Cani-DNA fait avancer la recherche en génétique - La Semaine Vétérinaire n° 1778 du 21/09/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1778 du 21/09/2018

MALADIES GÉNÉTIQUES

PRATIQUE CANINE

L'ACTU

Auteur(s) : LORENZA RICHARD  

Depuis 10 ans, la biobanque de plus de 20 000 échantillons d’ADN canin est un support pour faire avancer le dépistage des maladies génétiques chez le chien et l’homme, à laquelle tout praticien peut participer.

La biobanque nationale de prélèvements Cani-DNA (encadré) permet d’identifier et d’étudier les mutations responsables ou impliquées dans des maladies génétiques chez le chien, de développer des tests génétiques et de faire avancer la recherche biomédicale chez l’homme. Entretien avec nos consœurs Lucie Chevallier et Marie Abitbol, responsables locales de Cani-DNA, respectivement à l’École nationale vétérinaire d’Alfort (ENVA) et à VetAgro Sup (Lyon).

Quels sont les objectifs de Cani-DNA ?

Lucie Chevallier : La biobanque Cani-DNA permet de stocker des prélèvements de chiens atteints et de témoins indemnes de maladies génétiques, afin d’obtenir des données génomiques sur ces maladies. L’ADN, extrait des prélèvements, est génotypé avec des marqueurs répartis sur tous les chromosomes canins ou bien est séquencé et des allèles de prédisposition à des maladies, ou directement responsables de maladies spécifiques de races, peuvent être identifiés. L’objectif est double : développer des tests génétiques, de diagnostic, de dépistage ou de risque pour des maladies génétiques chez les chiens, et approfondir les connaissances sur ces maladies, dont la plupart trouvent leur homologue chez l’homme. Cette démarche s’inscrit dans le concept One Health, pour l’amélioration de la santé animale et humaine. En effet, des gènes mutés déjà identifiés chez l’homme pour différentes maladies génétiques peuvent être aussi mis en évidence chez le chien pour les mêmes maladies, et inversement. C’est le cas, par exemple, de l’ichtyose chez le golden retriever, pour laquelle des mutations dans le même gène ont ensuite été retrouvées dans des familles de patients atteintes du même type d’ichtyose. Ainsi, les recherches en médecine vétérinaire et humaine sont complémentaires, et les bénéfices apportés réciproques.

Quel rôle les vétérinaires praticiens jouent-ils ?

Marie Abitbol : Les praticiens sont en première ligne : sans eux, il n’est pas possible de travailler en génétique, car tout part du phénotypage, c’est-à-dire du diagnostic clinique. Ils assurent le maillage du territoire national pour le réseau Cani-DNA.

L. C. : Des vétérinaires se mobilisent pour prélever des chiens qui présentent les symptômes de maladies d’intérêt (pour lesquelles un projet de recherche est en cours, notamment). Par exemple, la participation d’un grand nombre de praticiens sur toute la France au projet d’étude génétique sur le sarcome histiocytaire chez le bouvier bernois a permis la mise au point d’un test génétique de risque (collaboration entre l’Institut de génétique et développement de Rennes et Antagene). C’est un outil de sélection qui permettra aux éleveurs de diminuer de façon raisonnée la fréquence de ce cancer mortel en moins de deux mois dans cette race.

Existe-t-il une banque pour les chats ?

M. A. : Nous avons créé la biobanque Féli-DNA, en partenariat avec Anne Thomas du laboratoire Antagene. Récemment, un projet de séquençage de génomes félins d’intérêt contenus dans cette biobanque a été cofinancé par le programme d’investissement d’avenir français PIA1, dans le cadre du réseau CRB-Anim, et par le Livre officiel des origines félines. Les études concernent des maladies héréditaires, des phénotypes d’intérêt (caractérisation de la mutation responsable d’une nouvelle couleur chez le sibérien, par exemple) ou la recherche d’un lien entre un phénotype et un caractère délétère (comme la mutation de panachure en lien avec la surdité). La recherche s’intéresse également à la diversité génétique chez les races d’intérêt patrimonial (dont le berceau est la France ou dont le premier standard a été écrit en France : sacré de Birmanie, chartreux et sphynx). La collaboration entre partenaires est importante, notamment pour certaines affections suspectées polygéniques, comme la myocardiopathie hypertrophique chez le sphynx : biobanque histopathologique de cœurs à l’École nationale vétérinaire de Toulouse (ENVT), dépistage échocardiographique dans les écoles vétérinaires et chez les cliniciens référents, Loof, clubs de race, éleveurs, propriétaires de chats.

Comment les vétérinaires peuvent-ils participer ?

L. C. : Tous les vétérinaires qui le souhaitent peuvent envoyer des prélèvements de sang sur tube EDTA, de chiens diagnostiqués pour des maladies héréditaires avérées ou suspectées, à une école vétérinaire ou au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) de Rennes, accompagnés d’une fiche de renseignements (adresses, consentement) et d’un questionnaire clinique. Une liste des projets de recherche en cours, pour lesquels des besoins en prélèvements sont prioritaires est consultable1. Les confrères intéressés peuvent nous contacter2 lorsqu’ils suspectent une maladie héréditaire dans un élevage ou dans une race. Les chercheurs ont également besoin de prélèvements de chiens témoins. Nous privilégions les prélèvements de chiens de race (inscrits au Livre des origines françaises ou d’apparence raciale), car l’homogénéité génétique des individus d’une même race facilite les recherches génétiques.

M. A. : La participation des vétérinaires est souhaitée également pour Féli-DNA : des brossettes buccales peuvent être utilisées chez le chat, ce qui facilite la collecte des échantillons. La prise de sang n’est nécessaire que pour certaines analyses génétiques, comme le séquençage complet des génomes.

Quels nouveaux projets sont prévus ?

M. A. : Plusieurs projets collaboratifs sont en cours à l’ENVA et à VetAgro Sup, ou encore à l’ENVT et au CNRS, pour la France, notamment chez le chien, concernant les anomalies vertébrales thoraciques chez le bouledogue Français, l’ataxie tardive du coton de Tuléar (projets cofinancés par la Société centrale canine), une surdité chez le beauceron, la néphropathie du dogue de Bordeaux, l’atrophie progressive de la rétine chez le berger picard, des neuropathies, épilepsies dans de nombreuses races… Ou encore les lymphomes, mélanomes et gliomes dans les races les plus prédisposées. Les mutations des gènes responsables, ou de prédisposition à ces affections spontanées et spécifiques de races, sont recherchées chez le chien, puis transférées en médecine humaine. Le problème est de trouver les financements pour ces projets, car la recherche coûte cher et beaucoup d’études restent dans les tiroirs par manque de moyens.

1 dog-genetics.genouest.org.

2 marie.abitbol@vetagro-sup.fr, 04 78 87 25 66 ou lucie.chevallier@vet-alfort.fr, 01 43 96 70 02.

UNE COLLECTION BIOLOGIQUE