DOSSIER
Face à leur difficulté pour recruter de jeunes confrères et consœurs salariés ou associés, les praticiens déplorent, notamment, une mauvaise sélection à l’entrée des écoles vétérinaires. Afin de répondre aux attentes de la profession, et bien que le problème de manque de main-d’œuvre en pratique soit multifactoriel, une réflexion est actuellement engagée sur ce sujet. Petit tour d’horizon non exhaustif des problèmes soulevés et des idées avancées.
Les quatre directeurs des écoles nationales vétérinaires (ENV) françaises affirment d’une même voix que le problème du recrutement en jeunes confrères ou consœurs dans les cabinets vétérinaires est plurifactoriel et compliqué. « Nous devons caractériser ce problème pour chercher des solutions adaptées, annonce Isabelle Chmitelin, directrice de l’ENV de Toulouse (Haute-Garonne), et coprésidente du jury du concours d’accès aux écoles vétérinaires et agronomiques. C’est l’objet de deux thèses en cours pour comprendre, d’une part, pourquoi des offres d’emploi restent non pourvues et, d’autre part, les raisons pour lesquelles certains jeunes diplômés ne s’inscrivent pas à l’Ordre. »
Le processus national de sélection des étudiants étant pointé du doigt comme l’une des raisons du déficit en praticiens, une réflexion est engagée sur ses évolutions possibles, entre les directeurs des ENV, les responsables de formation, la Direction générale de l’enseignement et de la recherche (DGER), le ministère de l’Enseignement supérieur et les différents acteurs de la profession. Si le schéma organisationnel n’est actuellement pas remis en cause (concours et voies d’accès, encadré page suivante), quelques propositions sont avancées.
Chacun s’accorde sur le fait que le problème du recrutement en clientèle est d’abord quantitatif, pour deux raisons. La première est que « le nombre d’étudiants formés proportionnellement au nombre d’habitants est bien supérieur dans d’autres pays européens par rapport à la France », constate Christophe Degueurce, directeur de l’ENV d’Alfort (Val-de-Marne). « Les organisations professionnelles ne demandaient jusqu’à présent pas d’augmentation du nombre de diplômés, car beaucoup de confrères se formaient à l’étranger et se sont installés notamment en rurale, mais désormais ils ne pallient plus le besoin », explique Pierre Buisson, président du Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL).
La seconde raison avancée est d’ordre générationnel, car chacun constate que les jeunes ne souhaitent pas sacrifier leur vie personnelle à leur métier et préfèrent intégrer une équipe qui prend en compte leurs attentes. « À l’avenir, un vétérinaire partant devra être remplacé par deux équivalents temps plein, appréhende Pierre Buisson. Mais les jeunes ne doivent pas être incriminés : ils ont un large choix de structures et de modes d’exercice et s’inscrivent dans un mouvement de la société en général. Plutôt que d’aller vers une guerre des générations, nous devons combler ce manque d’effectif. »
Il convient ainsi d’augmenter le nombre d’étudiants et de s’adapter à leurs aspirations1.
En 2018, en réponse à la hausse du nombre de bacheliers, 57 places supplémentaires2 sont ouvertes au concours commun d’entrée dans les ENV, pour aboutir à un total de 611 places, contre 554 les années précédentes (tableau). « De 2012 à 2017, 400 étudiants supplémentaires ont été accueillis dans les ENV, et le ministère prévoit une nouvelle augmentation de 500 étudiants jusqu’à l’horizon 2024, explique Jérôme Coppalle, sous-directeur de l’enseignement supérieur à la DGER. Cela représente au total une hausse de plus de 35 % du nombre d’étudiants dans les ENV en 12 ans. »
« Il ne semble pas qu’il y ait moins de jeunes qui souhaitent s’orienter en clientèle qu’auparavant, et leurs employeurs nous font remarquer qu’ils sont motivés et bien formés », affirme Luc Mounier, responsable des formations à VetAgro Sup, à Lyon (Rhône). Pourtant, certains craignent une plus grande orientation vers d’autres activités que la pratique, en raison, entre autres, du mode de sélection en classes préparatoires. En effet, « les modalités du concours A ont été rénovées en 2014 pour favoriser l’ouverture sociale et la diversification des profils, explique Jérôme Coppale. Les épreuves intégratives pour évaluer, en particulier des compétences transverses et expérimentales, ont été favorisées ». Pour Dominique Buzoni-Gatel, directrice d’Oniris, à Nantes (Loire-Atlantique), « le regroupement des classes préparatoires est à double tranchant : il permet aux étudiants de se reconvertir en cas d’échec, la formation est large et favorise la plasticité des vocations, mais on rallonge ainsi la durée des études ». Pour ces raisons notamment, en plus de la multiplicité des voies de concours, une partie des étudiants intègrent une ENV sans avoir l’intention de faire une carrière de praticien.
