DOSSIER
Auteur(s) : DOSSIER RÉALISÉ PAR FRÉDÉRIC THUAL
Lancés dans les années 1980-1990 sous la forme de groupements d’intérêt économique (GIE), les regroupements de structures vétérinaires se professionnalisent et se multiplient. Initialement créés pour mutualiser les achats, ils montent en compétences pour être plus compétitifs, améliorer le bien-être au travail et attirer les jeunes générations. Plongée au cœur de ces réseaux voulus aussi pour pallier les dangers de l’isolement.
S’il est toujours un peu “speed”, c’est dans sa nature, aujourd’hui Jacques Barjot, responsable de la clinique vétérinaire du Parc à Villeneuve-la-Guyard (Yonne), revendue au groupe Metavet il y a huit mois, est détendu. « J’ai le temps de bricoler chez moi, de pratiquer du VTT en forêt de Fontainebleau et même de partir trois fois par an au ski au lieu d’une », explique ce fondu des pentes enneigées. Mais si, après avoir construit une clinique de 350 m², qu’il exploite avec trois ASV, il a choisi de rejoindre ce groupement, ce n’est pas pour aller faire des boules de neige. « Avant, je travaillais six jours sur sept, je n’avais pas une minute à moi. Un assistant ou un associé ne sont pas faciles à trouver. Après une ou deux expériences malheureuses, j’ai décidé de rester seul. À 58 ans, n’étant pas éternel, la question de la vente de la clientèle se posait. Seul, c’est une grosse pression. Financière, d’abord, avec le coût de la structure et le changement de matériel ; organisationnelle, ensuite, avec la continuité de soins, la multiplicité des tâches administratives et les gardes ; relationnelle, enfin, face à une clientèle de plus en plus exigeante… Il fallait donc que j’évolue et que je trouve une solution pour la problématique des gardes, des urgences et des tâches administratives qui m’accaparaient 30 % du temps », égrène-t-il.
Pour Jacques Barjot, le salut est arrivé avec la rencontre de Sébastien Roul, vétérinaire à la clinique du Grand Saule à Sens et cofondateur du groupement Metavet, en 2016. « Le groupe est né de la fusion de trois entités : le pôle “cliniques”, autour de la clinique du grand Saule, dotée d’un scanner et d’un IRM ; le cabinet des Essarteaux, près de Dijon appartenant à François Mestrallet (actuel président de Metavet), intervenant comme société de services sur la médecine d’élevage et l’industrie ; et le laboratoire vétérinaire Demavic, grossiste répartiteur disposant de plusieurs zones de stockage en France » explique Sébastien Roul. Le groupe emploie 120 personnes pour un chiffre d’affaires de 40 millions d’euros (6 millions pour les cliniques, 14 millions pour l’élevage et 20 millions d’euros pour le laboratoire). L’acquisition et l’intégration de cliniques ont débuté en février 2017. « Depuis, nous comptons une dizaine de cliniques. Nous avons pour ambition de nous densifier autour des zones de Sens, Dijon, Lyon ou Paris. Le but est de faire travailler les vétérinaires ensemble. Et non pas d’empiler des cliniques aux quatre coins de la France », explique Sébastien Roul.
