Jérôme Coppalle : « Ne raisonnons plus avec les cadres du passé » - La Semaine Vétérinaire n° 1771 du 06/07/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1771 du 06/07/2018

ENTRETIEN

ACTU

Auteur(s) : PROPOS RECUEILLIS PAR TANIT HALFON 

Afin de poursuivre la réflexion sur le budget des écoles nationales vétérinaires 1, nous avons sollicité la Direction générale de l’enseignement supérieur et de la recherche (DGER) pour connaître la position du ministère de l’Agriculture sur le sujet. Jérôme Coppalle, sous-directeur de l’enseignement supérieur, a accepté de répondre à nos questions.

La mission interministérielle recherche et enseignement supérieur (Mires) regroupe l’ensemble des crédits prévus pour la recherche et la formation supérieure. Parmi les dix programmes concernés, cinq relèvent du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation et obtiennent 90 % des crédits 2 . Pourquoi ce déséquilibre, au détriment du programme 142 dont dépend l’enseignement vétérinaire ?

La part budgétaire du programme 142 est bien supérieure à son poids au regard de son nombre d’étudiants ! De plus, les moyens accordés aux écoles nationales vétérinaires (ENV) ne baissent pas, ce qui est, en soi, extraordinaire par rapport à d’autres opérateurs publics. Cela montre bien que la formation vétérinaire reste une priorité des gouvernements successifs. Pour rappel, en 2012, le soutien de l’État aux écoles était de l’ordre de 67 millions d’euros. Aujourd’hui, il est d’environ 76 millions d’euros, soit une augmentation de 13 %, avec plus de 4 % rien que pour l’année 2018. Ce pourcentage est proche de la hausse du nombre d’étudiants dans les ENV, qui est de 15 % entre 2012 et 2018. Aujourd’hui, dans un contexte de budget contraint, les écoles vétérinaires sont préservées.

Certains se posent la question de la légitimité du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation en tant que tutelle principale des ENV. Au regard de l’évolution de la profession vétérinaire, les écoles ont-elles encore leur place dans l’enseignement agricole géré par le ministère ?

Il convient de rappeler que le champ d’action du ministère concerne les politiques publiques de santé publique vétérinaire, la santé et la protection de tous les animaux, de production bien évidemment, mais aussi de compagnie, de loisir et de sport. Par ailleurs, être un établissement d’enseignement supérieur relevant du ministère de l’Agriculture signifie, en comparaison de l’université, une gouvernance particulière associant étroitement les professionnels au conseil d’administration, une taille d’établissement qui reste humaine, une capacité de pilotage des recrutements en lien avec les métiers préparés, un soutien financier par étudiant supérieur à la moyenne nationale, tout en bénéficiant d’une ouverture large sur le monde scientifique, à travers les enseignants-chercheurs et les nombreuses unités mixtes de recherche.

Certains se posent la question de la pertinence des classes préparatoires aux grandes écoles, notamment au regard du budget consacré aux étudiants (environ 30 000 pour deux ans). Est-ce un axe de réflexion ?

Les classes préparatoires dépendent, non pas du ministère de l’Agriculture, mais du ministère de l’Éducation nationale et de celui de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Pour autant, avec ce dernier, nous menons actuellement une réflexion sur le sujet. La problématique étant que la formation initiale française dépasse de 18 mois les autres formations européennes et que le concours, réputé difficile, reste sur des standards assez académiques.

Quelles solutions, sinon financières, proposez-vous pour conserver un enseignement de qualité ?

Aujourd’hui, nous sommes encore dans un schéma classique de transmission des savoirs. Ce qui n’est plus en phase avec la nouvelle génération d’étudiants, friands de nouvelles technologies. À nous d’adapter l’enseignement en conséquence. Pour ce faire, de nombreux leviers peuvent être identifiés. Par exemple, pourquoi ne pas réfléchir à la place des professionnels dans l’enseignement, comme l’ont fait les écoles d’ingénieurs. Pour certaines d’entre elles, jusqu’à 30 % des enseignements sont parfois délivrés par des professionnels3. Sans aller vers un système comme à l’école vétérinaire de Nottingham (Grande-Bretagne), où toutes les activités cliniques sont externalisées, il me semble que l’on pourrait identifier une voie intermédiaire. D’autant plus qu’avec cette orientation, l’étudiant gagnerait en autonomie, bien plus qu’avec la seule exposition aux cas des centres hospitaliers universitaires vétérinaires (CHUV). Ces modes d’apprentissage suivent finalement la logique des stages tutorés proposés actuellement pour les étudiants de dernière année en rural.

