CONFÉRENCE
PRATIQUE CANINE
Formation
Auteur(s) : THOMAS BRÉMENT
La dermatite atopique canine (DAC) est une maladie complexe impliquant une sensibilisation aux allergènes environnementaux et/ou alimentaires, une barrière cutanée défectueuse et une réponse inflammatoire anormale de la peau favorisant les infections cutanées. La gestion est longue et doit s’adapter selon l’état clinique de l’animal, l’efficacité, la tolérance, les effets secondaires, la facilité d’administration et le coût des traitements prescrits. De nombreuses solutions existent aujourd’hui pour cibler les différentes composantes de la maladie.
Ces traitements1 (essentiellement basés sur les corticoïdes locaux et les acides gras essentiels) ont pour but de maintenir une rémision clinique à long terme en limitant l’incidence des facteurs pro-inflammatoires et infectieux qui, s’ils sont trop fréquents, entraînent des modifications pathologiques chroniques cutanées, rendant plus complexe la prise en charge de la maladie. Ils s’intéressent aussi aux facteurs déclencheurs les plus communs que sont les ectoparasites, les infections à Staphyloccocus et à Malassezia. Le stress est un facteur favorisant non négligeable nécessitant parfois une prise en charge comportementale (médicamenteuse ou non). Une chirurgie correctrice peut être envisagée lors de certains cas d’otite ou de pododermatite.
Par ailleurs, dans un modèle de DAC, il a été montré que l’exposition prénatale (par administration orale à la mère) à une souche de Lactobacillus rhamnosus GG a permis une diminution durable des taux d’IgE sériques et l’intensité des signes cliniques chez les chiots exposés versus des chiots non exposés. L’exposition de chiens atopiques à Lactobacillus sakei Probio-65 a permis de diminuer le prurit et les lésions de 16 à 30 %2. L’utilisation des pré- et probiotiques doit être réfléchie, car peu de preuves d’efficacité sont disponibles.
Un régime d’éviction strict doit être mis en place pour les chiens atteints de dermatite atopique d’origine alimentaire. Le recours à des régimes riches en acides gras essentiels (Oméga 3 et 6) ou leur ajout dans la ration quotidienne peut permettre de réduire modérément les manifestations de prurit et les scores lésionnels (de 20 à 25 %). Ils ont aussi un effet d’épargne sur l’utilisation des corticoïdes et de la ciclosporine. Ils sont faciles d’emploi et dénués d’effets secondaires, mais il est recommandé de les éviter en cas de surpoids ou de pancréatite.
Bien que difficiles et chronophages, il est indispensable de recourir à des traitements topiques à visée mécanique (élimination des allergènes présents à la surface de la peau), de renforcement de la barrière cutanée (phytosphingosine, acides gras essentiels), de lutte antimicrobienne (chlorhexidine), antiséborrhéiques et de combiner différentes présentations galéniques : shampoing, spray, mousse, spot on. Leurs bénéfices ne durent que 24 à 48 heures et leur application doit être régulière.
Ils sont nécessaires lors de crises inflammatoires et/ou de prurit intense et parfois sur le long terme pour maintenir la rémission. Les principales molécules reconnues efficaces sont les glucocorticoïdes systémiques et topiques, la ciclosporine, l’oclacitinib, le lokivetmab. D’autres molécules, telles que les aliamides, sont possibles. Les effets secondaires varient selon la molécule. Des combinaisons peuvent être utilisées pour augmenter leur efficacité et diminuer les effets indésirables.
Corticoïde topique
L’aceponate d’hydrocortisone (Cortavance®) est disponible en spray. Il permet une réduction importante des lésions et du prurit comparable à l’action de la ciclosporine. Il s’applique directement sur les lésions et possiblement dans les conduits auditifs, avec une bonne sécurité d’utilisation. Lors de thérapie proactive, il convient de le faire à une fréquence réduite (2 jours consécutifs par semaine). Un arrêt de 2 semaines avant tout test allergique est nécessaire.
Inhibiteur de kinases
L’oclacitinib (Apoquel®) est un inhibiteur des janus kinases de type 1, enzyme couplée à un récepteur de l’interleukine 31 (IL-31), une cytokine ayant un rôle clé dans le prurit aigu et l’inflammation. La dose recommandée est de 0,4 à 0,6 mg/kg, deux fois par jour, pendant 14 jours, puis une fois par jour. Elle permet une diminution du prurit et des lésions associées de respectivement 60 % et 49 %. Le passage à une dose journalière unique s’accompagne dans de rares cas d’une rechute. Les chiens nécessitant deux administrations quotidiennes doivent être surveillés sur le long terme. Dans certains cas, il peut être intéressant de diminuer le dosage d’oclacitinib tout en conservant deux administrations par jour. Les effets secondaires sont rares et incluent des troubles gastro-intestinaux et, de façon anecdotique, une anémie ou une neutropénie. Il est recommandé d’éviter son utilisation chez les animaux de moins de 1 an, immunodéprimés ou atteint d’une affection tumorale. Il est indispensable de maintenir tous les moyens de lutte antiparasitaires, voire antiinfectieux, du fait que l’utilisation de l’oclacitinib peut masquer les signes cliniques associés à la présence d’ectoparasites ou d’agents infectieux (bactéries, champignon, etc.). D’autres inhibiteurs de kinases sont en cours d’investigation (tofacitinib, baricitinib). Le masitinib (Masivet®) à la dose de 12,5 mg/kg/j est modérément efficace sur la réduction des lésions et inefficace sur le prurit.
