Les idées reçues concernant l’alimentation des carnivores - La Semaine Vétérinaire n° 1773 du 24/08/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1773 du 24/08/2018

CONFÉRENCE

PRATIQUE CANINE

Formation

Auteur(s) : PIERRE DUFOUR  

Une alimentation équilibrée couvre les besoins journaliers des animaux1 et ceux liés à l’âge ou à l’activité. Elle est composée de 45 nutriments essentiels chez le chien et le chat. Il existe des recommandations d’apports protéiques et lipidiques2, sans valeur maximale pour les premiers. La teneur en protéines n’est pas synonyme de qualité, c’est leur digestibilité et leur origine qui priment. Il n’existe pas de recommandation pour l’apport en hydrates de carbone digestibles, principalement l’amidon, ou non digestibles, les fibres alimentaires (un apport minimal de 1 % de cellulose brute dans la matière sèche (MS) prévient la constipation).

Lorsque le chat a le choix entre plusieurs aliments, il sélectionne un régime apportant 52 % de l’énergie sous forme de protéines, 36 % sous forme de lipides et 12 % sous forme d’hydrates de carbone digestibles3. Ces données sont quasiment identiques chez le chat se nourrissant librement de proies. Les proies sont des aliments complets, un régime constitué uniquement de viande n’en est pas l’équivalent. Le chat, carnivore strict, utilise les protéines comme sources d’énergie, au contraire du chien.

Idée reçue n° 1 : les chiens descendent du loup et se nourrissent de viande

La domestication du chien est à l’origine de nombreuses différences avec le loup : mode de vie (nature, en meute versus maison), activité (chasse versus activité limitée), nombre de repas (un repas volumineux, jusqu’à 22 % du poids corporel versus une gamelle remplie, plusieurs fois par jour), sources énergétiques (développement de capacités de digestion de l’amidon pour le chien4).

La comparaison des compositions des aliments montre une différence. Alors que le loup se nourrit de proie apportant 54 % d’énergie protéique, 45 % d’énergie lipidique et 1 % d’énergie glucidique, le choix du chien domestique (en conditions expérimentales) se porte sur 30 % d’énergie protéique, 63 % d’énergie d’origine lipidique et 7 % glucidique5. Cette attirance pour les lipides n’est pas recommandée, car excessifs chez les animaux sédentaires.

La viande crue, sans os, ne contient que 10 à 11 nutriments essentiels. La viande grasse de poulet apportera en plus un peu d’acide arachidonique. Les os charnus, qui sont la base du régime Barf (Bones and raw food ou Biologically appropriate food) apporteront des minéraux. Cependant, ces deux types de régime ne constituent pas des aliments complets et équilibrés. Les viandes grasses sont trop riches, et la stérilisation comme la sédentarité ont réduit les dépenses énergétiques, conduisant à un risque de surpoids6.

Idée reçue n° 2 : les aliments sans céréales sont plus sains

La fabrication de croquettes nécessite l’incorporation d’amidon d’un point de vue technique. Les céréales sont les sources d’amidon les plus utilisées : froment (ou blé), avoine et orge, qui contiennent du gluten (mélange d’amidon et de protéines végétales, pour 80 %). Chez l’homme, l’allergie vraie au gluten est une maladie grave, justifiant l’exclusion totale du gluten, et toucherait environ 1 % de la population. Chez le chien, cette allergie qui provoque une diarrhée est décrite chez le setter irlandais. Chez le border terrier, une maladie nerveuse, répondant au régime sans gluten, a récemment été décrite7. Enfin, quelques chiens seraient intolérants, sans que l’on sache si c’est au gluten ou à l’amidon.

Pour répondre à la demande, les céréales ont été remplacées par des farines de pois chiche ou des tubercules comme la pomme de terre ou la patate douce (à éviter car contenant des sucres solubles). Le riz et le maïs ne contiennent pas les formes les plus allergisantes de gluten.

Idée reçue n° 3 : les “aliments naturels” sont plus sains

La notion “d’aliment naturel” n’a pas le même sens en Europe ou en Amérique du Nord, où la législation est plus permissive. Les aliments naturels sont plus riches en cendres totales que les aliments classiques (utilisation de farines de viande osseuse), avec pour certains des taux supérieurs à 9 % de la MS, les rendant moins digestibles. Ils contiennent des taux très élevés de calcium et de phosphore, ne sont pas nécessairement plus riches en protéines et, pour certains, contiennent plus d’amidon. Enfin, attention aux allégations mensongères comme “naturellement hypoallergénique” ou “principe proie entière”.

