MÉDICAMENT VÉTÉRINAIRE
ACTU
ÉVÉNEMENT
Auteur(s) : MICHAELLA IGOHO-MORADEL
Les amendes délivrées pour pratiques illicites aux distributeurs de médicaments vétérinaires atteignent un niveau sans précédent.
L’Autorité de la concurrence, qui s’est autosaisie, s’est appuyée sur un rapport d’enquête transmis par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et a infligé 16 millions d’euros de sanctions aux centrales vétérinaires pour pratiques illicites1. Sur le banc des accusés se retrouvent les principaux acteurs de ce marché : les sociétés Alcyon France et Alcyon, Centravet, Coveto, Coveto Limoges, Hippocampe Caen, Agripharm Santé animale et Chrysalide, Véto Santé, Elvetis et Neftys-Pharma, ainsi que la Fédération de la distribution du médicament vétérinaire (FDMV). Dans un communiqué de presse publié le 26 juillet, le gendarme de la concurrence est revenu en détail sur cette affaire qui a été relayée par la presse grand public. Il reproche aux centrales vétérinaires d’avoir mis en place des pratiques consistant en un “pacte de non-agression”, ainsi que des ententes entre distributeurs en gros à l’occasion des campagnes de vaccination contre la fièvre catarrhale ovine (FCO). « Les entreprises en cause n’ont pas contesté les faits et ont bénéficié à ce titre d’une réduction de sanction dans le cadre d’une procédure de transaction », indique l’autorité administrative.
Parmi les pratiques constatées, l’une d’elles a consisté en un “pacte de non-agression” entre Alcyon et Coveto et un autre entre Coveto et Centravet. Pour l’Autorité de la concurrence, ces trois acteurs, qui représentent 70 % des ventes de médicaments vétérinaires, s’étaient entendus afin de « figer la concurrence et se répartir la clientèle ». Selon les éléments du dossier, en janvier 2007, Alcyon et Coveto ont conclu un “pacte de non-agression” consistant à s’engager à ne pas démarcher leurs clients respectifs. Il a été appliqué pendant plusieurs années. « Une trêve terrain sur les clients » a notamment été envisagée. Des pièces du dossier révèlent « qu’il a été décidé qu’on demande que Coveto ne réponde pas aux demandes des clients Alcyon ». Cependant, selon l’autorité administrative, à la fin de l’année 2009, Coveto a adopté une nouvelle politique commerciale, qui a suscité une forte réaction d’Alcyon, et mis fin à l’application du pacte. De son côté, Alcyon tempère la situation en indiquant dans un communiqué de presse2 que « la proximité entre Alcyon et Coveto est historique ». L’entreprise reconnaît en effet une tentative d’intégration de Coveto, qui n’a finalement pas eu lieu. Même son de cloche chez Coveto. « Les “pactes de non-agression” pour lesquels nous sommes aujourd’hui sanctionnés n’étaient que les conséquences de notre candeur partagée dans la conduite de ces discussions. Ils n’ont pas perduré à l’issue de l’abandon de ces projets et n’ont permis aucun gain économique sur l’activité de nos sociétés », souligne l’entreprise3.
En parallèle, selon l’Autorité de la concurrence, Centravet et Coveto se sont également entendus afin de ne pas s’attaquer à leur clientèle respective « à l’exception des clients avec lesquels elles ont eu par le passé des relations ». Le régulateur retient que ces entreprises ont envisagé, à partir de juin 2009, un rapprochement par la constitution d’un système commun d’information du vétérinaire, puis d’un pôle coopératif unissant ces deux structures. « Par la suite, l’abandon du projet de rapprochement a engendré des tensions entre les deux entreprises qui ont eu des conséquences sur l’application du “pacte de non-agression” », indique l’autorité de la concurrence dans sa décision. Une pratique qu’elle sanctionne, ces entreprises ayant limité leur autonomie commerciale et restreint la concurrence sur les marchés concernés. « De tels accords de répartition de clientèle constituent, par leur nature même, des infractions graves au droit de la concurrence », dénonce-t-elle. Une sanction lourde pour les distributeurs. « Durant cette période, c’est justement la concurrence vive entre nos deux sociétés qui a fait échouer ce projet. Malgré cette réalité, nous sommes sanctionnés sur une intention dont l’autorité de la concurrence reconnaît qu’elle n’a pas été suivie d’effet », déplore Centravet4.