Anticorps monoclonaux
Le lokivetmab (Cytopoint®) est un anticorps monoclonal anti-IL-31 caninisé. Il s’injecte par voie sous-cutanée à la dose de 2 à 4,3 mg/kg. Sa durée d’action indiquée est de 1 mois. Néanmoins, cet intervalle varie de 15 à 60 jours, selon les individus et la nature des traitements concomitants. Il permet une amélioration significative du prurit et des lésions chez 80 % des chiens. Sa tolérance est bonne et il peut représenter une option thérapeutique intéressante chez des individus pour lesquels les autres traitements sont contre-indiqués ou inefficaces (exemple : glucocorticoïdes lors de diabète, échec de l’oclacitinib ou de la ciclosporine, etc.). Tout comme l’oclacitinib, il est essentiel d’exclure toute cause sous jacente, comme les infections ou les parasites responsables de prurit, avant d’utiliser ce traitement qui pourrait masquer les manifestations associées. Des études sont en cours pour évaluer l’efficacité d’autres anticorps monoclonaux (anti-IgE ou anti-NGF [nerve growth factor]). Bien que leur sécurité d’emploi à long terme ne soit pas démontrée, ces derniers apparaissent bien tolérés et ne présentent aucune intéraction avec d’autres médicaments ou vaccins.
Perspectives
Les inhibiteurs des phosphodiestérases diminuent le relargage de cytokines inflammatoires, mais la pentoxifylline a une efficacité modérée lors de DAC. L’interféron ɣ recombinant (Interdog®, 5 000 à 10 000 unités/kg par voie sous-cutanée trois fois par semaine pendant 4 semaines, puis une fois par semaine) est efficace lors de DAC, mais la spécialité n’est pas disponible en France. L’interféron ωfélin recombinant (Virbagen®, 1 à 5 millions d’unités par voie sous-cutanée, trois fois par semaine) serait un équivalent de la ciclosporine dans la gestion d’une DAC, d’après une étude3 . Cependant les résultats sont inconstants et la dose optimale reste floue. De nombreuses autres molécules font l’objet d’étude. Elles appartiennent pour la plupart à la pharmacopée humaine et leur utilisation est donc soumise au respect de la cascade. La disponibilité de nombreuses molécules avec autorisation de mise sur le marché (AMM) vétérinaire fait qu’elles tiennent plus du domaine de la recherche que de la pratique vétérinaire. Les aliamides systémiques (palmitoyléthanolamide ultramicronisé, PEA-um) ou topiques (adelmidrol, palmidrol) sont des dérivés d’acides gras ayant une activité anti-inflammatoire et antiprurigineuse via leur action sur les récepteurs cannabinoïdes. Une étude4 a montré que l’utilisation du PEA-um (Redonyl® à 10 mg/kg/j) a permis de réduire les lésions de 48 % et le prurit de 37 % chez le chien. Leur utilisation apparaît sûre et bien tolérée. L’utilisation du méthotrexate à la dose de 2,5 à 7,5 mg lors de DAC montre des résultats variables mais peut permettre dans certains cas une amélioration durable tout en diminuant progressivement les doses après 4 à 8 semaines. Les effets secondaires sont assez nombreux et fréquents. Une action sur les récepteurs sensibles à la température pourrait avoir des effets analgésique et anti-prurigineux intéressants. Cela inclut l’utilisation du menthol, de l’eucalyptus, de la citronnelle ou de la capsaïcine. Le recours à des ligands aux récepteurs Gaba (acide γ-aminobutyrique ; exemple : gabapentine) ou NK1 (neurokinine 1 ; exemple : maropitant) ou à des antagonistes µ-opioïdes (naloxone, notamment) peut également être envisagé. Enfin, d’autres thérapies sont en cours de développement, telles que les modulateurs ou agonistes sélectifs des récepteurs aux glucocorticoïdes (exemple : mapracorat) ou l’étude de certains récepteurs à l’histamine (H4) qui seraient davantage impliqués dans la dermatite atopique.
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1 Voir La Semaine Vétérinaire n° 1748 du 19/1/2018, pages 24 et 25.
2 Enterococcus faecium SF68 (Fortiflora®) augmente la diversité de la flore intestinale et réduit les diarrhées associées aux antibiotiques, mais aucun effet sur la peau n’a été montré.
3 Carlotti D. N., Boulet M., Ducret J. et coll. The use of recombinant omega interferon therapy in canine atopic dermatitis : a double-blind controlled study. Vet Dermatol. 2009;20(5-6):405-411.
4 Noli C., Della Valle M. F., Miolo A. et coll. Efficacy of ultra-micronized palmitoylethanolamide in canine atopic dermatitis : an open-label multi-centre study. Vet Dermatol. 2015;26(6):432-440, e101.