions de vie (son score est passé de 18 à 16). Ces résultats montrent que la dermatite ulcérative dite idiopathique du chat n’est pas idiopathique, mais secondaire à un trouble du comportement lié à un mal-être. Nous proposons ainsi de renommer cette affection jusqu’à ce jour dénommée “prurit cervico-facial idiopathique” en “dermatite ulcérative (auto-induite) comportementale”, par analogie avec l’alopécie auto-induite comportementale. L’utilisation du score de bien-être par un clinicien de médecine du comportement permettrait ainsi de conforter l’hypothèse diagnostique, le diagnostic de cette affection restant clinique.

Quels sont les piliers de la prise en charge de ces animaux ?

N. C.-F. : Cette affection nécessite une consultation en dermatologie pour poser le diagnostic différentiel d’un prurit cervico-facial (qui n’est pas une entité, cela signifie juste que le chat se gratte la face et/ou le cou), puis une prise en charge minutieuse par un vétérinaire exerçant en médecine du comportement.

Comment expliquer qu’un chat en état de mal-être se gratte jusqu’à la mutilation ?

E. T : Les régions cérébrales impliquées dans les comportements répétitifs sont nombreuses, et la plupart des neuromédiateurs jouent un rôle. Néanmoins, la dopamine semble être un neuromédiateur clé dans la régulation de ces comportements moteurs. Les situations de stress chronique induiraient un déséquilibre entre les neuromédiateurs excitateurs et inhibiteurs conduisant à l’absence d’arrêt d’un comportement. Une prédisposition génétique semble aussi être un facteur.

1 Titeux E., Gilbert C., Briand A., Cochet-Faivre N. From feline idiopathic ulcerative dermatitis to feline behavioral ulcerative dermatitis: grooming repetitive behaviors indicators of poor welfare in cats. Front. Vet. Sci. 2018;5:81. doi: 10.3389/fvets.2018.00081.

2 Échelle allant de 0 (absence totale de critères de bien-être) à 21 (tous les critères remplis).

3 Thèse vétérinaire de Dorothée Loez.

UN DIAGNOSTIC SUR TROIS CRITÈRES