DOSSIER
Auteur(s) : CHRISTOPHE DEFORET
On entend de plus en plus fréquemment parler de burn-out, ce syndrome d’épuisement professionnel. Ce n’est pas seulement un effet de mode, il s’agit d’un réel et grave problème, aux conséquences lourdes, qui peut toucher tout le monde. Étudions quelques pistes pour éviter de sombrer dans cet incendie intérieur.
C’est le psychologue et psychothérapeute américain Herbert Freudenberger qui a le premier conceptualisé le burn-out au début des années 1970 : « Cet incendie intérieur qui attaque les battants soumis à trop de pression au travail, jusqu’à ce qu’ils se fracassent comme des coquilles vides ». La psychologue américaine Christina Maslach a plus tard mis en évidence une dimension relationnelle à ce syndrome, « une érosion de l’âme qui sanctionne l’écartèlement entre ce que l’on est et ce que l’on doit faire ». Les victimes du burn-out attendent une reconnaissance qu’ils n’obtiennent pas, ils subissent des demandes impossibles à satisfaire, ils assument des charges de travail trop lourdes. Ils finissent par avoir le sentiment de tourner à vide, de ne pas être à la hauteur, et toute leur vie, y compris personnelle, en pâtit. Il ne s’agit pas seulement d’un mal-être, car le terme est un peu galvaudé, mais bien d’une maladie psychique qui présente des symptômes de la dépression. Le burn-out ne touche pas seulement des personnalités fragiles, bon nombre d’individus peuvent en être victime dans des conditions de travail inadaptées.
La Haute Autorité de santé a publié des recommandations pour l’aide au diagnostic. Les travaux de Christina Maslach ont permis de définir le burn-out comme un « processus de dégradation du rapport subjectif au travers de trois dimensions : l’épuisement émotionnel, le cynisme vis-à-vis du travail ou la dépersonnalisation (déshumanisation, indifférence), la diminution de l’accomplissement personnel au travail ou la réduction de l’efficacité professionnelle ».
La pression peut prendre divers aspects : elle peut être générée par des personnes, des situations, mais on peut surtout se l’auto-imposer. On peut ressentir la pression lorsque l’on travaille avec des délais à respecter, ce qui est souvent le cas du praticien, ne serait-ce qu’en matière de respect de ses rendez-vous de consultations, souvent chamboulés par les urgences ou par les clients qui ne respectent pas notre cadre de travail.
Vouloir considérer que les clients sont rois, de peur d’en perdre, est dangereux et, au final, préjudiciable au bon fonctionnement de la clinique, car c’est l’ensemble de la clientèle qui risque d’en pâtir. Recevoir immédiatement un client qui se présente sans rendez-vous pour une situation non urgente va finalement augmenter la pression pour toute l’équipe : les auxiliaires spécialisés vétérinaires (ASV) qui vont devoir temporiser l’attente des clients qui avaient rendez-vous, le praticien qui voit sa charge de travail augmenter, et finalement l’ensemble des autres clients qui vont être reçus dans des conditions non optimales. De plus, par simple renforcement positif, le client sans rendez-vous continuera à procéder de la même façon. Dans le même registre, se sentir obligé de réaliser tous les examens complémentaires immédiatement, alors que certains pourraient être différés va augmenter la pression de travail. Les clients qui acceptent bien d’attendre, parfois longtemps, des rendez-vous médicaux pour eux-mêmes peuvent bien comprendre que les vétérinaires les soumettent aux mêmes contraintes. L’essentiel est de présenter les faits de façon bienveillante et empathique.
Le fait de devoir jouer plusieurs rôles à la fois est aussi un facteur de stress que nous connaissons bien. Notre profession, pluridisciplinaire, nous contraint à réaliser de nombreuses tâches. Notre polyvalence a ses limites. Savoir déléguer, à chaque fois que cela est possible, permet de soulager la pression. On peut référer des cas complexes, faire appel à des confrères itinérants, déléguer aux ASV les actes qu’ils peuvent assumer, s’entourer de partenaires compétents pour certaines besognes (comptabilité, polymerase chain reaction [PCR], tâches administratives, etc.).
Faire face à des changements ou à des contretemps, que ce soit à titre professionnel ou privé, est aussi un facteur de pression. Car le syndrome d’épuisement professionnel intervient dans un contexte global, lorsque la vie privée est lourde de contraintes, il est plus facile de craquer au travail. La pression forte peut être liée à des événements lourds de conséquences et entraînant beaucoup d’incertitudes (deuil, changement de travail ou de mode d’exercice, etc.). Mais il s’agit aussi souvent, de manière beaucoup plus insidieuse, de l’accumulation de multiples incidents mineurs. La pression subie par chaque individu est très variable, en fonction des diverses stimulations, mais aussi de sa constitution psychique. Ce ne sont pas les événements qui déterminent si nous sommes ou non stressés, mais la manière dont nous les vivons et réagissons. La première des démarches à mettre en œuvre, une fois les signes de stress néfastes détectés, est d’identifier quelles sont, pour nous, les sources de ce stress, afin de pouvoir soit s’y soustraire, soit y faire face différemment.
Le burn-out s’installe généralement de façon insidieuse. Certains signes, constituant pour Freundenberger le burn-in, correspondent à la premiè̀re phase de l’é́puisement professionnel et pré́ceédent l’é́tape ultime, le burn-out. Détectés à temps, ils permettent d’agir avant qu’il ne soit trop tard. Il existe des signes classiques qui peuvent être liés au stress : ils sont d’ordre à la fois psychologiques et comportementaux, mais aussi physiques.