De plus, certains abandonnent en cours d’étude, parce qu’« ils ne s’attendaient pas à être confrontés à la vie et à la mort, ou à une profession réglementée où ils sont garants de la santé des animaux et de la santé publique ». En réponse à la sensibilité de certains futurs étudiants, Jérôme Coppale déclare « qu’ils doivent être clairement informés qu’ils vont bénéficier d’un enseignement obligatoire sur tous les aspects du métier de vétérinaire, avec des exercices pédagogiques en élevage ou en abattoirs ».
Enfin, une proportion non négligeable de diplômés se désinscrivent du tableau de l’Ordre en début d’exercice, car « ils sont déçus par une pratique technique, parfois répétitive et qui ne met pas à profit tout ce qu’ils ont appris, constate Isabelle Chmitelin. Il est important que les étudiants soient conscients de cette réalité et s’y préparent ».
Ainsi, le fait de sélectionner les étudiants autrement fait consensus, et plusieurs pistes sont évoquées. Les voici.
Entretien de motivation
La voie A, qui reste la plus importante, doit conserver sa qualité de recrutement sur une solide base scientifique, notamment pour les postes dans la recherche, l’industrie, les services vétérinaires, etc. Toutefois, « comme nous avons besoin d’une majorité de praticiens, une proposition écrite a été adressée au ministère par les quatre directeurs d’ENV, précise Isabelle Chmitelin. Elle vise notamment à mettre en place un entretien de motivation à l’oral du concours ». Cette épreuve ne sera peut-être pas sélective, mais elle « obligera les jeunes à réfléchir à la réalité du métier qu’ils veulent exercer, à s’y projeter, et donc à mûrir leur vocation », souligne Dominique Buzoni-Gatel. « Ce serait un système de discrimination positive, qui prendrait en compte la connaissance du métier, mais sans assurance, en l’absence de contrainte d’exercice, que les personnes ainsi sélectionnées s’orientent vers la pratique », ajoute Christophe Degueurce. « C’est introduire une part de subjectivité dans la sélection, à raisonner au mieux, considère Pierre Buisson. La France est l’un des rares pays où le concours n’inclut aucun élément de savoir-être. Nous ne sélectionnons que sur les connaissances, alors qu’il conviendrait d’évaluer des capacités à exercer en clientèle, à communiquer, etc. » Mettre en place ce type d’épreuve implique d’aménager l’enseignement en classes préparatoires, de trouver des jurys, etc. Emmanuelle Soubeyran, directrice de VetAgro Sup, remarque par ailleurs qu’« il convient de conserver un équilibre entre les étudiants qui souhaitent aller en clientèle et ceux qui désirent explorer d’autres voies ». « Peut-être pourrait-on se baser sur certaines stratégies européennes de sélection qui associent, d’une part, le niveau académique qui correspond au recrutement actuel et, d’autre part, des éléments de motivation et de parcours personnel pour des personnes culturellement plus portées vers la pratique », propose Christophe Degueurce. Une réunion de travail est prévue sur ce sujet dans les semaines qui viennent.
Stage obligatoire en voie A
« Un sondage réalisé chez les étudiants qui ont intégré l’école de Toulouse en septembre 2017 montre qu’un sur trois n’a jamais mis les pieds chez un vétérinaire, ni même eu un contact avec un vétérinaire », déplore Isabelle Chmitelin. La réalisation d’un stage en structure vétérinaire en amont du concours d’entrée serait ainsi une condition préalable à l’inscription au concours. Cela implique que les cabinets vétérinaires se mobilisent pour accueillir ces jeunes. « C’est difficile à mettre en œuvre, mais essentiel, car les études sont longues et les étudiants doivent savoir à quoi ils s’engagent », explique Dominique Buzoni-Gatel.
Autres pistes
- Test de personnalité : pour pousser plus loin, un test de personnalité, qui pèserait dans la sélection de façon non négligeable, pourrait être mis en place pour toutes les voies d’accès au concours, à partir de mises en situation (réaction face à un conflit présenté en vidéo, par exemple). Ce type de test est employé au Canada, à la faculté vétérinaire de Saint-Hyacinthe.
- Durée des études : la durée des études en France, plus longue que dans les autres pays européens, est discutée dans le cadre d’une harmonisation communautaire de la formation, mais sa modification n’est pas encore d’actualité (notamment en revenant à un an de classe préparatoire en voie A, en faisant passer le concours en seconde année de licence pour la voie B, etc.).
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1 Voir l’étude encadrée par Luc Mounier, Vet Futurs - Les attentes des étudiants vétérinaires vis-à-vis de leur futur professionnel (bit.ly/2KzeNNM) et la Synthèse des groupes thématiques de VetFuturs (bit.ly/2D7KdYj).
2 Arrêté du 14 novembre 2017 portant ouverture du concours commun d’accès dans les ENV à la session 2018, publié le 23 novembre 2017.
VOIES DU CONCOURS COMMUN D’ACCÈS AUX ÉCOLES NATIONALES VÉTÉRINAIRES FRANÇAISES
QUELLES CONSÉQUENCES POUR LA FORMATION DES ÉTUDIANTS ?
FAVORISER LA SÉLECTION POUR L’EXERCICE EN MILIEU RURAL ?