Mieux diagnostiquer les cas de maltraitance - La Semaine Vétérinaire n° 1767 du 08/06/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1767 du 08/06/2018

PROTECTION ANIMALE

ACTU

Auteur(s) : ANNE-CLAIRE GAGNON 

Un symposium belge a permis d’aborder tous les aspects de la maltraitance domestique, pour laquelle les vétérinaires ont un rôle (encore trop peu endossé) à jouer.

Pour la première fois en Belgique, à l'initiative du groupe d'éthologie (VDWE) de la Small Animal Veterinary Association of Belgium (SAVAB), a eu lieu à Bruxelles les 4 et 5 mai un symposium interdisciplinaire sur la maltraitance domestique, suivi d'un séminaire de formation, animé par nos consœurs Freda Scott-Park et Paula Boyden, de l’association The Links Group (Grande-Bretagne).

Des attitudes différentes

Comme l’ont rappelé Freda Scott-Park et Paula Boyden, les vétérinaires praticiens, selon leur âge et leur sensibilité, se partagent en trois groupes : ceux qui ne voient pas et n'entendent pas s'exprimer la maltraitance animale, ceux qui la voient, l'entendent mais ne veulent pas s'en mêler, se retranchant derrière le strict métier de vétérinaire – soigner l'animal souffrant – et ceux qui souhaitent comprendre les traumatismes non accidentels, pour aider les victimes, animales et humaines. La jeune génération a plus facilement cette attitude clinique globale, et se heurte souvent au déni ou à l'incompréhension de la génération vétérinaire senior qui se cache pudiquement derrière la confidentialité de chaque consultation. Mais les faits sont là, et derrière des animaux domestiques maltraités, il y a très souvent des familles – femmes et enfants – en danger, car tous partagent le fait d'être plus facilement vulnérables.

Inclure la maltraitance dans la liste diagnostique

Le frein principal à la prise en charge de la violence domestique par la profession vétérinaire tient au manque de confiance (et de formation) pour reconnaître la maltraitance et à la peur de sortir du rôle de clinicien strict – le diagnostic d'une fracture, la réalisation d'une chirurgie orthopédique, sans chercher à savoir pourquoi chez Mme Jones, trois chatons sont successivement tombés du lit. Les réglementations sont différentes d'un pays à l’autre, et nos confrères britanniques ont une obligation légale de signalement à la RSPCA1 que nous n'avons pas encore en France ni en Belgique. Sauf que le bien-être animal est de notre responsabilité, nous imposant d'agir, et encore plus s'il y a un risque vital pour un ou plusieurs membres de la famille détentrice de l’animal.

Éléments de diagnostic

La suspicion de traumatisme non accidentel ou de maltraitance repose sur un ensemble d'éléments : une incohérence des circonstances de survenue des lésions, qui sont récurrentes (traumatismes crâniens, côtes cassées), des victimes souvent jeunes (animaux de moins de 2 ans), heureuses hospitalisées et apeurées en présence du ou des propriétaires (avec une peur fréquente des hommes). Il est toujours important, lors de l'examen clinique, de prendre des notes dans un langage qui pourra être lu par des tiers (éviter les acronymes), notamment par la police et les juristes, de pouvoir échanger avec des collègues, ainsi que de pouvoir faire appel à un centre de médecine légale vétérinaire, comme celui qui existe actuellement à titre pilote à l'université d'Utrecht.