Idée reçue n° 4 : le Barf est la méthode la plus saine pour nourrir les chiens

Le Barf a été développé par un vétérinaire australien il y a plus de vingt ans. Ce régime est à l’origine une alimentation complète, contenant des os ou des os charnus, des légumes, des fruits, des produits laitiers, du poisson, des œufs, le tout sous forme crue, dont l’objectif est d’équilibrer l’alimentation sur plusieurs jours en proposant des menus variés, avec un grand nombre d’ingrédients. Il mime une alimentation à base de proies en incluant des compléments alimentaires pour les apports en micronutriments.

Actuellement, tout régime Barf doit être caractérisé. Dans 90 % des cas, c’est un régime de type “raw meat”, sous forme fraîche ou congelée. Les industriels rentabilisent et commercialisent des coproduits d’abattoir, comme des matières premières, non soumis à la législation sur les aliments complets en matière d’étiquetage. Il est impossible de connaître les teneurs analytiques précises permettant de calculer la valeur énergétique, nécessaire à l’incorporation dans une ration équilibrée. Certains ont des apports lipidiques excédant 60 % de l’énergie. Enfin, de nombreux inconvénients sont à noter : constipation dus à des morceaux d’os, carences multiples (vitamines, oligoéléments, parfois en acides gras essentiels), surpoids, troubles digestifs divers et risques sanitaires dus aux contaminations bactériennes. Les effets sont le plus désastreux chez les animaux en croissance. Le Barf doit être considéré comme une variante de la ration ménagère afin de proposer une alimentation équilibrée.

Idée reçue n° 5 : une ration végétarienne ou végane est possible

Une ration végétarienne substituant les œufs, le fromage blanc, voire le poisson à la viande est envisageable dans les deux espèces. Ces sources protéiques d’excellente qualité peuvent remplacer la totalité de la viande (pour les apports en acides aminés essentiels). Ce n’est pas toujours le cas en matière d’appétence. En revanche, une ration végane est totalement déconseillée chez le chat et peut même être considérée comme une forme de maltraitance. Chez le chien, de nombreux inconvénients sont à noter : faible appétence à l’origine d’anorexie, amaigrissement (avec création d’un cercle vicieux entraînant à terme une forte émaciation), présence d’une seule source de protéines – le soja, carencé en méthionine, qui ne couvre pas correctement les apports en acides aminés essentiels –, carences, entre autres, en acides gras essentiels.

Ce type de produit sec, étiqueté “bio” revendique aussi une composition sans gluten, sans antioxydant, sans conservateur, etc. Pour éviter d’utiliser des antioxydants chimiques, les fabriquants incorporent peu de lipides, certains aliments dit “complets” en contenant à peine 5 %, ce qui rend l’aliment peu énergétique et parfois carencé en acides gras essentiels et souvent peu appétissant. Enfin, toutes les sources protéiques végétales ne présentent pas un profil adéquat en acides aminés essentiels. Les protéines de pommes de terre ou de certaines légumineuses sont préférables bien que plus coûteuses.

1 Législation UE. Règlement CE 767/2009 (Eur-lex).

2 NRC 2006. Nutrient requirements of dogs and cats. National Research Council. The national Academy press, Washington, DC.

3 Hewson-Hugues et coll. Geometric analysis of macronut.

4 Axelson et coll. The genomic signature of dog domestication reveals adaptation to a starch-rich diet. Nature 2013;495:360-364. 5 Hewson-Hugues et coll. Geometric analysis of macronutrient selection in breeds of the domestic dogs, Canis lupus familiaris. Behavioral Ecology, 23 octobre 2012.

6 Diez et coll. Health screening to identify opportunities to improve preventive medicine in cats and dogs. J. Small Anim. Pract. 2015;56:463-469.

7 Stassen et coll. Paroxysmal dyskinesia in border terriers: clinical, epidemiological, and genetic investigations. J.Vet. Int. Med. 2017; 31:1123-1131.

Marianne Diez Diplomate ECVCN, service de nutrition de la faculté de médecine vétérinaire de Liège (Belgique). Article rédigé d’après une présentation faite à FranceVet à Paris, en juin 2018.