Sur le plan psychologique et comportemental, un des premiers signes d’alerte est l’irritabilité, l’humeur changeante. Être attentif aux dires de l’entourage plutôt que de rejeter la responsabilité sur les autres est un des premiers pas pour détecter l’impact de son stress : si on considère que tous les clients sont désagréables, ou tous les collègues insupportables, il est peu probable que tout son entourage professionnel ait subitement changé… C’est peut-être sa façon de voir les choses qui est à reconsidérer.
La difficulté à réfléchir, à prendre des décisions, à effectuer plusieurs tâches à la fois, les oublis répétés peuvent aussi être des signes de burn-in. Le désengagement, la baisse de motivation, les doutes sur ses propres compétences sont souvent ressentis par les victimes de burn-out avant l’effondrement. De même, le fait de commencer à négliger son apparence, ou bien les personnes et les activités que l’on aimait auparavant, peut signer le glissement sur une pente de dépression, liée au stress professionnel.
Sur le plan physique, les principales affections qui peuvent être considérées comme liées au stress sont :
- les troubles du sommeil (difficultés d’endormissement sur un versant anxieux, réveil nocturne avec impossibilité de se rendormir sur un versant dépressif). Le sommeil peut s’avérer non réparateur, et après un nombre adapté d’heures consacrées au sommeil, variable selon les individus, on peut commencer la journée avec une forte sensation de fatigue ;
- céphalées ou migraines à répétition ;
- troubles digestifs résistant aux traitements symptomatiques classiques ;
- douleurs articulaires, du rachis notamment, et musculaires ;
- hypertension et tachycardie ;
- troubles sexuels, baisse de la libido, impuissance.
Les conséquences somatiques du “mauvais stress”, cette pression dont on n’arrive plus à contrôler les effets, peuvent donc être très invalidantes et parfois très graves.
Certes tous les symptômes évoqués n’ont pas pour cause unique la pression subie, mais ils méritent, lorsqu’on les ressent, de s’interroger sur ses contraintes de vie.
S’il est possible d’éviter certaines sources de pression, comme toutes les formes de stress auto-imposées, il en est d’autres avec lesquelles il faut composer. À moins de bénéficier comme par enchantement d’une source de revenu qui rendrait le travail facultatif (mais qui générerait d’ailleurs d’autres sources de stress), nous sommes contraints de subir certaines pressions professionnelles et dans notre vie quotidienne.
Cela étant, certaines personnes semblent hors d’atteinte face au stress, on les dénomme en psychologie, les “individus robustes”. Ce sont des individus qui sont parvenus à établir un équilibre de vie, qui savent jouir du moment présent sans se laisser accabler par les facteurs de pression, et qui sont déterminés.
Mener une vie équilibrée est la clé de voûte de la gestion de la pression. Quel que soit l’investissement que nécessite notre profession, il est vital de s’accorder des moments de détente sans culpabiliser. Certains de nos clients l’oublient parfois, mais nous avons le droit de nous reposer et de nous adonner à nos passions extra-professionnelles : la pratique d’un hobby, quel qu’il soit, est un énorme facteur de relaxation.
Pratiquer régulièrement une activité physique permet d’accroître sa résistance physique. Lorsque l’on est en bonne condition physique, on se sent prêt à affronter les pressions de la vie. Il convient de choisir un sport qui plaise, les possibilités sont multiples et il existe toujours un exercice sportif que l’on arrive à “caser” dans son emploi du temps, pour peu que l’on soit convaincu de son bienfait ; les “je n’ai pas le temps” ne sont que des excuses. Si l’on peut pratiquer ce sport avec un partenaire, ceci est d’autant plus bénéfique, puisqu’on y associe l’intérêt social.
Se constituer un cercle d’amis permet aussi de rompre l’isolement lié à la pression. L’individu stressé est persuadé que personne ne peut comprendre ce qu’il ressent. Établir des liens durables avec d’autres personnes, qui ont, elles aussi, des sources de stress, permet d’obtenir un soutien fondamental. Ce soutien est différent de celui apporté par le conjoint ou la famille, et il est tout aussi profitable. On ne dit pas les mêmes choses à un ami qu’à un membre de son foyer. Les espaces de parole, comme celui crée par l’association Vétos-entraide (entretien p. 52), constituent aussi une possibilité de ressourcement essentielle. Les psychothérapeutes de diverses obédiences permettent aussi de lutter contre l’effondrement.
Jouir de l’instant présent : certains passent leur temps à ressasser le passé ou à présager l’avenir, ce sont autant de sources de stress. Si l’on arrive à rester à l’écoute de son ressenti à l’instant présent, et à prendre conscience combien la vie vaut la peine d’être vécue pour ces moments agréables que nous vivons tous les jours (qui peuvent être des situations très simples, comme profiter du soleil à la terrasse d’un café), il devient plus facile de prendre du recul lorsque les événements plus désagréables apparaissent.
Améliorer la gestion de son temps : nous avons, certes, des journées bien remplies, mais l’organisation permet de dégager du temps, afin de se consacrer à ce qui nous fait plaisir. Il est nécessaire aussi de se ménager des laps de temps à part entière consacrés aux loisirs, plutôt que de les repousser aux calendes grecques, en ne s’y autorisant qu’une fois que toutes les tâches rébarbatives accomplies, sinon ces moments de détentes n’existeront tout simplement pas !
Le stress professionnel, finalement, c’est quelque part nous-mêmes qui le générons, et il ne tient donc qu’à nous de nous éloigner du burn-out avant qu’il ne soit trop tard !
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QUELQUES CLÉS POUR FAIRE FACE AU STRESS PROFESSIONNEL
« N’IMPORTE QUI PEUT FAIRE UN BURN-OUT »
PRINCIPAUX STRESSEURS PROFESSIONNELS