DÉCOUPLAGE
ACTU
Auteur(s) : PROPOS RECUEILLIS PAR MICHAELLA IGOHO-MORADEL
L’association UFC-Que choisir serait à l’origine d’amendements pro-découplage insérés dans le projet de loi agriculture et alimentation tout juste voté par l’Assemblée nationale. Revue de détail de ces arguments, qui n’ont pas su convaincre la chambre basse.
Le projet de loi agriculture et alimentation a été voté par l’Assemblée le 30 mai. Lors des débats, des amendements envisageant le découplage ont finalement été rejetés ou retirés1. Il semblerait que quatre d’entre eux aient été rédigés avec l’appui de l’Union fédérale des consommateurs (UFC)-Que choisir. Pour demander le découplage de la prescription et de la délivrance de médicaments par des vétérinaires, les signataires des amendements pro-découplage pointent du doigt « les prescriptions excessives et automatiques d’antibiotiques aux animaux d’élevage ». Voici un extrait de l’exposé sommaire de l’amendement 2296, dont le contenu aurait été établi avec l’association UFC-Que choisir : « Nous reprenons ici une proposition d’amendement d’UFC-Que choisir, que nous avons rencontré, qui vise à alerter sur les prescriptions excessives et automatiques d’antibiotiques aux animaux d’élevage. L’efficacité des antibiotiques est aujourd’hui menacée dès lors que les bactéries pathogènes deviennent toujours plus résistantes. (…) Cette hausse de la présence d’antibiotiques dans les élevages se traduit par une présence massive de bactéries résistantes dans la viande fraîche vendue en grandes surfaces, multipliant ainsi la diffusion dans le grand public de bactéries résistantes. En effet, selon une étude de l’UFC-Que choisir, sur 100 échantillons de viande, plus de 25 % des morceaux contenaient des bactéries Escherichia coli qui, dans leur grande majorité, sont résistantes aux antibiotiques. 61 % des échantillons contaminés étaient porteurs de bactéries résistantes à une ou plusieurs familles d’antibiotiques, dont 23 % à des antibiotiques critiques, c’est-à-dire les plus cruciaux utilisés en médecine humaine en dernier recours pour des pathologies graves. Loin d’être anodins, ces résultats ne peuvent manquer de susciter l’inquiétude, dès lors que les manipulations inévitables de ces viandes avant cuisson par les consommateurs contribuent à diffuser ces bactéries antibiorésistantes, sources de pathologies humaines graves non traitables par antibiotiques. Cet amendement tend ainsi à découpler la prescription des antibiotiques et leur vente par les médecins vétérinaires, garante d’une prescription objective et raisonnée d’antibiotiques aux animaux. » Alors, mythes ou réalité ? Ces arguments sont-ils fondés ? Jean-Yves Madec, directeur scientifique antibiorésistance de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) répond à nos questions pour tenter de démêler le vrai du faux.
L’utilisation d’antibiotiques chez les animaux d’élevage est-elle en hausse, comme l’indique une étude de l’association UFC-Que choisir publiée en 2014 ?
Jean-Yves Madec : Non, cette affirmation est fausse et à contre-courant de tous les indicateurs que nous avons. En effet, l’exposition des animaux aux antibiotiques ne cesse de baisser depuis plusieurs années, comme en témoignent les rapports annuels du suivi des ventes d’antibiotiques vétérinaires par l’Agence nationale du médicament vétérinaire (ANMV). Pour autant, ce suivi se base sur les déclarations des ventes par les titulaires d’autorisation de mise sur le marché (AMM). De ce fait, il ne répertorie pas les utilisations “hors-AMM”, qui restent difficiles à quantifier.
Cette même étude souligne une forte présence de bactéries E. coli résistantes aux C3G dans des échantillons de poulet prélevés en grande surface. Ces résultats sont-ils en accord avec ceux publiés par les autorités sanitaires ?
J.-Y. M. : Oui, les données scientifiques internationales sont nombreuses. De multiples études montrent la présence à des taux élevés (> 50 %) de souches de E. coli résistants aux céphalosporines de dernières générations (C3G) sur la viande fraîche de poulet. Les résultats des analyses officielles dans la viande par les plans de surveillance européens vont dans le même sens. Nos équipes ont également publié récemment des résultats similaires à partir de viande de poulet achetée en grande surface. Le plan Écoantibio 2 s’est également saisi de cette question puisqu’un objectif de réduction de 50 % en cinq ans de la colonisation de surface de la viande de poulet de chair a été fixé (action 14).
Comment expliquez-vous la forte prévalence de ces bactéries dans la viande fraîche de poulet si l’exposition des animaux aux antibiotiques a diminué ?
J.-Y. M. : Plusieurs hypothèses peuvent être avancées pour tenter d’expliquer ce phénomène. Dans le monde entier, la sélection des E. coli résistants aux C3G chez le poulet de chair a été reliée à l’utilisation du ceftiofur au couvoir. Il s’agit d’une utilisation “hors-AMM” dénoncée depuis des années, et qui, comme indiqué précédemment, n’est pas tracée par le suivi des ventes d’antibiotiques. Nous pouvons donc supposer que les industriels n’ont pas arrêté d’utiliser le ceftiofur en filière poulet de chair. Une seconde hypothèse serait la persistance de ces souches dans les élevages ou leur cosélection par d’autres antibiotiques, malgré la baisse des usages. Une contamination croisée par les manipulateurs le long de la chaîne alimentaire pourrait également être envisagée, mais les caractéristiques moléculaires des gènes de résistances identifiés sur le poulet à la distribution sont plus proches de celles des animaux que de celles de l’homme. Enfin, cette forte prévalence de souches de E. coli productrices de ß-lactamases à spectre étendu (BLSE) pourrait résulter d’une contamination plus large de la viande par les bactéries à partir du stade d’abattage, sans lien avec l’usage des antibiotiques en amont.
Une transmission de cette résistance à l’homme est-elle possible ?
J.-Y. M. : Oui, d’autant que les gènes de résistance aux C3G sont principalement localisés sur des plasmides qui sont très diffusibles. Mais cela reste à démontrer, et le sujet fait encore débat. Notamment, quand des gènes de résistance aux C3G sont retrouvés chez l’homme, il ne s’agit majoritairement pas de ceux identifiés chez l’animal. Finalement, d’un côté, on ne peut pas se satisfaire d’un tel niveau de colonisation de la viande de poulet par des E.
coli présentant une résistance acquise aux C3G. D’un autre côté, on manque d’analyse quantitative des risques pour estimer le danger pour l’homme via la chaîne alimentaire. En effet, les similitudes ou les différences moléculaires ne suffisent pas à conclure.
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1 Voir La Semaine Vétérinaire n° 1766 du 1/6/2018, pages 10-11.