RECHERCHE
PRATIQUE MIXTE
Formation
Auteur(s) : TANIT HALFON
Des chercheurs1 de l’université de Southampton (Royaume-Uni) et de l’université fédérale de Viçosa (Brésil) se sont penchés sur les effets des champs électromagnétiques extrêmement basse fréquence (EBF) sur la santé de l’abeille Apis mellifera, notamment sur ses fonctions motrices, cognitives et son aptitude à s’alimenter. De précédentes études avaient montré qu’une exposition chronique aux EBF agissait comme un facteur de stress majeur pour les mammifères, pouvant amener à des perturbations de la mémoire, à un comportement anxieux, voire de type dépressif. Une étude sur le criquet pèlerin avait aussi mis en lumière leurs effets potentiels sur les insectes, en montrant qu’une exposition à des niveaux élevés entraînait chez l’animal des changements physiologiques et comportementaux, ainsi qu’une augmentation du taux de protéines de stress. Si, au sol, les lignes électriques peuvent engendrer un champ de 100 microteslas (µT) pour une ligne très haute tension à 400 kV, les insectes, lors du vol, pourraient être exposés à de plus forts paliers, du fait du rapprochement physique avec le conducteur (câble), pouvant aller jusqu’à 0,6 mT à 1 mètre et 14 mT à 1 centimètre. Aux États-Unis, l’observation d’un faible succès2 chez des ruches installées sous des lignes à haute tension a amené le gouvernement fédéral à recommander aux apiculteurs d’éviter cette zone.
Le champ EBF est généré à l’aide d’un dispositif composé de bobines de cuivre. Dans une première expérimentation, des abeilles sont soumises à un test du réflexe d’extension du proboscis (REP), qui correspond à l’extension naturelle de leur trompe à la suite d’une stimulation des antennes avec une solution sucrée. Pour ce faire, des abeilles sont capturées à leur retour de butinage, sur quatre ruches de l’université. Au total, 438 abeilles sont incluses dans l’échantillon, et divisées en quatre groupes : un groupe contrôle (114) et trois groupes exposés à différents niveaux de champ EBF (20 µT - 111, 100 µT - 106 et 1 000 µT - 107). Chaque abeille est d’abord soumise à un stimulus olfactif (linalool), puis subit une stimulation des antennes avec une solution sucrée qu’elle pourra ingérer. Cette séquence de conditionnement est répétée cinq fois d’affilée, suivie d’un test du REP 1 heure après la dernière séquence (test de la mémoire). L’exposition au champ EBF est effectuée 1 minute après chaque séquence. Dans une deuxième expérimentation, 120 abeilles sont collées à un point d’attache par leur thorax dorsal et stationnent sur un support. Elles sont ensuite soulevées dans les airs, déclenchant automatiquement des battements d’ailes, puis sont soumises, ou pas, à un champ EBF (100 µT, 1 000 µT, et 7 000 µT, à raison de 30 abeilles par groupe). Enfin, dans une troisième expérimentation, les chercheurs fixent un tunnel à la sortie d’une ruche au bout duquel se trouve une source alimentaire. Le dispositif mimant le champ EBF (100 µT) est placé de telle sorte que les abeilles doivent passer devant pour chercher la nourriture.
Dans la première expérimentation, la proportion d’abeilles présentant le REP augmente avec le nombre de séquences, avec une différence significative entre le groupe témoin et les groupes exposés dès la deuxième séquence. De plus, les chercheurs observent des différences significatives suivant le taux d’exposition. Ainsi, les abeilles exposées à 20 µT répondent au final mieux que celles qui le sont à 100 µT et 1 000 µT3. En revanche, dans les conditions de l’expérience, aucune différence significative n’est observée entre la cinquième séquence et le test REP final. Pour le vol, l’exposition augmente significativement la fréquence de battements d’ailes, cet effet étant dose-dépendant. Enfin, l’activité de butinage diminue chez le groupe exposé. Cette étude montre pour la première fois qu’une exposition aiguë au champ EBF, à une intensité équivalente à celle rencontrée par les abeilles dans un environnement naturel, diminue les capacités d’apprentissage olfactif des abeilles, et que cet effet est dose-dépendant. Un résultat préoccupant, ces capacités étant indispensables pour la localisation des sources alimentaires. Avec pour conséquence possible une baisse de la robustesse globale de la colonie. En revanche, l’exposition au champ EBF n’impacte pas la mémoire des abeilles testées. À noter que l’augmentation de la fréquence de battements d’ailes impliquerait un plus fort besoin en énergie pour les butineuses.
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2 “Poor success of bee hives”.
3 Pas de différence significative entre les abeilles exposées à 100 µT et à 1 000 µT.