Le principe repose sur une association totale. Aujourd’hui, Metavet est une société d’exercice libéral à responsabilité limitée (SELARL) composée de 30 associés, dont 15 vétérinaires, qui détiennent 95 % du capital. Chaque clinique intégrée devient un domicile professionnel d’exercice (DPE). L’ex-propriétaire occupe les fonctions de directeur de clinique. Chacune d’elle conserve aussi sa propre signalétique. « Nous n’avons pas d’objectifs quantitatifs. Nous souhaitons apporter aux vétérinaires le maximum de confort de travail. ». Le groupe assume toutes les fonctions supports non vétérinaires ; à savoir les ressources humaines, le marketing, la comptabilité, la communication web, la gestion des réseaux sociaux, l’informatique, etc. « Il garantit l’organisation de la continuité des soins. C’est lui qui assure le remplacement d’un vétérinaire qui part en vacances, la centralisation des urgences, les gardes… C’est pourquoi nous choisissons de nous développer sous la forme de réseaux locaux et de créer de la valeur vétérinaire », affirme Sébastien Roul. Objectif : amener de la tranquillité d’esprit aux vétérinaires en s’occupant des activités parasites qui leur grignotent du temps. « Mes moyens techniques (informatique, laboratoires, etc.) se sont améliorés. J’ai eu 30 % de temps en plus pour travailler ma clientèle. Résultat, de 4 à 5 % de croissance par an, le chiffre d’affaires a bondi de 20 % », témoigne Jacques Barjot. Avant de se lancer, il a ausculté deux autres groupements. « On voulait m’imposer des médicaments ou des traitements auxquels je n’adhérais pas. Là, j’ai simplement changé mon système informatique. J’ai gardé mes tarifs, mon niveau de salaire, mon indépendance et la continuité de soins est assurée. » Il reconnaît même avoir cédé sa clientèle à un tarif supérieur à ce qu’il espérait. Lui a choisi de continuer d’exercer en libéral. D’autres optent pour le salariat. Huit mois après, il ne regrette rien. « Je me sens libre comme l’air. Le groupe peut aussi me permettre d’évoluer vers d’autres métiers. »
Lancée dans les années 1980-1990 avec la création de simples groupements d’intérêt économique (GIE) pour mieux négocier les achats avec les centrales, les laboratoires et les fabricants d’aliments, cette volonté d’association a depuis fortement évolué pour faire émerger, d’une part, de “super-GIE”, comme Veto Distribution ou la plateforme Isovet, créée par le Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL), et, d’autre part, des regroupements élargis à la formation, aux ressources humaines, à la compatibilité, à la réglementation, aux aspects techniques…jusqu’à devenir de vrais réseaux comme MonVéto, Vet One, Univet, Argos, Metavet, Familyvets, ClubVet, etc. Combien sont-ils au total ? Les centrales et laboratoires parleraient de 100 à 120 groupements, toutes tailles confondues. « Les seules informations dont dispose la profession sont celles fournies par l’Observatoire national démographique de la profession vétérinaire », reconnaît Jacques Guérin, président du Conseil national de l’Ordre vétérinaire (CNOV), pour qui, « au titre des liens d’intérêts entre vétérinaires, l’appartenance à un groupe ment vétérinaire devrait être déclaré aux conseils régionaux. C’est l’application de l’article 242.2, dont la prise de conscience est progressive ».
De son côté, le SNVEL dit ne pas avoir constaté une diminution des vétérinaires libéraux. « Au contraire, leur nombre croît, même si certains exercent sous la forme d’associés dans des structures, affirme Thierry Chambon, vice-président du SNVEL. Si la tendance devait s’inverser, le syndicat pourrait évoluer vers un syndicat d’entreprises plutôt qu’un syndicat d’individus. Mais en France, 50 % de vétérinaires exercent encore seuls. C’est atypique dans le paysage européen, mais ça bouge… », constate-t-il. De fait, les formations dispensées (gestion financière, du personnel, des achats, etc.) par le syndicat sont davantage tournées vers des vétérinaires à l’état d’esprit “d’entrepreneurs” plutôt qu’à l’exercice individuel. Même si la récente création de la centrale Isovet, présentée comme un facilitateur d’achat, veut permettre à ces derniers de pouvoir rivaliser face à la multiplication de structures de plus en importantes, dont les capacités de négociation se sont accrues. D’où aussi la démarche Vetfuturs entreprise par le syndicat et l’Ordre pour réfléchir à l’évolution de la profession au cours des 15 prochaines années.
Le mouvement de regroupement est bel et bien en marche. Chacun à leur manière, des vétérinaires s’emparent du vent qui souffle vers la pratique collective. L’un des plus importants, Univet, créé en 2011 dans le Sud de la France, qui vient de faire entrer au capital l’investisseur financier Platina Equity Solutions à hauteur de 40 %, s’apprête à mettre la main sur neuf nouvelles cliniques d’ici à la fin de l’année. Il portera alors son réseau à 30 cliniques canines et rayonnera du sud au nord de l’Hexagone.
