DÉCRYPTAGE
DÉCRYPTAGE
Auteur(s) : CLOTHILDE BARDE
La conservation des races à faibles effectifs se développe dans nos territoires depuis quelques années. Un récent rapport de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) a permis de conclure qu’elle passait nécessairement par leur valorisation, notamment via des systèmes d’élevage et des produits spécifiques. Rappel et explications.
Les races animales d’élevage, ensemble d’individus d’une même espèce ayant des caractéristiques communes, sont fédérées en filière de production par un organisme de sélection qui rassemble tous les acteurs concernés. Ils œuvrent ensemble pour l’intérêt général de la race en définissant ses caractéristiques ainsi qu’un programme de sélection : gestion de la variabilité génétique intraraciale et adaptation de la race aux systèmes d’élevage ainsi qu’aux attentes des filières.
Une race locale (animale) est « majoritairement liée par ses origines, son lieu et son mode d’élevage à un territoire donné » 1. Pour cela, 30 % des effectifs d’une même race doivent être recensés dans un seul département ou 70 % dans trois départements limitrophes2. La taille totale de la population animale n’entre cependant pas en compte dans les critères de définition. Il existe ainsi des races locales à effectifs importants ou en expansion géographique, comme les vaches de races salers, aubrac, abondance, et des races locales à petits effectifs telles que la maraîchine ou la bretonne pie noir.
Cette définition doit être bien distinguée de celle de race (animale) en conservation ou menacée d’abandon, dont l’effectif est jugé insuffisant ou dont la diversité génétique ou la gestion zootechnique est menacée. Ces dernières, définies notamment par rapport au nombre de femelles reproductrices avec un seuil qui varie selon les espèces, ne bénéficient pas de schémas de sélection et font l’objet d’un dispositif collectif de conservation. Ces races sont donc des races locales à faibles effectifs.
Sur l’ensemble des 179 races locales françaises actuelles3, appartenant à dix espèces différentes, 80 % sont considérées comme menacées d’abandon pour l’agriculture4 (infographies). Et les situations sont contrastées selon les espèces. En effet, tandis que 96 % des races locales de poules sont considérées comme menacées, chez les ovins, elles représentent seulement 50 % des races.
Pour la plupart, ces races sont conservées in situ chez les éleveurs, premiers acteurs de la conservation, ou dans des lieux dédiés à la conservation de la biodiversité tels que les écomusées ou les parcs. La conservation ex situ joue aussi un rôle majeur quand la race est trop fragilisée. Pour cela, du matériel biologique (semences) est stocké dans des cryobanques.
Au-delà du maintien d’une biodiversité génétique au sein des différentes espèces d’élevage et de l’aspect patrimonial, les élevages de races menacées apportent de nombreuses autres contributions à la société. Ainsi, le projet Secoyat5, soutenu par le métaprogramme Ecoserv6 de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra), a réuni un collectif de chercheurs afin d’identifier les services fournis et mobilisés par les agroécosystèmes faisant appel à ces races. Pour cela, ils ont croisé les points de vue de leurs différentes disciplines (zootechnie, génétique, sciences sociales, etc.) et se sont intéressés à des situations contrastées de gestion de races locales, comme celle de la vache bretonne pie noir, de la brebis corse ou encore des races créoles de Guadeloupe et de Martinique. Ils ont pu mettre en évidence le fait que ces élevages participent à certaines productions paysagères, au maintien de milieux spécifiques, à la valorisation de produits alimentaires et à des dynamiques sociales (vente directe). Ce premier travail devrait être poursuivi afin de tenter de mieux comprendre les liens ou les antagonismes entre les différents biens et services produits dans ces élevages. Les processus sociaux, biologiques et techniques impliqués seront aussi étudiés.
Dans une perspective de durabilité de l’élevage, le recours à la diversité des ressources génétiques animales est présenté comme un levier potentiel. Dans cette optique, les races locales, qui n’ont pas fait l’objet d’une sélection intense pour des systèmes spécialisés, sont adaptées à des systèmes plus économes. En effet, en général, les performances d’élevage n’ont pas été dégradées et les conditions d’élevage sont, de ce fait, moins exigeantes. Par exemple, la spécialisation laitière de certaines races (particulièrement marquée en race holstein), qui a eu pour conséquence une baisse des aptitudes fonctionnelles des vaches, comme leur fertilité, a conduit un quart des éleveurs rencontrés à changer de race en se tournant vers une race perçue comme plus robuste pour « reprendre la main sur leur troupeau » 7. De plus, la qualité des produits, comme un lait riche à bonne qualité fromagère, la saveur de la viande, des carcasses de petit gabarit facilitant la découpe et la vente directe, distinguent aussi ce type d’élevage. Les races locales peuvent aussi être mises en avant pour leur adaptation aux territoires (rusticité, faibles besoins, autonomie et adaptation à des terres pauvres) et aux systèmes d’élevage de leur berceau d’origine. En témoignent les sites web des organismes de sélection de ces races, qui la mettent souvent en avant. Enfin, les dispositifs de soutien financier (aide au titre de la biodiversité des animaux d’élevage) mis en place au sein de l’Union européenne sont proposés dans ces élevages.
Quand le souci de la pure sauvegarde d’une race locale à petits effectifs est écarté apparaît celui de la commercialisation des produits, qui sont souvent loin des standards et toujours en volumes faibles. Il est donc important de les valoriser auprès des consommateurs. Pour cela, plusieurs pistes peuvent être envisagées. Des éleveurs, comme ceux des races ovines d’Occitanie à petit effectif telle que la raïole, ont ainsi recours aux signes officiels de qualité et de l’origine (SIQO)8, ce qui «
participe à la construction du lien au terroir en relation avec les systèmes d’élevage
», estime ainsi la chercheuse Anne Lauvie (unité Selmet9
, à Montpellier). La valorisation peut aussi passer par la vente directe de produits transformés à la ferme ou sur les marchés. Les collectifs d’éleveurs peuvent donc tirer parti des caractéristiques de leurs races en transformant en atouts ce qui, au départ, pouvait paraître comme des contraintes. Mais certaines restent plus difficiles à dépasser. Pour aider les éleveurs, l’analyse des expériences a permis d’éditer le guide Varape
10 en identifiant les bonnes questions à se poser et les conditions de réussite des différentes stratégies – création d’une marque, appellation d’origine protégée, entres autres.
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1 Article D653-9 du Code rural et de la pêche maritime.
2 Arrêté ministériel du 26/7/2007.
3 Listes des races menacées d’abandon pour l’agriculture le 14/4/2015.
4 Races animales françaises menacées d’abandon pour l’agriculture : rapport méthodologique.
5 Services écosystémiques rendus et mobilisés dans la conduite des populations animales locales (2016-2017).
6 Services rendus par les écosystèmes à l’humanité.
7 Le Mézec P., Barbat A., 2008.
8 Voir La Semaine Vétérinaire n° 1749 du 2/2/2018, pages 46 et 47.
9 https://umr-selmet.cirad.fr.
10 Valorisation des races à petits effectifs.