En 2018, le ministère a lancé l’appel à projets Innovation pédagogique. Les crédits destinés aux évolutions de l’enseignement sont-ils voués à être distribué de cette manière ?

Absolument pas. Cet appel à projets a vocation à rester marginal. Il vise à saluer des démarches innovantes, et à inciter les enseignants à la réflexion sur de nouveaux outils, dans un esprit collectif (NDLR : un des objectifs de l’appel à projets est d’« accompagner et de favoriser le rapprochement entre les écoles vétérinaires »). Pour aller plus loin, j’invite fortement les écoles vétérinaires à penser autrement et à s’inspirer des expériences d’autres établissements. Tout n’est pas question de budget ou encore de nombre d’enseignants, mais d’innovations, de “faire” entre écoles, entre collègues. Les écoles innovent et changent beaucoup en ce moment, mais d’autres sont prêts à agir à notre place si nous ne sommes pas à la hauteur des attentes.

Certains craignent une potentielle difficulté croissante à recruter des enseignants vétérinaires, au vu des faibles rémunérations proposées, en comparaison avec le privé. Au risque pour les écoles de se retrouver avec plus d’enseignants non vétérinaires que vétérinaires. Que répondre à cette inquiétude ?

Pour les missions comportant une part d’exercice de la médecine et de la chirurgie vétérinaires, les ENV doivent recruter des vétérinaires aptes à exercer, mais la présence d’enseignants non vétérinaires sur d’autres disciplines peut aussi être une richesse. La question du différentiel de salaires entre la fonction publique et le secteur privé n’est pas propre aux ENV et il existe des dispositifs de régimes indemnitaires ou de reprises d’ancienneté qui sont activés en tant que de besoin par le ministère. Au-delà de la seule rémunération, l’exercice en ENV offre des conditions uniques d’épanouissement professionnel grâce aux activités d’enseignement et de recherche d’excellence qu’il implique.

En conclusion, trois questions : pensez- vous les crédits de l’État suffisants pour assurer un enseignement de qualité ? Quel avenir envisagez-vous pour les écoles vétérinaires : une fusion, comme cela a été récemment évoqué ? Et enfin, quel avenir pour le ministère de l’Agriculture dans l’enseignement vétérinaire ?

Oui, pour votre première question, en témoigne le bon taux d’insertion des nouveaux diplômés. Un bémol cependant : je note aujourd’hui une stagnation des ressources propres des écoles, en grande partie liée à une activité fragile dans les CHUV. Ce constat est inquiétant, car l’effectif croissant des étudiants implique d’augmenter l’activité des centres. Il faudrait donc repenser fortement l’organisation des hôpitaux, mais aussi réfléchir à les rendre plus attractifs. à ce titre, l’optimisation de l’utilisation des équipements technologiques, actuellement sous-employés, présents dans les centres hospitaliers, est une vraie question. Le rapprochement des écoles, et non la fusion, qui figure dans la lettre de mission du ministre de l’Agriculture, n’est pas motivé par une recherche d’économie, mais par notre certitude qu’à quatre il sera plus facile de répondre aux défis qui nous attendent. Pour finir, l’enseignement vétérinaire est public, mais il faut garder à l’esprit qu’une mission de service public implique de s’adapter en permanence à l’usager (étudiant), et de ne pas raisonner avec les cadres du passé.

1 La Semaine Vétérinaire n° 1769 du 22/6/2018, pages 34 à 39.

2 bit.ly/2z3cQIF.

3 En France, la formation ingénieur par alternance, sous la forme de contrats d’apprentissage ou de professionnalisation, est en progression. La Commission des titres d’ingénieurs a établi un référentiel pour l’habilitation des formations par alternance (bit.ly/2lOtz8W).