Par ailleurs, à la suite des inspections et des saisies, notamment dans les locaux d’Alcyon, de Coveto et de Centravet effectués en 2010, l’Autorité de la concurrence a aussi mis en évidence des ententes entre ces différents acteurs visant à « tirer profit de la crise sanitaire engendrée par la propagation rapide de la fièvre catarrhale ovine entre 2007 et 2010 ». Ces pratiques se sont déroulées durant les campagnes de vaccination obligatoire lancées par l’État au printemps 2008 et jusqu’à l’automne 2010. « L’ensemble des distributeurs en gros, ainsi que la FDMV se sont mis d’accord sur le niveau des coûts qu’ils allaient respectivement présenter à l’Administration, afin de maximiser le montant de l’indemnisation qui leur serait versée par l’État au titre des prestations logistiques déployées pour assurer la distribution des vaccins lors des trois campagnes de vaccination », indique l’autorité de la concurrence, qui souligne aussi dans sa décision que ces pratiques ont permis aux entreprises en cause de réaliser des gains illicites substantiels.
En effet, les éléments ont mis en lumière des déclarations des distributeurs concernés, indiquant que « le niveau de remboursement des frais logistiques de 4 centimes d’euros obtenu de l’Administration était très largement supérieur aux coûts véritablement supportés pour cette prestation, lesquels se situaient entre 1 et 2,5 centimes. » L’autorité précise que les documents retrouvés chez Alcyon montrent notamment que le coût par dose pour l’ensemble des sites de cette entreprise était évalué en septembre 2008 à 0,0251 € (soit 40 % de moins que le montant convenu). Même constat chez Coveto, qui estimait le coût de livraison par dose vaccinale en juin 2008 à 0,01 €, soit quatre fois moins que le montant finalement retenu. Il leur est par ailleurs reproché d’avoir fixé en commun les prix facturés aux vétérinaires lors des deuxième et troisième campagnes de vaccination obligatoire. Les trois principaux acteurs déclarent avoir tenté de répondre efficacement aux demandes du ministère de l’Agriculture dans un contexte d’urgence sanitaire.
Ils expliquent avoir agi avant que les coûts de distribution ne soient déterminés. «
Sous l’égide de la FDMV, les distributeurs ont réfléchi à la meilleure façon d’opérer pour que, quel que soit le point du territoire à servir, les vétérinaires bénéficient du même service
», se défend Alcyon. Point de vue partagé par Centravet, qui rappelle «
qu’au même titre que nos clients vétérinaires, nous avons fait face à nos responsabilités en adaptant immédiatement notre organisation et en mobilisant tous nos moyens pour répondre à l’urgence sanitaire
». Même son de cloche chez Coveto qui évoque également une situation d’urgence. «
Nous avons réalisé ce service immédiatement, y compris sans aucune information initiale sur la rémunération à en attendre, et sans aucun défaut à terme
», souligne l’entreprise. Pour l’heure, la décision de l’Autorité de la concurrence ayant force exécutoire, les entreprises annoncent qu’elles ont provisionné les sommes nécessaires afin de payer les amendes infligées. Toutefois, Alcyon indique avoir formé un recours «
contre le montant disproportionné de la sanction (NDLR : 10
millions d’euros)
». L’objectif de cet appel est «
de viser sensiblement à la baisse la réformation de ce montant
». L’entreprise considère qu’«
aucun élément de calcul n’est présenté par l’Autorité de la concurrence pour justifier du montant de l’amende et que la démonstration des dommages causés à l’économie n’a pas été faite
». Son pourvoi devra être formé au plus tard le 7 octobre.
•
UN MONTANT RECORD