PROTECTION ANIMALE
ACTU
Auteur(s) : PROPOS RECUEILLIS PAR HÉLÈNE ROSE
Si la place accordée aux espèces animales varie selon les cultures, un plus grand respect des animaux est toujours souhaitable. Le Vietnam semble s’engager dans cette voie.
Dans le cadre d’une collaboration avec l’association Instinct de vies, fondée par Dora Zee, notre consœur Christelle Fournel s’est rendue au Vietnam, pays où la consommation de chiens et de chats est fréquente et légale, alors que le commerce de leur viande ne l’est pas. À travers son expérience, elle apporte un témoignage sur l’exercice vétérinaire et la protection animale dans ce pays.
Quel était l’objectif de ce voyage pour l’association Instinct de vies ?
Christelle Fournel : Les autorités vietnamiennes ont une véritable volonté de changement en matière de protection animale. Elle est notamment motivée par leur ambition de donner à Hanoï une dimension internationale, comparable à celle de Singapour, ce qui est tout à fait envisageable au vu du développement actuel très rapide du pays. Or vis-à-vis du regard international, il n’est plus possible d’agir ainsi envers les chiens et les chats… L’interdiction de la consommation ne se fera cependant pas tout de suite, il faut que les mentalités soient prêtes à l’accepter avant le passage de la loi, car la décision doit venir du peuple. L’objectif d’Instinct de vies est de proposer aux autorités qu’une interdiction soit mise en œuvre d’ici cinq ans, et que celle-ci fasse l’objet d’une annonce publique d’ici 2019. Les autorités ont déjà constaté une diminution apparente de la consommation globale et du nombre de restaurants spécialisés. Le commerce des animaux est de moins en moins visible sur les marchés, de moins en moins populaire, notamment grâce à l’influence des jeunes générations. Des actions de sensibilisation, de communication publique, sont nécessaires pour que la situation continue à évoluer. Pour reprendre le proverbe d’un responsable politique avec lequel nous sommes en contact : « À l’époque de la pluie, il faut laisser petit à petit la terre s’infuser d’eau pour le restant de l’année. » L’association Instinct de vies souhaite les aider à mener ces campagnes, et à former les acteurs locaux de la santé animale.
Quelle est l’ampleur de la consommation de chiens et de chats au Vietnam ?
C. F. : Les autorités vietnamiennes estiment que 10 tonnes de viande de chien et de chat sont consommées chaque jour. Ce commerce illégal représenterait environ 4 % de la consommation totale de viande.
Comment s’organise aujourd’hui ce trafic ?
C. F. : On ne connaît pas la provenance exacte des animaux destinés à l’abattage. D’une morphologie proche de celle des shiba inu, ils pèsent une quinzaine de kilos. Une fois attrapés, ils sont vendus l’équivalent de 4 € vivants, 8 € abattus. Des importations illégales proviennent également du Laos et du Cambodge. Là encore, le constat est cruel : si les trafiquants sont arrêtés à la frontière, la “marchandise” doit être détruite…
Les chiens sont ensuite envoyés dans des stations intermédiaires de gavage, où ils sont gavés d’eau additionnée de graisse (parfois aussi de cailloux), pour augmenter leur poids, donc leur valeur marchande. Ils sont ensuite abattus par des bouchers, sans mesure visant à limiter leur souffrance ni mesure sanitaire. Pendant notre voyage, je n’ai pas eu l’occasion de visiter des abattoirs de chats, mais les conditions d’abattage qui nous ont été décrites sont pires. Les chats seraient le plus souvent noyés (leur cage étant plongée dans une grande bassine d’eau), voire assommés et souvent dépecés encore vivants. Que ce soit illégal, donc non contrôlé, expose à toutes les dérives.
Et qui sont les consommateurs et que font les inspections sanitaires locales ?
C. F. : Les consommateurs sont en grande majorité des hommes de plus de 40 ans. Culturellement, consommer de la viande de chien est ainsi sensé apporter force et virilité.
Environ 60 % des animaux abattus sont vendus à des restaurants spécialisés. Suspendues au plafond, les carcasses sont découpées par tronçons. Normalement, les restaurants ont besoin d’un agrément, mais la vente de viande de chien et de chat n’étant pas légale, ces restaurants n’en ont pas. Non déclarés, ils ne payent pas de taxes, et sont donc très rentables.
Une inspection constatant la vente de viande non légale pourrait permettre leur fermeture immédiate. Mais la consommation en elle-même n’est pas illégale et les inspections sanitaires sont peu développées, d’où un certain statu quo jusqu’à présent. Les 40 % restant sont vendus sur les marchés.
Ce rapport est-il le même à la campagne ?
C. F. : Dans le reste du pays, la situation est un peu différente. Les chiens de ferme sont utiles, puisqu’ils gardent la maison. Ils sont principalement consommés lors de repas de fête, pour honorer les invités présents. Ils peuvent l’être aussi lors de disette. D’ailleurs, le souvenir des années de guerre (1955-1975) et des conditions de vie durant cette période est encore très présent dans les esprits. Les maltraitances vécues par les hommes servent parfois de prétexte à ne pas évoluer dans la manière de traiter les animaux. Pourtant, comme l’a rappelé un délégué du ministre de l’Agriculture vietnamien, citant Gandhi pour clore l’une de nos réunions : « On peut juger de la grandeur d’une nation par la façon dont les animaux y sont traités. » Cette réflexion est partout d’actualité !
Comment se positionnent les vétérinaires au Vietnam ?
C. F. : Au Vietnam, 98 % de la population est bouddhiste. Pour pouvoir ressusciter, un animal doit mourir de manière naturelle, quelle que soit la souffrance endurée. Lorsqu’un animal est tué, celui qui en est responsable récupère un mauvais karma. Et les vétérinaires ne souhaitent en général pas prendre ce risque. Même lorsqu’ils proposent l’euthanasie, les propriétaires la refusent. Le tabou autour de l’euthanasie est très présent, plus fort encore que celui qui entoure la consommation de viande de chien et de chat. Seuls les bouchers peuvent donner la mort, et ce sont eux qui pratiquent les abattages de ces animaux.
Dans certaines cliniques vétérinaires fréquentées par des expatriés, et où interviennent des vétérinaires eux aussi expatriés, l’euthanasie est pratiquée. Les produits adaptés n’étant pas présents dans le pays, elle est réalisée par injection d’air dans la tubulure de perfusion.
Il y a donc des sources d’espoir, en matière de protection animale ?
C. F. : Sur place, les mentalités évoluent. Les jeunes citadins de moins de 40 ans ont une vision très différente des chiens et des chats. Dans les rues, tous les chiens de compagnie sont tenus en laisse, notamment parce que les vols et les kidnappings avec demande de rançon sont courants ! Ils médicalisent leurs animaux, et sont prêts à payer : si les actes vétérinaires sont actuellement beaucoup moins chers qu’en France par exemple, le prix des médicaments est équivalent, et la demande est présente.
En Thaïlande, pays voisin, même si la consommation de viande de chien et de chat n’est pas encore interdite, la fondation Soi Dog, qui lutte pour améliorer les conditions de vie des chiens et des chats, a maintenant pignon sur rue. À Hanoï même, la protection de la vie animale commence à faire son chemin. Ainsi, à l’aéroport, une campagne de protection des pangolins était affichée sur grand écran. Donc oui, il y a de l’espoir : la protection animale peut se développer au Vietnam dans les années à venir.
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