Du bien-être animal au mal-être vétérinaire - La Semaine Vétérinaire n° 1765 du 25/05/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1765 du 25/05/2018

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ÉCO GESTION

Auteur(s) : PROPOS RECUEILLIS PAR SERGE TROUILLET 

David Huss (Liège 89), praticien canin à Rochefort-sur-Mer (Charente-Maritime), s’interroge sur les grandeurs et les servitudes d’un métier en proie à un bouleversement trop rapide pour de nombreuses structures vétérinaires.

Aujourd’hui, nous ne pouvons que constater le télescopage mortifère pour la profession entre, d’une part, l’engagement vétérinaire et les conséquences émotionnelles, juridiques et économiques liées à la prise en compte grandissante du bien-être animal, et, d’autre part, la situation critique de nombre de structures vétérinaires étranglées par les charges et le coût du travail. Cela les conduit à une rentabilité indigente au regard des années d’études et de la disponibilité proposée, jusqu’à induire un profond mal-être chez beaucoup de praticiens. Car, de plus, la profession est entachée d’un défaut chronique de remplaçants. Mais où sont-ils ?

Épuisement émotionnel

Lorsque j’ai entrepris mes études, il y a près de 40 ans, la notion de bien-être animal était à peine susurrée. Aujourd’hui, et nous nous en félicitons, elle s’impose dans les consciences. Mais si, pour le vétérinaire, ce bien-être peut se résumer en un confort de vie ou une absence de douleur physique ou psychique, une continuité de soins et un accompagnement digne de fin de vie, il se traduit de plus en plus chez les propriétaires par un hyperattachement en quelque sorte inversé. Celui-ci est anxiogène pour eux. Il les rend plus sensibles aux pathologies, à la souffrance et au décès de leurs compagnons.

Nous sommes au premier rang de ces angoisses et de la détresse de la clientèle. Nous devons faire face quotidiennement à cette pression psychologique. Or, non seulement nous n’y sommes pas préparés lors de l’instruction vétérinaire, mais l’épuisement émotionnel et sentimental s’accumule au fur et à mesure des années d’exercice.

Une responsabilité toujours accrue

En outre, l’animal, qui a été requalifié d’être sensible, est désormais reconnu comme étant “sentient”, c’est-à-dire capable de penser, de ressentir des émotions, d’évaluer des situations, de se souvenir d’événements et de les anticiper. Ne serait-il pas presque considéré, en réalité, telle une personne non humaine ? Notre responsabilité, au regard de ce statut juridique et sociétal, de la souffrance, d’une insuffisance ou d’une négligence de soins, devient alors prégnante ! Si aujourd’hui, heureusement, la gestion de la douleur est prioritaire en médecine et en chirurgie, notre responsabilité n’en est que plus engagée encore.

Un contexte économique critique

Cette requalification et cette “revalorisation animale” nous obligent, pour l’assumer pleinement, à recourir à des investissements technologiques et humains propres à mettre en danger la rentabilité de nos structures. La course individuelle à l’hypertechnicité (scanner, IRM1, etc.), associée au coût exorbitant du travail, réduit toujours davantage les marges de nos entreprises qui supportent déjà les lourdeurs administratives contraignantes et chronophages. La profession s’engage dans un avenir périlleux. L’individualisme a atteint ses limites.

Regroupons-nous !

À l’instar d’initiatives éparses sur le territoire, ne devons-nous pas repenser notre modèle économique sous peine de constater un accroissement des burn-out, des dépressions, voire des suicides chez nos confrères ? Plus précisément, un modèle intracommunautaire de type régional qui protège contre la financiarisation, préserve notre indépendance au sein d’une structure juridique commune, mutualise nos compétences, nos moyens et nos investissements, fédère nos énergies, rationalise nos fonctions supports, partage nos gardes.

Bref, un modèle entrepreneurial d’avenir qui permet d’alléger les contraintes de chacun, d’améliorer la profitabilité de nos entreprises et tout simplement notre qualité de vie. On étouffe ! Nous devons redonner le sourire et l’envie à notre jeune génération de consœurs et de confrères de nous rejoindre sur le terrain, et aux anciens de partir plus sereins. Chiche !

1 Imagerie par résonance magnétique.