DOSSIER
Les vétérinaires des armées constituent un monde à part. Bien que faiblement représentés en nombre, ils ont pourtant des rôles sanitaire et de santé publique clés encore trop souvent méconnus. Placés sous l’autorité du ministère des Armées, ils collaborent avec les autres professionnels de santé des armées sur une diversité de missions. Leur grande polyvalence et leur expertise sont d’ailleurs reconnues à l’échelle nationale et devraient être davantage mises à profit à l’avenir dans de nouvelles missions.
Après avoir subi de nombreuses restructurations au fil du temps, le Service vétérinaire des armées (SVA) regroupe, depuis 1971, l’ensemble des vétérinaires sous le contrôle du Service de santé des armées (SSA) du ministère en charge de la défense. Structure militaire composée d’une direction centrale et d’antennes en régions (groupes vétérinaires), elle rassemble des vétérinaires avec le même statut que les autres professionnels de santé du SSA (médecins, pharmaciens et chirurgiens-dentistes), bien qu’ils soient encore aujourd’hui beaucoup moins nombreux.
En effet, avec seulement 69 vétérinaires des armées en 20171, cette profession est faiblement représentée et, par conséquent, souvent méconnue. Et pour cause, à l’exception de l’année 2018, au cours de laquelle trois étudiants en école vétérinaire et quatre officiers sous contrat (encadré page 43) ont été recrutés, les ouvertures de postes sont limitées depuis plusieurs années. Cet effectif restreint constitue un frein pour le développement optimal de certaines activités du service. Comme l’avait souligné Jean-Pierre Demoncheaux dans son rapport sur l’opération extérieure (opex) Serval de janvier 2013 au Mali2, « limité à une seule personne, le dimensionnement de la cellule vétérinaire s’est vite révélé insuffisant au regard du volume de forces à soutenir et de la dispersion des unités ». Cependant, afin de répondre aux multiples besoins des armées, les ouvertures de postes devraient se poursuivre à l’avenir, avec un effectif total de 75 vétérinaires d’ici deux ans3.
Et l’on peut dire que les missions à pourvoir ne manquent pas au sein du SVA… Ainsi, être vétérinaire des armées nécessite une « grande polyvalence », souligne le vétérinaire en chef (lieutenant-colonel) Jean-Pierre Pequignot, responsable du 51e groupe vétérinaire de Nîmes (Gard) ; polyvalence acquise grâce la formation complémentaire et spécifique enseignée à l’École du Val-de-Grâce (EVDG) à Paris (encadré page 45). L’emploi du temps des vétérinaires des armées est effectivement très varié, allant des soins et de la prophylaxie des animaux militaires aux missions de santé publique vétérinaire en France et à l’étranger (opex). Cependant, « ces compétences pluridisciplinaires ne nous empêchent pas de développer notre propre expertise sur des sujets précis », ajoute Jean-Pierre Pequignot. Certains vétérinaires des armées se sont ainsi orientés vers la formation du personnel du ministère des Armées, tandis que d’autres exercent une activité de recherche (3 vétérinaires en 2017) ou une activité exclusive de soins aux animaux (12 en 2017)1. Enfin, avec la participation à des groupes de travail transversaux portant sur certains domaines spécifiques, ils peuvent acquérir régulièrement de nouvelles connaissances. Jean-Pierre Pequignot, qui intervient lui-même dans les groupes Eau, Sécurité sanitaire et Activité opérationnelle, trouve d’ailleurs que « ce travail collaboratif donne du piquant à (son) travail ». Et, conclut-il, « bien que chronophages, ces différents rôles sont très intéressants et valorisants ». Les vétérinaires des armées jouent en effet un rôle clé au sein de l’armée : leur expertise et leur conseil dans les domaines de l’hygiène et de la sécurité des aliments, ainsi que leur maîtrise de l’environnement biologique (lutte contre les zoonoses et les épizooties, lutte antivectorielle) sont indispensables pour assurer le soutien des militaires français, objectif premier de leur travail à leurs côtés.