Dans la Manche, Symbioveto a lui été créé en 2012. « Pour deux raisons : favoriser la bienveillance entre confrères et rester compétitif en centralisant les commandes », explique Jérôme Rubon, cofondateur de la clinique des Estuaires à Saint-James, à l’origine de ce regroupement, né pour la rurale et qui, au fil des années, s’élargit à la canine. En six ans, ce réseau a réuni 14 structures. « Face à l’émergence d’autres groupes et à la concurrence des pharmacies, il nous fallait un outil pour pouvoir nous battre sur les prix et redevenir acteurs du marché. Les clients ne comprenaient pas la disparité des tarifs. » Or, pour la rurale, la vente de médicaments peut représenter de 60 à 70 % du chiffre d’affaires. Des volumes ont donc été négociés avec trois centrales d’achat (Alcyon, Centravet, Hippocampe) et des laboratoires. Chaque structure reste libre de ses achats.
« Très vite aussi, il est apparu primordial de monter un réseau de compétences locales sur lesquelles chacun allait pouvoir s’appuyer », explique Jérôme Rubon. L’un disposait d’un scanner, l’autre était spécialiste en ophtalmologie, en dermatologie, en parage, etc. « Tous, nous avions la tête dans le guidon et pas le temps d’aller à Paris. Alors, on a fait venir des formateurs jusqu’à devenir organisme de formation agréé. L’intérêt est double. Nous nous distinguons sur les compétences et on attire les jeunes dans la région. Du coup, les cliniques ont moins de mal à recruter. » Et notamment d’offrir plus facilement des services tels que les contrats de soins pour les bovins laitiers. Cette démarche préventive est soutenue par les groupements de défense sanitaire du Calvados et de la Manche, qui aident les jeunes éleveurs à hauteur de 500 € par an pendant trois ans. L’initiative menée en rurale tend à être déclinée en canine. « On réfléchit à de nouveaux modèles économiques », précise Jérôme Rubon.
Le réseau Symbioveto s’appuie sur un comité de pilotage, composé d’un représentant de chaque clinique et de commissions spécialisées dans la bovine, la canine, l’équine, la parasitologie, les ressources humaines, la formation, la communication… « On organise des soirées sur des cas cliniques, on favorise les projets transversaux comme l’immersion de binômes ASV-vétérinaires dans d’autres struc tures du réseau, trois vétérinaires s’impliquent dans l’acu puncture, l’ostéopathie, la phytothérapie et l’aromathérapie pour répondre à la demande des élevages bio, d’autres dans l’hygiène des denrées alimentaires pour satisfaire aux attentes des communes confrontées aux démarches HACCP 1 … Résultat, tout le monde se connaît et on ne se tire plus dans les pattes », se félicite Jérôme Rubon.
Dans une profession considérée comme individualiste, l’aspect humain est parfois compliqué à gérer. Dans la région de Metz, 20 ans après sa création, le GIE Vetolor a dû faire face au départ de trois des 12 cliniques. « Pour incompatibilité d’humeur », résume, laconique, Michel Bolzinger, titulaire de la clinique de Franchepré, à Jœuf (Meurthe-et-Moselle), et cofondateur du groupement, initialement créé pour les achats. Au fur et à mesure, des commissions ont vu le jour. Avec en moyenne six réunions par an. «
Ça demande quand même un engagement humain. Le respect des statuts est parfois compliqué. À part cela, l’expérience est positive. Si la mutualisation des équipements reste difficile, en revanche, ça permet de mieux se connaître, d’évoluer ensemble et surtout de ne plus être concurrents.
» Chez Vétanimax, dans l’ouest de la France, les aspects humains s’avèrent aussi complexes à gérer. Ce groupement, fondé du début des années 1980 avec une activité tournée vers les filières, s’est élargi à tous les secteurs d’activité. Jusqu’à compter une vingtaine de cliniques. «
Le principe de base a toujours été d’apporter un appui technique et commercial, à travers des commissions dédiées. Mais lorsqu’il s’est agi de restructurer le GIE, il y a deux ans, des intérêts divergents ont émergé, se souvient Stéphane Girodon. Ça finit par créer du lien, mais ce n’est pas évident. Chaque clinique conserve son indépendance, mais pour que le réseau fonctionne, il faut une responsabilité de groupe. Chacun doit comprendre que pour que cela marche, entre les formations, l’animation des commissions ou les négociations avec les labos et les centrales, du temps à passer est nécessaire. Lorsqu’on a voulu créer un forum sur notre site internet, seuls 10 à 20 % des vétérinaires se sont mobilisés
», regrette-t-il.
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1 Hazard analysis critical control point.
VETONIMO VEUT DEVENIR UNE MARQUE
LE MOT DE L’ORDRE
LES REGROUPEMENTS DANS LE MONDE