GRAND ANGLE LAIT
PRATIQUE MIXTE
L'ACTU
Auteur(s) : CLOTHILDE BARDE
Comment préparer l’avenir du secteur laitier ? Cela passe notamment par de nouvelles démarches visant à adapter la filière aux besoins du marché et aux attentes des consommateurs. Retour sur la conférence organisée par l’Institut de l’élevage (Idele), le 4 avril.
Au cours de la 5e édition de la conférence Grand angle lait, Thierry Roquefeuil, président de la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL) et du Centre national interprofessionnel de l’économie laitière (Cniel), a présenté le plan de la filière laitière 11, rédigé et signé à l’issue des états généraux de l’alimentation (EGA), en décembre 2017. Le 4 avril dernier, il a ainsi rappelé les travaux entrepris pour s’adapter aux besoins des marchés et aux attentes des consommateurs.
Dans un environnement globalement imprévisible, les marchés laitiers ne sont pas épargnés. Les événements de ces dernières années, tels que la chute brutale des achats de poudre de lait par le marché chinois en 2015, témoignent de cela.
En 2018, selon Benoît Rouyer, économiste au Cniel, les perspectives de croissance de la production laitière française sont contrastées. Même si le marché de l’exportation s’ouvre au sein de l’Union européenne (UE) ou à l’international et que les cours mondiaux de beurre augmentent de nouveau, les prix de la poudre de lait écrémé restent, quant à eux, à des niveaux extrêmement bas à cause de stocks communautaires encore très importants. Sur le marché français, les prix de vente aux consommateurs ont fortement varié au cours des dernières années, et ce de manière différente entre tous les types de produits laitiers (beurre, lait liquide, fromage, yaourt). La valorisation de la protéine laitière reste faible actuellement, tandis que celle de la matière grasse (MG) est forte. Ainsi, entre 2000 et 2014, le prix du beurre valait entre 0,5 et 1,5 fois celui de la poudre de lait écrémée. Et il reste de grandes incertitudes concernant l’impact des mesures du plan de la filière prises à la suite des EGA. À l’inverse, Benoît Rouyer note que « le différentiel de compétitivité avec nos concurrents sur le marché mondial s’estompe, car leurs coûts de production augmentent ».
Il existe donc actuellement un véritable potentiel pour la filière laitière française, qui peut tenter de se démarquer notamment avec le développement de démarches de différenciation. Au niveau national, la production de produits ayant un signe officiel d’identification de la qualité et de l’origine (SIQO) ou des “mentions valorisantes” (15 % de la collecte nationale de lait actuellement) sont encouragés. De même, des initiatives privées, avec des revendications nutritionnelles ou de santé, “pâturage”, sans organisme génétiquement modifié (OGM), de proximité du consommateur, de proximité territoriale et/ou solidaires vis-à-vis de l’amont, voient aussi le jour. En France, il s’agit de démarches telles que Bleu blanc cœur, qui a pour objectif d’améliorer la teneur nutritionnelle en oméga 3 des produits laitiers via l’ajout de graines de lin dans l’alimentation des animaux. Mais face au développement de très nombreux projets, le vrai défi aujourd’hui sera de sélectionner les pistes d’évolution prometteuses.
Pour répondre aux besoins des consommateurs, les chercheurs envisagent aussi de faire évoluer la composition du lait, afin de favoriser la production des produits laitiers les plus recherchés. Pascale Le Mezec et Julien Jurquet, chefs de projet à l’Institut de l’élevage (Idele, organisateur de cette journée), ont ainsi étudié l’influence des facteurs génétiques (choix de la race, des caractères et génomique) ou alimentaires (tableau). Le lait est constitué de nombreux composants (MG, matières protéiques [MP], lactose, minéraux) aux teneurs variées et ses produits dérivés en dépendent. Concernant le taux de MG, l’amélioration génétique du taux butyreux (TB) peut se faire en sélectionnant les individus ayant un bon TB, mais aussi par des croisements ou le recours à de nouvelles races laitières. Une amélioration génétique de la composition du lait a déjà été réalisée concernant les MG/TB et MP/taux protéique (TP). Et les techniques de mesure et de génomique actuelles permettent d’envisager des projets de sélection sur le calcium, les acides gras (AG) et les caséines. Des travaux, tel que le projet From’Mir, sont ainsi en cours pour améliorer la “fromageabilité” des laits (rendement, coagulation, acidification).