Premier centre de médecine légale vétérinaire

Le professeur Andrea Gröne, anatomo-pathologiste, chargée du centre, a souligné l'importance, lors de maltraitances ayant provoqué la mort d'un animal, de la réalisation d'autopsies, si possible par un service de médecine légale vétérinaire. Pour elle, les cas concernant les animaux de compagnie sont souvent sous-estimés alors que ceux frappant les animaux de rente sont surestimés. Actuellement en phase pilote avec 25 structures vétérinaires référentes aux Pays-Bas, le Forensische Diergeneeskunde2 est une partie du Landelijk Expertisecentrum Dierenmishandeling (Centre de maltraitance animale) qui bénéficie d'un soutien du ministère de la Justice et de celui de l'Agriculture. Ce centre de médecine légale vétérinaire offre aux praticiens qui lui transmettent les éléments cliniques, les radiographies, etc., une aide au diagnostic et une réponse sous 24 heures. Ce centre devrait devenir rapidement national, puis international. La présence, à plein temps, d'une psychologue à l'université vétérinaire d'Utrecht, apporte clairement à tous une ouverture et un éclairage différents des disciplines habituelles. Nienke Endenburg coordonne au sein de l'université ce centre de maltraitance animale, qui a pu convier le Centre de maltraitance infantile (Landelijk Expertisecentrum Kindermishandeling) pour présenter l'état de la situation aux Pays-Bas. Une initiative collaborative entre les disciplines, utile à la sécurité de tous.

Maltraitance domestique : une triste réalité quotidienne

Marijke Weekwauters, coordinatrice nationale de l'Institut pour l'égalité des femmes et des hommes3, a présenté les résultats de l'étude menée auprès des vétérinaires qui souhaitent que la déclaration des cas de maltraitances soit volontaire (sans obligation légale), qu'une formation leur soit fournie ainsi que des recommandations car ils doutent encore trop de leur diagnostic. Clairement, ils craignent d'être responsables d'une mise en prison d'un client, tout en souhaitant porter assistance aux familles victimes de violence. La situation n'est pas meilleure du côté des médecins généralistes qui ferment souvent les yeux sur les violences conjugales (notamment psychologiques), considérant qu’il s’agit de problèmes de couple. Or, il ne faut pas moins de 35 incidents pour qu'une victime se décide à chercher de l'assistance… Il est important de mentionner que 80 % des personnes maltraitantes ont besoin d’une aide thérapeutique alors que 20 % sont de véritables criminels, relevant de la prison. En Belgique, une personne sur quatre est victime ou témoin de violence domestique à un moment de sa vie. Pour demander et trouver de l'aide, le circuit est souvent labyrinthique. Dries Wyckmans a présenté un centre de justice familiale (Family Justice Center4) ouvert depuis le 1er décembre à Hasselt au Limburg, grâce à un financement européen, où une équipe pluridisciplinaire accueille les victimes et perpétrateurs, pour une mise en sécurité de tous.

Des outils pour demain

Le symposium s’est poursuivi par un atelier, en petit groupe. Il a permis de mieux comprendre le quotidien des foyers où sévit la maltraitance et de mieux suspecter les traumatismes non accidentels, lorsque nous prenons en charge des animaux jeunes présentant des fractures, souvent considérées comme normales ou banales, faute de prendre le temps d'écouter le propriétaire, ses silences ou son agressivité, selon qu’il s’agit de la victime ou du perpétrateur. Les propriétaires de ces foyers changent souvent de vétérinaires, brouillant les pistes. Un dialogue entre tous est nécessaire, en cas de doute, pour aider à diagnostiquer la maltraitance animale, les syndromes de Munchausen par procuration afin d'aider à prévenir la maltraitance humaine.

Freda Scott-Park et Paula Boyden ont présenté une animation poignante avec l’histoire d’une famille où plusieurs services ont été contactés pour résoudre les problèmes de violence de maltraitance sur les enfants, la femme et les chiens, ces derniers ayant été considérés les premiers. L'absence de coordination des différents services a considérablement retardé la mise en sécurité de la mère et des enfants et la prise en charge du père dans cette famille.

Dans la dynamique du succès de ce symposium, le VDWE groupe d'Éthologie de la SAVAB devrait mettre en place pour les confrères belges des documents d'aide à la prise en charge et au diagnostic de la maltraitance. One Welfare, c'est la responsabilité de tous.

1 Royal Society for the Prevention of Cruelty to Animals.

2 meldpuntled.nl.

3 igvm-iefh.belgium.be/fr.

4 fjclimburg.be/index.php.

Voir aussi La Semaine Vétérinaire n° 1703 du 19/1/2017, pages 34-40 et n° 1678 du 8/6/2016, pages 33.