Pour cela, ils interviennent sur les soins cliniques des chiens et des chevaux des militaires, mais aussi et surtout dans le cadre d’activités régaliennes de contrôles officiels (restauration collective, eaux destinées à la consommation humaine, bientraitance animale) à destination des soldats. Les vétérinaires font partie d’une véritable « chaîne de santé opérationnelle », en particulier en opex4. Lors de ces missions, le maintien des capacités opérationnelles du personnel militaire est une priorité absolue. À cette fin, en tant qu’experts du commandement de niveau opératif, ils prennent des mesures d’ordre sanitaire en relation avec les risques du terrain (expertises des risques liés à l’alimentation, à la qualité de l’eau et à l’environnement biologique). De plus, dans un contexte épidémiologique différent de celui de la métropole, l’émergence de zoonoses et d’épizooties à partir de la faune locale ou des chiens militaires est aussi un risque important qu’ils doivent prévenir. Ainsi, lors de l’opex Serval de 2013, le vétérinaire présent a rapidement pris contact avec des cliniques privées et des organismes d’État sur place (service de contrôle sanitaire vétérinaire de l’aéroport de Bamako-Sénou, Direction nationale des services vétérinaires, Laboratoire national de la santé publique, etc.) pour compléter les informations déjà disponibles dans les bases de données et prévenir tout risque de maladie sur place, ainsi qu’au retour en France.
De plus, en sus des praticiens opérant sur le terrain, les vétérinaires épidémiologistes des armées qui travaillent au Centre d’épidémiologie et de santé publique des armées (Cespa) peuvent fournir d’autres informations épidémiologiques essentielles lors des opex. En effet, « la connaissance et la mise à jour constante des données épidémiologiques des théâtres d’opérations, ainsi que l’identification des risques particuliers (sanitaires, naturels ou intentionnels) sont cruciales pour les forces projetées en mission », explique Ghislain Manet, vétérinaire en chef de réserve du Cespa de Marseille (Bouches-du-Rhône). Cette activité, que je peux réaliser grâce à mon expertise dans des domaines de la santé publique, de la sécurité sanitaire des aliments et des maladies animales est un bon exemple de l’interface entre santé animale et humaine. » Pour effectuer ces missions, il travaille avec une consœur et collabore avec une cinquantaine d’autres spécialistes aux métiers variés au Cespa5.
Dans le cadre de leurs missions, il existe en effet un partenariat fort entre les vétérinaires et les autres professionnels de santé. « Au quotidien, je travaille peu avec des vétérinaires, mais davantage avec des médecins dans un objectif de protection de la santé humaine », confie Ghislain Manet. En outre, Jean-Pierre Demoncheaux précise dans son rapport2 que « dans le cadre des opex, la collaboration entre vétérinaires, médecins et commandement, avec notamment un échange permanent d’informations et une coordination des actions en matière d’hygiène, de lutte antivectorielle et d’éducation sanitaire des militaires, apparaît comme la clé de la réussite indispensable pour garantir la sécurité sanitaire des forces. »
Et ces missions conjointes ne se limitent pas aux opex. En effet, lors de situations d’urgence, comme les catastrophes naturelles ou les attaques terroristes, un véritable partenariat s’instaure. Ainsi, dans le contexte actuel de menace bioterroriste6, 7 (diffusion intentionnelle d’agents biologiques pathogènes ou d’une toxine à visée humaine, directement ou indirectement via les animaux, les végétaux et la chaîne alimentaire), les vétérinaires des armées doivent intervenir, au même titre que les médecins des armées, dans le cadre des mesures de lutte antivectorielle, de gestion des aliments ou des matières biologiques dangereuses, mais aussi en apportant des soins aux populations animales ou en effectuant des autopsies d’animaux contaminés. Par ailleurs, lors de catastrophe naturelle telle que la survenue de l’ouragan Irma, les vétérinaires peuvent être mobilisés. « La priorité (pour le vétérinaire) est alors de garantir la bonne hygiène de vie du personnel militaire, condition fondamentale à la réussite des opérations : eau potable, sécurité sanitaire des aliments, travail sur la maîtrise des risques zoonotiques », indique Jean-Pierre Demoncheaux. Et pour continuer à mener à bien toutes ces missions et optimiser le travail des vétérinaires au sein des armées quelques pistes d’évolutions sont envisagées pour les prochaines années.