L’alimentation des animaux a aussi une influence sur leur composition, principalement en ce qui concerne la synthèse des MG et des MP. Le TP dépend surtout du niveau énergétique de la ration, mais également du niveau azoté (de l’apport de certains acides aminés limitant [VHP]). Lorsque la ration a une faible densité énergétique, des gains sont possibles. Le TB dépend, quant à lui, du niveau énergétique, de la part de concentré, de la fibrosité et du niveau d’apport de lipides alimentaires de la ration. Il existe actuellement encore peu de travaux sur le lactose, et le calcium est sensible à la photopériode. Pour favoriser les besoins nutritionnels des consommateurs, certaines caractéristiques de composition peuvent être recherchées. Il s’agit d’une composition moins riche en AG saturés et comprenant moins d’acides palmitique (C16:0), plus riche en 3, d’un rapport ω6/3 < 5 et d’une quantité d’AG 6 limitée. À cet égard, une ration constituée principalement à partir des principaux régimes fourragers permet d’obtenir de meilleurs résultats qu’un régime maïs ensilage. C’est le régime fourrager qui dicte le profil en AG du lait, cependant, la nature du concentré protéique peut aussi influer. Ainsi, le meilleur compromis semble être l’association ensilage de maïs et tourteau de colza.
En définitive, pour être efficace sur chaque paramètre, il convient de combiner tous les leviers (alimentation et génétique).
Une autre grande piste évoquée est l’étude de nouveaux critères concrets permettant d’évaluer le bien-être animal dans les élevages. Les intervenants, Nadine Ballot, chef de service sciences et techniques de l’élevage au Cniel, et Béatrice Mounaix, chef de projet chez Idele, ont présenté ici la démarche entreprise par le Cniel dans le cadre de son plan de la filière laitière 1 pour renforcer la compétitivité et l’acceptabilité des élevages en matière de bien-être animal. Cette démarche a permis de définir une quinzaine d’indicateurs scientifiques observables et mesurables dans tous les systèmes d’élevages, actuellement en test pour évaluer leur faisabilité et leur acceptabilité.
Enfin, la promotion de la production laitière biologique semble aussi être une perspective intéressante à développer. Jérôme Pavie et Mathilde Blanc, chef de projet chez Idele, Julia De Castro, chef de projet au Cniel, et Catherine Experton, chargée de l’élevage à l’Institut technique de l’agriculture biologique (Itab), ont souligné le fait que les indicateurs sont positifs : les volumes se développent dans tous les pays européens et la consommation est en hausse ; le prix producteur est stable et le différentiel avec le prix du lait conventionnel reste élevé ; la dynamique vers la conversion des systèmes d’élevage est positive. La production laitière biologique représente actuellement, en France, 2 792 exploitations laitières, soit 2,6 % du lait produit en 20172. Elle progresse fortement en réponse à un marché européen et aussi national en expansion. En effet, de plus en plus de Français consomment du lait bio (entre 2007 et 2015, l’évolution a été de + 9 %). Économiquement, la filière laitière bio est rentable pour les producteurs ; en 2017, les écarts de prix avec le marché classique étaient maintenus. Et en Europe, on constate la même tendance, avec 3 % de la collecte en bio en 2017. L’UE à 28 membres est le deuxième producteur mondial de lait derrière les États-Unis. Les signaux sont donc au vert pour le lait bio, qui doit poursuivre sa progression afin de faire coïncider l’offre à la demande et de maintenir de la valeur au fil des ans.
Pour tenter de répondre à ces nouvelles attentes des consommateurs et de développer les différentes pistes étudiées ici, trois outils d’application disponibles pour les éleveurs ont enfin été présentés au cours de cette journée (Autosysel, Site boiteries des vaches laitières et Reproscope). Avec tous ces projets, la production laitière française peut envisager un avenir prometteur.
•
2 Agence Bio.