Outre une augmentation des effectifs de vétérinaires du SVA et une hausse du budget, d’autres changements sont prévus à l’horizon 20203, afin de répondre à certaines attentes des vétérinaires militaires. Les opex, telle que l’opération Serval de 2013, ont permis de pointer certains dysfonctionnements. Le recours à l’expertise vétérinaire pourrait ainsi être optimisé en « renforçant la place du vétérinaire dans un dispositif interarmées de théâtre », selon Jean-Pierre Demoncheaux2, qui ajoute : « même si, grâce au travail effectué sur les théâtres d’opérations ces 20 dernières années, le vétérinaire est devenu un expert incontournable au sein de l’armée dans son domaine de compétences, il n’est pas intégré de façon assez précoce dans l’état-major logistique, ce qui permettrait pour tant de dispenser des re commandations adaptées au commandement : sécurité sanitaire de l’eau et de l’alimentation, maîtrise de l’environnement biologique. » De plus, selon lui, certaines formations vétérinaires plus adaptées aux problématiques de terrain, telles que l’épidémiologie des envenimations, devraient voir le jour. Concernant les animaux militaires, les connaissances sur la santé des chiens en opex pourraient être améliorées en mettant en place des études de terrain portant sur leur santé dans les zones de conflit, à l’image de celle menée en Afghanistan par des militaires américains sur l’intérêt de recourir à des équipements spécifiques pour les chiens (les gilets refroidissants) en milieu désertique. Par ailleurs, dans le contexte actuel de menace bioterroriste, les échanges interdisciplinaires, ainsi que les formations spécifiques (agents pathogènes et espèces animales sentinelles) devraient être renforcés à l’avenir3. L’organisation des contrôles de la chaîne de l’alimentation en France et au cours des opérations doit aussi être repensée à la suite des réformes récentes d’approvisionnement alimentaire3. Afin d’améliorer les connaissances respectives et de générer des économies de ressources, des échanges ciblés de postes entre vétérinaires militaires (ministère des Armées) et inspecteurs de santé publique vétérinaire (ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation), ainsi que le partage d’expertise et d’informations sont souhaitables, notamment lors de crise sanitaire ou d’opex, comme cela s’est déjà produit lors de crises de ce genre en France et en Grande-Bretagne.
Enfin, l’expertise des vétérinaires des armées étant reconnue au plan national, le SSA pourrait proposer ses services vétérinaires à d’autres unités des ministères de l’intérieur ou de la justice (police, centres pénitentiaires) dans le cadre de protocoles interministériels3.
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1 Atlas démographique 2017 de la profession vétérinaire. bit.ly/2d2WhB9.
2 Demoncheaux J.-P., Faureb N., Bonic M. et coll. Opé́ration Serval : enseignements vétérinaires et perspectives. bit.ly/2NfMBo1.
3 Le Modèle SSA 2020. Janvier 2016. bit.ly/2wApmfc.
4 Karom A., Girardet C., El Allouchi M. et coll. Zoonoses et contexte opérationnel : facteurs de risque et prévention, 2010;38(3):213-220. bit.ly/2Chp5CP.
5 Épidémiologie : bit.ly/2wEuiiV.
6 Bornert G., Bouhda Y., Karom A. et coll. Bioterrorisme et compétences vétérinaires. Med. Vet. 2006;157(7):371-378.
7 Enriquez B. Bioterrorisme et animaux sentinelles : les intervenants de terrain depuis 2001. 2014;13(3). bit.ly/2oydMwu.
LES MODALITÉS DE RECRUTEMENT
« EXPERTISE, POLYVALENCE ET… MOBILITÉ »
L’ÉCOLE DU VAL-DE-GRÂCE DE PARIS